Et le chant français ?

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Quand les deux géants aujourd’hui bicentenaires, Wagner et Verdi, déboulaient sur la scène lyrique, c’est le chant français qui faisait et la mode, et la loi : Meyerbeer et Halévy, bientôt Gounod, et Massenet suivra. En 1900 encore, à New York comme à Covent Garden, c’est le Cid, c’est Roméo qui étaient le comble du chic, avec les frères de Reszke, qui chantaient aussi Wagner et Verdi. Le chant et le répertoire français se survivent, certes, mais si Carmen (et elle seule) s’est maintenue, elle s’est largement mondialisée : les meilleurs José et Carmen récents, Kaufmann et Antonacci, Dieu merci linguistes superbes, n’ont rien de français dans leur lignage vocal. On le verra, la relève du beau français chanté s’est beaucoup faite depuis l’étranger, l’Amérique notamment. C’est sa gratitude : Lafayette, nous voilà ! Dans l’actualité, les chanteurs français, sauf Tézier en tout cas, Alagna encore un peu, ne sont pas au plus haut. Heureusement on réédite. Le retour aux archives donne de bons exemples, inspire des vocations. C’est en écoutant Crespin et Souzay, notamment, qu’Antonacci est devenue la berliozienne numéro un d’aujourd’hui. Les Français ont beau se rééditer mal, et en général se soucier peu de leurs gloires, pourtant Malibran vient de réussir deux merveilles. Un CD regroupe le meilleur de Vanzo autour d’un air de Nadir, « Je crois entendre encore », simplement ineffable. Suzanne Balguerie est de timbre plus ingrat, de pâte vocale moins opulente : mais rien qu’une scène d’Alceste, « Non ce n’est point un sacrifice », démontre une plastique, une émotion et une...

Quand les deux géants aujourd’hui bicentenaires, Wagner et Verdi, déboulaient sur la scène lyrique, c’est le chant français qui faisait et la mode, et la loi : Meyerbeer et Halévy, bientôt Gounod, et Massenet suivra. En 1900 encore, à New York comme à Covent Garden, c’est le Cid, c’est Roméo qui étaient le comble du chic, avec les frères de Reszke, qui chantaient aussi Wagner et Verdi. Le chant et le répertoire français se survivent, certes, mais si Carmen (et elle seule) s’est maintenue, elle s’est largement mondialisée : les meilleurs José et Carmen récents, Kaufmann et Antonacci, Dieu merci linguistes superbes, n’ont rien de français dans leur lignage vocal. On le verra, la relève du beau français chanté s’est beaucoup faite depuis l’étranger, l’Amérique notamment. C’est sa gratitude : Lafayette, nous voilà !

Dans l’actualité, les chanteurs français, sauf Tézier en tout cas, Alagna encore un peu, ne sont pas au plus haut. Heureusement on réédite. Le retour aux archives donne de bons exemples, inspire des vocations. C’est en écoutant Crespin et Souzay, notamment, qu’Antonacci est devenue la berliozienne numéro un d’aujourd’hui. Les Français ont beau se rééditer mal, et en général se soucier peu de leurs gloires, pourtant Malibran vient de réussir deux merveilles. Un CD regroupe le meilleur de Vanzo autour d’un air de Nadir, « Je crois entendre encore », simplement ineffable. Suzanne Balguerie est de timbre plus ingrat, de pâte vocale moins opulente : mais rien qu’une scène d’Alceste, « Non ce n’est point un sacrifice », démontre une plastique, une émotion et une vérité dans les mots, un bien dire qui sont chef-d’œuvre en soi. Une société Ninon Vallin a fait mieux en révélant, entre dix beautés, un récitatif et air d’Iphigénie live, inédit, « Cette nuit j’ai revu le palais de mon père », qui remet quelques pendules à l’heure : tout est latin ici, vibrant, modulé comme ferait un grand violon, avec un génie du récitatif, une haute école de l’expression noble qu’aucun disque de Vallin ne laissait pressentir. Le coup de cœur, de foudre, de l’année !

Les rééditions américaines, systématiques, passionnées, osent des intégrales donnant tout d’un artiste, avec des livrets documentés (disparus depuis le microsillon, à cause du format), illustrés de photos, avec les dates, les détails de carrière. L’admirable Ward Marston produit sous son propre nom un Vanni Marcoux et un Endrèze complets (7 et 3 CD). Le timbre ingrat de Marcoux ne l’a pas empêché d’être un Boris et un Don Quichotte du format de Chaliapine, et l’acteur était prodigieux. Son Boris, son Quichotte, son Golaud sont là, plusieurs scènes pour chacun. Mais il réussit tout aussi pleinement un prodigieux Philippe II (en français original), Hamlet, Lothario qu’il n’a pas chantés en scène. Fauré, Schubert, Tosti, de simples chansons de pays, sont distillés par un maître en diction, un gourmet. Et tout Delmet est là. Quel artiste (il a été le premier Ochs français, créé Flambeau dans l’Aiglon, et joué au cinéma l’irrésistible vagabond de Sans famille) ! Endrèze est plus discret. Le plus princier baryton français (Renaud venait avant, Souzay a suivi) était américain ! Mais Jean de Reszke lui a appris l’émission, Reynaldo Hahn le style. Dans Thaïs, Hérodiade, dans les rares Guercoeur et Roi Arthus (dont pas un Français n’avait la curiosité alors) c’est le grand baryton d’opéra français qu’on entend, sa sensibilité expressive, sa ligne chevaleresque (le grand baryton Verdi est plus simplement vocal). Dans des mélodies avec Reynaldo au piano, Endrèze montre mieux encore : dans Psyché de Paladilhe, la plus belle façon de dire Corneille qui se puisse entendre, tout simplement ; et dans les Études latines de Reynaldo un amour des mots (chantés, jamais soulignés), une discrétion, un tact dans l’attendrissement, qui tirent des larmes… Le sens et d’abord le goût d’un vrai beau français, mis à mal par la mondialisation, trouvent là de quoi se ressourcer !

André Tubeuf
écrivain, philosophe et critique musical

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