Strasbourg, Tristan Tzara une reconnaissance tardive, par Robert Kopp

Robert Kopp à Artpassions
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Ostracisé par les Surréalistes, puis par les Communistes, Tristan Tzara n’a jamais occupé la place qui devait être la sienne dans les différents mouvements d’avant-garde du XXe siècle. Alors que les œuvres d’Eluard, de Breton, de René Char, d’Aragon, de Michel Leiris ont été réunies dans la « Bibliothèque de la Pléiade » et promus ainsi au statut de textes classiques, les publications aussi variées que nombreuses de Tristan Tzara sont loin d’avoir bénéficié du même luxe éditorial. Certes, Henri Béhar en a réuni le plus grand nombre dans six volumes d’Oeuvres complètes chez Flammarion (1975-1991), mais plus aucun n’est disponible, à l’exception d’une compilation des Poésies complètes parue en 2011. Même disproportion au niveau des éditions en collections de poche, où Tzara est réduit à la portion congrue. Sans parler des grandes expositions qui ont été consacrées tantôt à René Char, André Breton, à Aragon, à Eluard, à Paris, en province et à l’étranger.   On ne peut donc que féliciter le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg de réparer une criante injustice et faire connaître à un public plus large un auteur majeur et un acteur important sur la scène littéraire et artistique de la première moitié du XXe siècle et de l’arracher au cliché de fondateur de Dada auquel il est malencontreusement réduit dans la plupart des manuels. Pourquoi Strasbourg ? Parce que l’un des tout premiers compagnons de Tzara fut Jean Arp, le plasticien et le poète d’origine alsacienne, dont les musées de Strasbourg conservent de œuvres et des...

Ostracisé par les Surréalistes, puis par les Communistes, Tristan Tzara n’a jamais occupé la place qui devait être la sienne dans les différents mouvements d’avant-garde du XXe siècle. Alors que les œuvres d’Eluard, de Breton, de René Char, d’Aragon, de Michel Leiris ont été réunies dans la « Bibliothèque de la Pléiade » et promus ainsi au statut de textes classiques, les publications aussi variées que nombreuses de Tristan Tzara sont loin d’avoir bénéficié du même luxe éditorial. Certes, Henri Béhar en a réuni le plus grand nombre dans six volumes d’Oeuvres complètes chez Flammarion (1975-1991), mais plus aucun n’est disponible, à l’exception d’une compilation des Poésies complètes parue en 2011. Même disproportion au niveau des éditions en collections de poche, où Tzara est réduit à la portion congrue. Sans parler des grandes expositions qui ont été consacrées tantôt à René Char, André Breton, à Aragon, à Eluard, à Paris, en province et à l’étranger.

  On ne peut donc que féliciter le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg de réparer une criante injustice et faire connaître à un public plus large un auteur majeur et un acteur important sur la scène littéraire et artistique de la première moitié du XXe siècle et de l’arracher au cliché de fondateur de Dada auquel il est malencontreusement réduit dans la plupart des manuels. Pourquoi Strasbourg ? Parce que l’un des tout premiers compagnons de Tzara fut Jean Arp, le plasticien et le poète d’origine alsacienne, dont les musées de Strasbourg conservent de œuvres et des archives importantes. Grâce à un parcours chronologique à travers quelques cinq cents œuvres, documents et manuscrits, réunis par Serge Fauchereau, Estelle Pietrzyk et Henri Béhar, le visiteur fait connaissance avec un artiste d’une richesse et d’une générosité insoupçonnées.

Une première salle est consacrée aux origines roumaines et aux débuts artistiques et littéraires de celui qui s’appelait encore Samuel Rosenstock. Né à Moinesti, dans le nord-est de la Roumanie, non loin des grands champs pétrolifères, Samuel est d’abord scolarisé dans une école juive de sa ville natale, puis, dès 1907 à Bucarest, dans une institution privée dispensant son enseignement en français. La famille, aisée, s’était installée dans la capitale, où le père occupait un poste important dans une compagnie pétrolière. Lycéen, le jeune Rosenstock crée, avec ses condisciples Marcel Janco et Ion Vinea, une petite revue, Simbolul (Le Symbol), qui accueille les premières productions de ces adolescent étonnamment au fait des différents mouvements d’avant-garde, françaises, allemandes, italiennes. A la rentrée de 1914, il s’inscrit à la Faculté de Philosophie et de Lettres, mais dès le semestre d’hiver 1915, ses parents l’envoient poursuivre ses études à Zurich. Les raisons de ce départ et le choix de Zurich sont loin d’être clairs : différent avec un de ses professeurs à Bucarest, volonté d’arracher le jeune homme à des fréquentations jugées douteuses, envie de retrouver son camarade Janco, déjà inscrit à l’Ecole polytechnique en architecture, désir d’éviter d’être appelé sous les drapeaux au cas où la Roumanie renoncerait à la neutralité, ce qu’elle fit dès le mois d’août 1916 ?

