CARAQUOI ?

Commençons par la dernière salle de l’exposition Corps et Ombres, par un génie: Georges de La Tour. Il est le plus grand Lorrain. Venez avec moi, là, ne faites pas de bruit, voyons le Nouveau-né (Nativité serait un meilleur titre). «Tout ce que la physiologie peut dire sur les commencements de l’homme est là !», dixit Taine. Combien de paix cachant combien de joie ! autour de cette masse pyramidale qu’est Marie, autour de l’Enfant aux paupières bombées, qui n’a pas plus d’un jour, autour de la main de sainte Anne, la grand-mère, qui rabat la lumière sur la lumière même... Vous dites, vos lèvres pincées: «Un saint peignit ceci». Vous vous méprenez, car il semble que notre peintre de Lunéville fut un homme colère, tout au moins colérique: «Drouain Bastien dix francs pour l’indemniser de sa cure des messieurs par luy des coups de baston a luy donnés par Me George de la Tour…» lit-on dans les archives locales. Peu importe l’origine de ce procès, mais, vous savez vos Fables mieux que moi: «Garde-toi, tant que tu vivras, / De juger des gens sur la mine». Je vous laisse faire l’analogie. Tenez, sa mine justement. Voici le Tricheur à l’as de carreau. D’aucuns disent que l’homme accoudé à gauche, aux aiguillettes dénouées (signe de débauche), celui qui donne son nom au tableau parce qu’il tire un as de dessous sa ceinture, dans son dos, celui-là serait notre peintre. J’aime beaucoup l’idée. Rouquin Lorrain (notez qu’est roux lui aussi l’indescriptible...

Commençons par la dernière salle de l’exposition Corps et Ombres, par un génie: Georges de La Tour. Il est le plus grand Lorrain. Venez avec moi, là, ne faites pas de bruit, voyons le Nouveau-né (Nativité serait un meilleur titre). «Tout ce que la physiologie peut dire sur les commencements de l’homme est là !», dixit Taine. Combien de paix cachant combien de joie ! autour de cette masse pyramidale qu’est Marie, autour de l’Enfant aux paupières bombées, qui n’a pas plus d’un jour, autour de la main de sainte Anne, la grand-mère, qui rabat la lumière sur la lumière même… Vous dites, vos lèvres pincées: «Un saint peignit ceci». Vous vous méprenez, car il semble que notre peintre de Lunéville fut un homme colère, tout au moins colérique: «Drouain Bastien dix francs pour l’indemniser de sa cure des messieurs par luy des coups de baston a luy donnés par Me George de la Tour…» lit-on dans les archives locales. Peu importe l’origine de ce procès, mais, vous savez vos Fables mieux que moi: «Garde-toi, tant que tu vivras, / De juger des gens sur la mine». Je vous laisse faire l’analogie. Tenez, sa mine justement. Voici le Tricheur à l’as de carreau. D’aucuns disent que l’homme accoudé à gauche, aux aiguillettes dénouées (signe de débauche), celui qui donne son nom au tableau parce qu’il tire un as de dessous sa ceinture, dans son dos, celui-là serait notre peintre. J’aime beaucoup l’idée. Rouquin Lorrain (notez qu’est roux lui aussi l’indescriptible Saint Jean-Baptiste de Vic-sur-Seille, pour lequel La Tour fit peut-être poser son fils, Étienne). Allons dans la salle suivante, ou plutôt: la précédente. Ah ! Juste un instant, sur votre gauche, le Vielleur de Nantes. Avant d’être rendu à Georges, on hésitait à l’attribuer, entre autres, à Murillo, Zurbarán et Velázquez. Dur à dire, mais le troisième seulement aurait dû sembler acceptable. Stendhal écrivit à propos de ce tableau, dans ses Mémoires d’un Touriste: «Ignoble et effroyable vérité…». Noble peintre surtout. On ne regardera jamais trop cette harmonie où, comme dans quelque fruit duveteux, est un noyau crispé, le visage de l’aveugle musicien

En face de nous, voici le Saint Sérapion de Zurbarán, chef-d’œuvre de sa première période sévillane. De Profundis – vous connaissez le beau livre de Wilde – ces mots désignaient la chapelle mortuaire où, dans un couvent, on exposait le corps des moines morts, avant qu’ils fussent enterrés. C’est dans un tel contexte qu’on méditait sur cette image, ce religieux de la Merci torturé par des pirates en Écosse, abandonné entre deux poteaux, dépecé, éventré, le cou à moitié tranché, résigné, donnant sa vie pour son Ordre. Mais ce visage tuméfié parle encore d’amour. D’ailleurs, on ne voit rien ! rien que l’habit blanc sublimement lourd, avec, de biais, l’écusson de l’Ordre. Vous me dites que vous n’en frissonnez que davantage. Tableau d’agonie, je songe à la «réverbération de Dieu sur le mur humain» (Hugo). […]

Ce serait son frère: Portrait présumé d’Aubin Vouet, par Simon Vouet. Il ne nous reste pratiquement plus de portraits de sa main, pourtant Vouet fut d’abord célèbre comme portraitiste. Écoutez, je donne aux romanciers ce sujet, ce canevas, digne de Dumas : Vouet, fils de peintre, fut choisi, adolescent, pour aller en Angleterre portraiturer une «Dame de grande qualité» (ainsi la désigna le grand historien Félibien) – qui était-elle ? On l’imagine semblable à la Dame à l’éventail de Velázquez. On imagine des manchons, des diamants échangés. L’enfant prodige fut-il apprenti-espion ? Ce portrait (revenons-y) montre un don certain à rendre physionomie et psychologie. Son frère ! Quel regard bon et complice porte sur lui l’aîné ! Son frère, me dites-vous, mais il est à croquer ! Vous ne quittez plus ses lèvres, je le vois, vous songez qu’elles montrent la formule de la cerise: très humide sous très lisse. […] Mais vous me parlez d’un peintre violent, de soumission religieuse, de lèvres à croquer… Et Caravage dans toute cette histoire (neuf de ses tableaux ouvrent l’exposition) ? – Caraquoi ?

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