Pourquoi Fabrice Hyber est-il un artiste important ? À 50 ans, le dessinateur, peintre «homéopathique», sculpteur et réalisateur expose en parallèle au Palais de Tokyo, à la Fondation Maeght, au Mac/Val et à l’Institut Pasteur. Décodage d’un talent bouillonnant où l’œuvre est un risque, la dispersion un écho…
Dans son nouvel atelier aux portes de Paris, Fabrice Hyber crée un univers original et complexe qui séduit la planète. À l’entrée, un gigantesque mur en métal bascule sous le poids du visiteur. Sésame de son univers ludique, en mutation constante, la Maison qui avance. L’artiste virevolte entre dessins au sol et tubes de peinture Charvin, le sourire malicieux ourlé d’enfance, dandy bienveillant en costume short signé Lanvin et sandales J.-B. Rautureau – «Vendéen, comme moi ! C’est essentiel, je me nourris de mes racines». Lauréat du Lion d’or pour son pavillon à la Biennale de Venise (1997), il nous dévoile les articulations de sa pensée en rhizome. Qu’importe le support: toile, acier, résine, vidéo, Hyber opère de constants glissements entre peinture, sculpture et installation. Sa démarche, poétique, scientifique et philosophique, a toujours le dessin pour socle. Le propos est rond: L’humain comme vecteur… Multiplier les niveaux de rêve… Le talent étonne, envoûte. Inscrit au Guinness des Records pour un autoportrait réalisé avec 27 tonnes de savon (1991), en écologiste convaincu, l’homme vert a planté 100’000 arbres fruitiers à Cahors. Et il a mis les amateurs d’art en quête de ses «POF», prototypes d’objets en fonctionnement. D’un Hyber marché (Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, 1996) à un C’Hyber rallye (Tokyo, 2001), son art, Work in process, ne ferme rien, multiplie les possibles. Fabrice Hyber est passé par des études scientifiques avant d’intégrer les beaux-arts de Nantes, ville dans laquelle il ouvre une école de Réal (école de réalisateurs); depuis 20 ans, il développe sa pensée dans des Peintures homéopathiques. Son activité XXL, loin de combler son vertige créatif, l’aiguise.
Il dévoile les esquisses du plafond du futur restaurant de Guy Savoy à Doha, Hyber collectionneur. Feutre en main, architecte de ses désirs, il scénographie ses expositions en couvrant de croquis la toile blanche avec une énergie passionnée. Exposé mais pas surexposé, guidé par le risque, Hyber cherche à déclencher un comportement différent. Pari gagné…
Quatre expositions en parallèle, c’est une première pour un artiste français !
Fabrice Hyber: Le Palais de Tokyo propose de m’accueillir depuis longtemps. Comme une boutade, je répondais: c’est trop petit pour une rétrospective, on fera plutôt des expos dans plein d’endroits y compris chez vous afin de jouer sur la dispersion avant, un beau jour, de tout rassembler. Et voilà que cette somme devient réalité !
Quelle démarche préside-t-elle à Matières Premières, la rétrospective du Palais de Tokyo ?
Le fil rouge est de proposer un spa mental construit comme un paysage interactif organisé sur deux niveaux de lecture. Une entrée active, l’autre contemplative, mettent en perspective œuvres anciennes et pièces nouvelles à l’étage. Ce lieu de remise en forme confronte le visiteur à des matières peu habituelles pour susciter de nouveaux comportements. Invité à se délester de ses habits dans un vestiaire sur roulettes, il récupère – ou échange ? – ses affaires à la sortie après avoir suivi un parcours qui mène aux cimaises. Il se rhabille aussi avec ma collection de vêtements pour entrer dans une œuvre: un jeu de rideaux de 500 m2, sans l’abîmer. Sur un Terrain de jeu pour ballon carré, le public au centre regarde quatre équipes de trois joueurs et deux arbitres dont le but est de mettre les ballons dans les coins avec des écrans vidéo qui captent les angles. J’ai aussi créé un costume d’homme-éponge pour qu’il n’aille pas dehors quand il pleut et celui du gardien des POF. Côté sensations, l’amateur venu avec ses poubelles de papier ou de déchets organiques peut les compresser; traverser La maison des vents (clin d’œil au réchauffement climatique); plonger dans un bain d’odeurs ou d’argent, version Picsou. Et attention aux 500 litres d’eau qui peuvent aussi, d’un coup, tomber sur lui !
À l’institut Pasteur, le nouveau bâtiment dédié aux maladies émergentes expose-t-il une mosaïque de 120 m 2 comme un témoignage de l’art, appliqué à la science ?
Sans gêne est une œuvre pérenne qui a pour sup – port le mur d’un ascenseur destiné en priorité aux chercheurs. Elle mêle médecine et astrophysique, physique et télépathie. Les imageries médicales ont toujours un aspect sans gêne surtout quand il s’agit des parties génitales… Sur cinq étages –19 m de haut, 8 de large – composée de 900 pièces créées aux ateliers de Sèvres, elle évoque la double hélice de l’ADN et aussi une forêt ou le pendule de Foucault, apparu au siècle de Pasteur.
La Fondation Maeght accueille 20 peintures Homéopathiques, bilan visuel de votre cheminement mental, rarement présentées: Essentiel ?
Mes peintures homéopathiques sont autant de « story-boards » à multiples entrées à absorber par bribes, d’où leur titre. Elles témoignent de la dynamique d’une pensée en train de naître à un moment donné et sont donc numérotées. Je ne veux jamais arrêter les choses, les contacts ni les formes, encore moins les figer dans des protocoles confortables. Par le dessin, je formule ma pensée puis surgissent ces toiles où je résume les scénarios d’une année réunissant toutes les questions qui jalonnent mon travail. À la fin, ces montages complexes sont figés dans une couche de résine qui les met en évidence.
Dans les jardins, l’Homme de Bessines, sculpture fontaine née d’une commande publique (Deux-Sèvres) dupliquée à Shanghaï, Lisbonne, Tokyo et Londres, est-elle un autoportrait ou l’image d’un super héros «écolo» ?
La physionomie de cet extraterrestre, proche de la nôtre, a la taille (86 cm) d’un nain de jardin. Son physique de notable ventru qui ne sait pas trop où mettre ses mains, loin de l’autoportrait, pourrait être moi plus vieux ! Le sens de l’œuvre consiste en une invasion et je voulais qu’elle se déploie dans le monde entier. Cet effet viral n’est pas nouveau: depuis Dürer on pratique la duplication des œuvres. Aujourd’hui, on va jusqu’à multiplier les gènes… Là, 15 sculptures dont les orifices crachent de l’eau comme des humeurs du corps en informant le cerveau, dialoguent avec d’autres œuvres d’art contemporain.
Enfin, au Mac/Val (musée d’art contemporain du Val-de-Marne) vous rassemblez 156 POF – prototypes d’objets en fonctionnement – forme d’écologie mentale sur laquelle vous travaillez depuis 1991…
Je donne des objets familiers, détournés de leur fonction originelle pour que les gens changent leurs comportements. Il ne faut pas fermer les formes comme dans le design et son obsession fonctionnelle. À la différence d’un prototype industriel, le POF propose un jeu d’ouverture transformable par un équilibre à redéfinir en permanence. L’œuvre d’art est le début d’une phrase qui n’est pas terminée… Le public est invité à tout tester: Ballon carré, Voiture à double tranchant, Balançoire… Cette POF House interactive doit, en fin de saison, preuve qu’elle aura bien fonctionné, être intégralement détruite !