Saverio della Gatta et l’art de la veduta à Naples au XVIIIe siècle

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Née à Rome mais épanouie à Venise, la veduta connut également un foyer fécond à Naples à la fin du siècle des Lumières. Dans leurs œuvres, les védutistes napolitains comme Saverio della Gatta se plaisent à décrire le site grandiose de la baie de Naples, la présence inquiétante du Vésuve, à relater la naissance de l’archéologie à Pompéi et à représenter la ville immense qui embrasse la Méditerranée, avec toujours un ou deux pêcheurs au premier plan pour mieux asseoir le pittoresque incomparable de Naples. Tancrède Hertzog Qui pense veduta pense Venise, à ces vues précises des palais alignés le long des canaux sous un ciel limpide, dues au pinceau minutieux de Canaletto et Guardi, si parfaites qu’elles sont, plus que n’importe quelle photographie, les images d’Epinal de la Sérénissime, posée sur les eaux dormantes de la lagune. Mais ce filon si prolifique au XVIIIe siècle, ne fleurit pas que sur les rives dorées de l’Adriatique. Il naquit, en fait, à Rome grâce au Hollandais van Wittel et, outre Venise où il se développa avec la fortune que l’on sait, une autre grande capitale italienne du temps, forte de son patrimoine exceptionnel, adopta rapidement la tradition du védutisme : Naples, au bout du voyage d’Italie. (C’est une référence au livre de D. Fernandez Le Voyage d’Italie). « Vedi Napoli e poi muori », Vois Naples et meurs dit l’adage. La capitale du Sud était, au siècle des Lumières, la dernière étape du Grand Tour, ce voyage initiatique à travers les trésors...

Née à Rome mais épanouie à Venise, la veduta connut également un foyer fécond à Naples à la fin du siècle des Lumières. Dans leurs œuvres, les védutistes napolitains comme Saverio della Gatta se plaisent à décrire le site grandiose de la baie de Naples, la présence inquiétante du Vésuve, à relater la naissance de l’archéologie à Pompéi et à représenter la ville immense qui embrasse la Méditerranée, avec toujours un ou deux pêcheurs au premier plan pour mieux asseoir le pittoresque incomparable de Naples.

Tancrede Hertzog
Tancrède Hertzog

Qui pense veduta pense Venise, à ces vues précises des palais alignés le long des canaux sous un ciel limpide, dues au pinceau minutieux de Canaletto et Guardi, si parfaites qu’elles sont, plus que n’importe quelle photographie, les images d’Epinal de la Sérénissime, posée sur les eaux dormantes de la lagune.

Mais ce filon si prolifique au XVIIIsiècle, ne fleurit pas que sur les rives dorées de l’Adriatique. Il naquit, en fait, à Rome grâce au Hollandais van Wittel et, outre Venise où il se développa avec la fortune que l’on sait, une autre grande capitale italienne du temps, forte de son patrimoine exceptionnel, adopta rapidement la tradition du védutisme : Naples, au bout du voyage d’Italie. (C’est une référence au livre de D. Fernandez Le Voyage d’Italie).

« Vedi Napoli e poi muori », Vois Naples et meurs dit l’adage. La capitale du Sud était, au siècle des Lumières, la dernière étape du Grand Tour, ce voyage initiatique à travers les trésors de la péninsule italienne entrepris par la fine fleur de l’aristocratie européenne : elle en constituait l’apothéose, la sublime conclusion et, comme le proverbe le laisse entendre, sa simple vue suffisait à faire chavirer les cœurs. Arrivant du Nord, le voyageur découvrait sa destination depuis les hauteurs environnantes qui lui permettaient d’embrasser du regard toute la baie de Naples, avec ses îles posées, telles des joyaux sur le miroir aveuglant de la mer, les contours montagneux de la pointe de Sorrente et la ville s’étalant en contrebas, dominée par la silhouette immense et fumante du Vésuve ; il y visitait les plus grandioses ruines de l’époque romaine, Herculanum et Pompéi, fraîchement découvertes. Dès lors, comment quitter ces lieux enchanteurs sans en ramener un souvenir ? Comme à Venise et à Rome, la veduta permettait au touriste anglais, allemand ou français d’emporter une trace et une preuve de son passage, fixant pour l’éternité la mémoire des lieux qui l’avaient émerveillé : le développement de ce genre pictural au XVIIIsiècle est intimement lié à ce tourisme haut de gamme. À Naples, il éclot dans la seconde moitié du XVIIIsiècle, avec des artistes aux noms encore peu évocateurs tels que Pietro Fabris, J-.P. Hackert, G.- B. Lusieri et Saverio della Gatta.

À Naples, première différence par rapport à Venise en matière de veduta : l’utilisation de la gouache plutôt que de l’huile donne lieu à des œuvres de petit format, avec des atmosphères plus claires et des paysages plus graphiques, moins vaporeux, comparés à ceux des grandes toiles vénitiennes. Réalisée plus rapidement, la gouache permet de satisfaire une demande vite emballée et offre, par ses dimensions réduites, l’avantage de pouvoir être facilement transportée par le client sur le point de retourner dans son pays d’origine.

Si Venise est identifiée par ses canaux, si chaque palais, pourvu que l’eau baigne ses pieds et que quelque gondole s’aperçoive, fait motif et fait Venise, à Naples, il faut que la cité se donne toute entière pour qu’on la reconnaisse et qu’on s’écrie « c’est elle ». La veduta napolitaine n’est pas sans lien avec le panorama par la perspective large et dégagée  sur les lieux sublimes qu’admire le voyageur en arrivant. Ainsi : Naples vue de la mer, Naples vue de la côte ou encore Naples avec le Vésuve fumant paisiblement en arrière-plan ou bien éructant ses laves rougeoyantes et ses paquets de fumée noire.

