LE MEILLEUR D’ICI

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Valentin Benoit Sur le Palais de la Porte Dorée, à Paris, que d’entremêlements, que de muscles, que de palmes, que de cordes, que de poissons, que d’oiseaux ! éléphants, dromadaires, voiliers, Bouddha, et çà et là, écrits en lettres capitales dans cette sorte de compression : Cérès, Pomone, soie, coton, poivre, paddy, Cambodge, maïs, caoutchouc… Ce relief-monde fut imaginé par Alfred Janniot. Le sévère bâtiment qu’il anime derrière des piles carrées, qu’il fait fleurir, fourmiller, suer, fut dessiné par Alfred Laprade pour abriter le Musée permanent des Colonies, inauguré lors de l’Exposition coloniale de 1931. Les collections de ce qui était devenu successivement le Musée de la France d’Outre-mer (1935), le Musée des Arts africains et océaniens (1960) et le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (1990), rejoignirent en 2003 celles du futur Musée du Quai Branly. Le bâtiment abrite depuis 2007 la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (et toujours, au sous-sol, le célèbre aquarium tropical conçu avec le premier musée). Je me demande si ce joyau Art déco n’aurait pas pu devenir quelque chose comme un Musée du Musée permanent des Colonies, où l’on nous aurait expliqué, en conscience, ce qu’était le colonialisme et pourquoi ce fut in fine, pour les soutiens de La Fayette, pour Marianne, pour la Liberté guidant le Peuple, un grave égarement. L’idée retenue, cela dit, est intellectuellement très efficace : inverser la conception, changer un lieu qui célébrait l’emprise, voulu pour encourager l’émigration, en un lieu qui valorise l’accueil, pensé pour priser l’immigration. Il faut écouter...
Valentin Benoit
Valentin Benoit

Sur le Palais de la Porte Dorée, à Paris, que d’entremêlements, que de muscles, que de palmes, que de cordes, que de poissons, que d’oiseaux ! éléphants, dromadaires, voiliers, Bouddha, et çà et là, écrits en lettres capitales dans cette sorte de compression : Cérès, Pomone, soie, coton, poivre, paddy, Cambodge, maïs, caoutchouc… Ce relief-monde fut imaginé par Alfred Janniot. Le sévère bâtiment qu’il anime derrière des piles carrées, qu’il fait fleurir, fourmiller, suer, fut dessiné par Alfred Laprade pour abriter le Musée permanent des Colonies, inauguré lors de l’Exposition coloniale de 1931. Les collections de ce qui était devenu successivement le Musée de la France d’Outre-mer (1935), le Musée des Arts africains et océaniens (1960) et le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (1990), rejoignirent en 2003 celles du futur Musée du Quai Branly. Le bâtiment abrite depuis 2007 la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (et toujours, au sous-sol, le célèbre aquarium tropical conçu avec le premier musée). Je me demande si ce joyau Art déco n’aurait pas pu devenir quelque chose comme un Musée du Musée permanent des Colonies, où l’on nous aurait expliqué, en conscience, ce qu’était le colonialisme et pourquoi ce fut in fine, pour les soutiens de La Fayette, pour Marianne, pour la Liberté guidant le Peuple, un grave égarement. L’idée retenue, cela dit, est intellectuellement très efficace : inverser la conception, changer un lieu qui célébrait l’emprise, voulu pour encourager l’émigration, en un lieu qui valorise l’accueil, pensé pour priser l’immigration. Il faut écouter l’Autre. Les origines de ce que nous appelons fleuron, quintessence, nec plus ultra…, sont complexes. Ainsi Greco, le plus grand peintre espagnol avec Vélasquez et Picasso, était, comme son nom l’indique, grec ; mais sa peinture se ressent davantage des toiles chaleureuses de la Sérénissime, où il séjourna, que des icônes immuables de son pays natal. Kundera, l’un des rares auteurs qui entrèrent de leur vivant dans la prestigieuse collection de La Pléiade, est né à Brno, en Moravie. La mode, que la France défend et illustre si bien, n’échappe pas à ce phénomène enthousiasmant : le meilleur d’ici peut venir de làbas.

Ce que démontre à merveille l’exposition « Fashion Mix » organisée par le Musée de la mode de la Ville de Paris – le Palais Galliera – en partenariat avec le Palais de la Porte Dorée. On y découvre non seulement des robes, des manteaux, des chapeaux, mais aussi des pièces d’archives, par exemple des dossiers de naturalisation qui émeuvent, car elles rappellent sans détour que tout créateur est aussi, qu’il le veuille ou non, un habitant de la cité, un « animal politique » (Aristote). No man is an island, entire of itself… (John Donne). On nous rappelle encore dans cette exposition que Charles Frederick Worth, qui « inventa » la haute couture – laquelle n’existe officiellement qu’à Paris – était anglais ; que Cristóbal Balenciaga, le seul de ses confrères, avec Yves Saint Laurent, que Mademoiselle Chanel reconnaissait, est né et mort en Espagne. Quel plaisir aussi de scruter des silhouettes imaginées par ces deux grands Japonais, Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo, la créatrice de « Comme des garçons » qui, dans les années 1980, dynamisèrent, étonnèrent, vivifièrent, déroutèrent Paris, capitale de la mode depuis trois siècles. Par le noir, par l’asymétrie, par des tissus inattendus, ils ont créé un « appauvrissement enrichissant », autrement dit, un univers poétique. On savourera du premier, sur l’affiche de l’exposition d’abord – mais ne dirait-on pas une affiche pour Turandot ? –, cet ample assemblage noir, turquoise et framboise, où sont des chaînes, des lèvres, un nez ; de la seconde, cette pièce blanc cassé sur laquelle semble passer, noir et blanc, tagué ou calligraphié ? un éclair.

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