Par le choix d’une authenticité reconquise dans la relation entre l’objet et les préjugés ou les illusions qu’il dénonce; par l’équilibre entre vision critique et esthétique méticuleuse, le jeune studio italien – salué par les experts – compte au nombre des designers actuels les plus influents.
Retour vers le futur À l’instar de la collection textile Colony (2011) créée pour la galerie londonienne Libby Sellers, qui traite de l’époque oubliée du colonialisme italien en Afrique, leurs travaux, aux dimensions quasi oniriques, interpellent par leur capacité à manifester l’intention qui les sous-tend. En réalité, les deux designers n’ont pas tardé à se singulariser par leur attitude critique à l’égard du passé, dont la relecture introduit, dans l’univers du design, des thèmes contemporains essentiels, tels l’avenir du paysage industriel, le scénario d’un futur sans pétrole, l’identité culturelle, la sous-traitance comme aspect du colonialisme contemporain, l’open source ou encore l’autoproduction comme forme de résistance à l’expropriation créative perpétrée par les processus de production. Aiguisées par un flux de réflexions, leurs recherches, si elles ne produisent pas de certitudes, servent du moins à mettre en exergue des contradictions. Avec Moulding Tradition (2009), qui réinterprète les traditionnels vases siciliens à têtes de Maures, ils questionnent l’idée d’assimilation des courants culturels entre l’Italie et l’Afrique du Nord, la première d’abord conquérante avant de devenir terre d’immigration. Le résultat: des céramiques épurées, mais conservant la sombre dureté de l’actualité; des médaillons et des rubans restituant les taux annuels de réfugiés et des chroniques sur l’immigration publiées durant la période de développement du projet. «Les objets, soulignent les créateurs, sont capables d’exercer une extraordinaire pression communicative grâce à leur capacité d’être des vecteurs culturels.»
Pas de dérive passéiste dans leurs analyses parfois cinglantes de certains moments de l’histoire, mais l’utopie d’une réconciliation au-delà de visions irréconciliées. Pas non plus de «revival» à la mode dans la revisitation de formes archétypales et le recours à des modes de production artisanale, mais une tentative de comprendre le présent et ses possibles évolutions. Quant à l’approche écologique, elle semble, de même, détachée de tout opportunisme. «Le développement durable n’est pas un choix dicté par la tendance. Il s’impose, de nos jours, comme la seule alternative plausible» note Andrea Trimarchi. Avec Botanica (2011), une installation demandée par la Fondation Plart, axée sur la recherche des matières plastiques, leurs investigations sur les polymères naturels de l’époque pré-bakélite ont montré comment les éléments du passé peuvent assumer un rôle novateur dans un contexte contemporain. De même, le projet Charcoal présenté ce printemps par le Vitra Design Museum, bouscule la perception du charbon de bois polluant, en utilisant le matériau comme agent purificateur de l’eau, une technique utilisée dans l’Égypte ancienne et toujours d’actualité au Japon. En collaboration avec la Suissesse Doris Wicki, l’une des dernières artisanes à produire encore du charbon végétal, et avec l’aide d’un souffleur de verre et d’un maître ébéniste, les designers ont réalisé une première série de récipients dotés de filtres et d’accessoires.
Manifestes
Dans tous ses projets, le studio utilise les données de ses recherches, soit comme une base matérielle donnant naissance à ses créations, soit comme une boussole théorique des techniques de production et du patrimoine culturel dans un contexte mondialisé. Avec Hidden, l’un de ses premiers projets, présenté en 2009, Formafantasma empiète sur les méthodes de production standard en créant un emballage en bois plus précieux que la banale horloge qu’il contient. Depuis, la remise en question de la mondialisation est passée par le degré zéro du design. Une approche radicale, un retour à l’essentiel. Véritables manifestes, Baked et Autarchy, répondent aux besoins élémentaires de l’humanité. De la farine, du sel et des éléments végétaux comme matériaux d’objets du quotidien; du pain, métaphore d’une production locale et manuelle: «Façonner le connu, récupérer le familier à travers le design, c’est le plus sûr moyen de proposer des objets porteurs de sens nouveaux.»
Trimarchi et Farresin se sont connus à l’ISIA (Institut supérieur pour les industries artistiques) de Florence et ont poursuivi leurs études à la Design Academy d’Eindhoven, aux Pays-Bas où ils se sont installés. Tandis qu’ils mènent leurs recherches autour de la lave de l’Etna pour en tirer du verre, ils se voient invités à collaborer avec des firmes internationales du design industriel, Flos, Magis, Moroso. Au nom d’une plus grande accessibilité à l’objet, jusqu’ici auto-produit ou édité en séries limitées par des galeries, des musées ou des fondations, ils restent ouverts, sans compromission, aux questions cruciales soulevées par ces nouvelles expériences.