Suivant cette formule, dans l’une des ses meilleures œuvres, le peintre Saverio della Gatta, représente la ville face à une mer de papier, sous un plein jour éclatant qui est celui des temps de chaleur. Le subtil dégradé des tons du miroir lisse de l’eau et une pénombre contrastante au premier plan, fournissent une admirable profondeur à la gouache. Comme tant d’autres, cette veduta est prise depuis les rives de Vigliena. De ce point de vue idéal et paisible, loin du tumulte de la ville mais assez près d’elle pour pouvoir l’embrasser toute entière, on reconnaît plusieurs monuments remarquables : c’est, de droite à gauche, le puissant fort Sant’Elmo juché sur sa colline, la blanche et basse chartreuse de Saint-Martin juste en dessous, le Château Neuf, noire forteresse bâtie par les rois Angevins au XIVsiècle et le promontoire de Pizzofalcone, prolongé par le Castel dell’Ovo qui vient épouser la mer au bout de l’arc-de-cercle parfait dessiné par la côte.

Della Gatta est un artiste typique de cette frénésie védutiste qui s’empare de Naples à la fin du XVIIIe siècle et ne tarit pas durant le XIXsiècle.

Comme pour beaucoup de ses confrères, on ne sait presque rien de lui, tout juste connaît-on sa période d’activité (1777-1827), principalement grâce aux dates apposées sur ses œuvres. Comme la plupart des védutistes, il produit, pour une clientèle étrangère, des gouaches aux sujets formatés : pour ce faire, il reprend souvent des compositions inventées par des peintres plus célèbres tels que Hackert, Lusieri et Pietro Fabris. Ce dernier fit la popularité de la veduta napolitaine lorsqu’en 1776 il illustra avec des gouaches l’ouvrage d’un Anglais, William Hamilton, sur les Champs Phlégréens, un terrain volcanique en activité, juste au nord-ouest de Naples. Le livre connut un grand succès dans toute l’Europe et les 58 gouaches de Fabris servirent de répertoire de motifs pour les védutistes napolitains qui apparurent alors en nombre. Une Vue de Pouzzoles de Della Gatta reprend d’ailleurs l’une des illustrations de Fabris pour Hamilton, tandis que sa Vue du palais de Portici, datée de 1785, s’inspire d’une composition peinte l’année précédente par Lusieri. Les modèles circulaient rapidement.

Della Gatta se distingue cependant de la majorité des gouachistes de Naples par un réel talent de peintre, là où beaucoup de védutistes napolitains font preuve d’une naïveté maladroite qui est celle du travail réalisé à la va-vite.

Il pratique tous les sujets typiques de la peinture topographique napolitaine, qui ne se limite pas à représenter la ville.

Si Venise n’est qu’une cité, une île sur l’eau, isolée, Naples, elle, est un site. Elle n’est pas univoque : il y a la ville, qu’on ne voit presque jamais de l’intérieur dans les vedute, mais il y a aussi la côte, avec le Pausilippe, les grottes marines, Pouzzoles et les îles, Procida et Ischia, il y a les curiosités volcaniques comme la Solfatara, les Champs Phlégréens et, bien sûr, le Vésuve. Enfin, il y a la campagne et les lieux de villégiature, avec les villas et les palais des Bourbons.

La reggia de Portici, moins célèbre que Caserte, le Versailles napolitain, arbore un air espagnol sous le pinceau de Della Gatta, sa blanche bâtisse s’élevant dans une lumière qui en détache nettement les contours. Vue de loin et accompagné d’autres bâtiments alignés à côté de lui, le palais semble dominé par l’immensité du Vésuve (dont la présence imposante permet de reconnaître immédiatement l’origine napolitaine de la vue) mais aussi par la scène du premier plan : devant le motif principal, mais tout aussi important que lui, quelques habitants de la contrée se promènent, arborant leur pittoresque costume local.

La veduta napolitaine recèle un ultime versant. Naples s’ouvre, au XVIIIsiècle, sur un vaste territoire qui est la patrie de l’archéologie. Si les voyageurs fortunés de toute l’Europe poussent jusqu’à la cité parthénopéenne c’est autant pour les joies lyriques du San Carlo que pour les merveilles de Pompéi et d’Herculanum.

Cette saveur archéologique est unique : là où, à Rome, la ruine est connue depuis longtemps et donc traitée comme un cliché emblématique de la ville, à Naples on voit Pompéi en train d’être déblayée. C’est la découverte en cours de route. Les fûts des colonnes et les murs de brique du temple d’Isis à Pompéi viennent de percer la terre et tout un dédale de rues pavées, de villas peintes et de cadavres fossilisés attendent encore d’être révélés. Vu d’en haut, comme Naples est vue de loin, le sanctuaire antique est représenté au milieu d’une nature foisonnante, Della Gatta n’oubliant pas d’inclure les montagnes idylliques qui font le charme du site. Il n’oublie pas non plus de faire figurer quelques gentilshommes curieux au milieu des ruines, probablement les commanditaires de l’œuvre, ainsi immortalisés sur les lieux de leur pèlerinage.

À la fois documentaire et pittoresque, vraie mais arrangée pour fournir au client une image idéale de la ville et de son voyage, la gouache napolitaine fait revivre sous nos yeux Naples dans ses ultimes moments de gloire et d’insouciance, avant qu’elle n’entre dans une lente décadence, qui n’en finit pas de durer depuis le XIXsiècle.

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