Genève et l’indépendance de la Grèce Histoire d’une amitié
En 1821, la Grèce, prenant conscience d’elle-même, se soulevait, gagnant sa liberté au prix de lourds sacrifices. Comment ne pas célébrer ce bicentenaire ? Paris a ouvert le feu avec l’exposition du Louvre intitulée Paris-Athènes. Les organisateurs ont vu grand, trop grand, dans leur volonté de retracer en son entier l’histoire de la Grèce moderne, en y incorporant les découvertes archéologiques et le rôle des savants français. Genève réplique avec une exposition plus modeste, mais davantage centrée sur le thème. Et cette exposition a de surcroît l’originalité de mettre en lumière le rôle de Genève dans l’accession de la Grèce à l’indépendance. Les protagonistes en sont Jean Capodistrias et Jean-Gabriel Eynard.
Le premier, né à Corfou, fut un diplomate au service du tsar Alexandre 1er et, à ce titre, il participa au Congrès de Vienne. Son action en faveur de Genève au côté de Pictet de Rochemont lui valut la citoyenneté. Plus tard, il prit le parti de ses compatriotes insurgés et, en considération de sa notoriété de négociateur, il fut nommé premier gouverneur (président) de la Grèce, le 27 mars 1827. A charge pour lui de réformer le pays.
Ami de Capodistrias, le financier genevois Jean-Gabriel Eynard mit ses innombrables relations au service de la cause grecque, devenant le grand argentier et coordinateur des comités philhellènes européens.
L’exposition s’attache en priorité à ces deux figures. Tableaux à sujet historique, portraits, documents d’archives et objets de vitrine se succèdent, en alternance avec des panneaux explicatifs, aussi bien rédigés que discrets. Parmi les objets rattachés à Capodistrias, on peut admirer une superbe tabatière en or, dont le couvercle, émaillé au revers, présente une vue panoramique sur le Léman. Elle lui fut offerte par le Conseil d’Etat, en 1816. Mais le souvenir le plus émouvant est l’écharpe bleue et blanche, couleurs de son pays, que la belle Anna Eynard, nièce de Pictet et femme du banquier, broda à son intention. Elle la lui offrit alors qu’il s’apprêtait à quitter Genève pour la Grèce, où il allait endosser le rôle de président.
Comme attendu, l’exposition accorde une place équivalente à Jean-Gabriel Eynard, dans lequel je verrais volontiers un personnage de roman, une sorte de comte de Monte-Cristo bienveillant. On découvre certains des présents somptueux qu’il fit à Capodistrias, parmi lesquels une montre de poche à sonnerie, signée Bautte & Moynier, chef-d’œuvre du genre. Et pour démontrer que l’intérêt de Jean-Gabriel Eynard pour la Grèce s’étendait à son passé culturel glorieux, les responsables de l’exposition ont eu l’heureuse idée de présenter dans une salle annexe sa collection de vases antiques, provenant des colonies grecques d’Italie méridionale. A proximité de ces antiquités, exposées pour la première fois, ils ont placé un portrait du propriétaire, sous la forme d’un daguerréotype, ce qui permet de signaler en passant que l’homme, décidément hors pair, se passionnait également pour le progrès technique.
Cette commémoration est placée sous le patronage de la Fondation Hardt (Vandoeuvres). Dévolue à l’étude de l’Antiquité classique, elle jouit d’une réputation internationale, ce que la plupart des Genevois semblent ignorer.
Jacques Chamay
Genève, Musée d’art et d’histoire, 15 octobre 2021-30 janvier 2022