Toujours est-il, que six mois après son arrivée à Zurich, Tristan Tzara figure, avec Hugo Ball, Emmy Hennings, Jean Arp, Sophie Taeuber, Marcel Janco, Richard Huelsenbeck et d’autres, parmi les contributeurs des premières soirées du Cabaret Voltaire, qui a été inauguré le 5 février 1916, à la Spiegelgasse, non loin du domicile d’un certain Vladimir Ilitch Oulianov. Réformés et objecteurs de conscience avaient trouvé refuge dans une Suisse neutre dont la politique à l’égard des étrangers était alors particulièrement tolérante, ce qui n’empêchait pas la police zurichoise de surveiller discrètement ce groupe de réfugiés dont certins étaient soupçonnés de socialisme, voire d’anarchisme. En effet, Hugo Ball était un grand lecteur de Bakunin, auquel il comptait consacrer une grande étude qui, faute d’éditeur, n’a été publiée qu’en 2010, dans le cadre des ses Œuvres complètes.

Le terrain, à Zurich et ailleurs en Suisse, avait été quelque peu préparé par les artistes du Moderne Bund, Walter Helbig, Oscar Lüthy et Jean Arp (dont la famille était installée à Weggis depuis 1907), qui essayaient de faire connaître les avant-gardes allemandes et françaises par un public suisse des plus réticent[1]. Dès avant la fin de la guerre, le groupe Dada, qui protestait bruyamment contre la faillite de toutes les valeurs et de toutes les normes de cette civilisation européenne où les Allemands et les Français s’exterminaient au nom même de cette civilisation, s’est à nouveau dispersé, Huelsenbeck, par exemple, regagnant l’Allmagne dès 1917. Tzara lui-même, en relation avec Picabia et Apollinaire dès 1919, était attendu à Paris par le groupe de Littérature comme le nouveau Messie. On regrettera à ce propos l’absence des lettres de Breton, dont l’ardeur explique à elle seule la violence de leur brouille trois ans plus tard, au moment du procès Barrès (autre chapitre oublié).

La période Dada est, grâce au travaux de Michel Sanouillet, la mieux connue du parcours de Tzara. Et comme le Surréalisme avait comme principe de nier les mouvements concurrents que pouvaient être le Futurisme et le Dadaïsme, toute l’oeuvre de Tzara a été passé sou silence par la suite.  N’est ainsi connue que des spécialistes le rôle capital qu’il avait joué dans la découverte de l’ « art nègre », bien avant Breton et Eluard peut-être. Sa collection avait été une des toutes premières. Plutôt que d’être regroupés dans la section « Tzara et l’art extra-occidental », ces objets auraient mérité d’accompagner, en plus grand nombre et puisés à de meilleures sources, le parcours de Tzara depuis l’époque de la Première Guerre.

A été ainsi passé le plus souvent sous silence son engagement au moment de la Guerre d’Espagne. A ainsi été méconnue sa conception de la poésie qui, en dépit des circonstance historiques, avait, selon Tzara, ses objectifs propres. Aussi, Tzara ne partage-t-il pas avec Eluard, Aragon ou Sartre, la notion de « littérature engagée ». C’était se mettre en marge de certains courants. Et lorsqu’en 1947, il a l’outrecuidance, aux yeux de certains, d’évoquer à la Sorbonne « Le Surréalisme et l’après-guerre », il se fait chahuter par André Breton.

En dépit des différents ostracisme, Tzara à néanmoins poursuivi sa collaboration avec les grands artistes de son époque, qui lui sont resté fidèles : Picasso, Giacometti, Miro, Max Ernst, Yves Tanguy, Man Ray. Avec eux, il a réalisé quelques-uns des plus beaux livres illustrés des années trente à cinquante.

Surréaliste dissident, militant indiscipliné, Tzara n’était pas fait pour l’embrigadement. Malgré son adhésion au parti communiste, il n’a jamais obéi aux consignes de l’appareil. Ainsi, en 1956, il se trouve en Hongrie lorsque les chars soviétiques écrasent ceux qui demandent un peu plus de liberté. Son reportage étant refusé et par L’Humanité et par Les Lettres françaises, il de donne au Figaro et au Monde. Nouvelles brouilles.

C’est que Tzara tenait à rester un homme libre, hostile aux dogmes, étranger à tout mysticisme. Pour lui, l’homme ne pouvait être qu’ « approximatif », selon le titre de son grand poème épique enfin republié dans la collection « poésie », chez Gallimard. Même s’il ne sera sans doute jamais un auteur populaire, il faut espérer qu’il sortira enfin de son purgatoire.

par Robert Kopp.

[1] Voir l’excellent volume, Der Moderne Bund. Beginn der Moderne in der Schweiz, publié à l’occasion de l’exposition de Christoph Lichtin  au Kunstmuseum de Lucerne, Diopter, 2011.

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