Bernard de Leye portrait d’un homme d’Argent

En europe, ses pairs se comptent sur les doigts de la main: trois en Belgique, deux peut-être en France… L’argenterie européenne ancienne est une passion de la rareté, exigeante tant pour les marchands que pour les collectionneurs. Bernard de Leye, qui depuis trois ans partage son temps entre son activité professionnelle et son rôle de président de la BRAFA, est un homme passionné, volubile, et fort sympathique. En 2003, il a choisi de fermer sa galerie pour travailler chez lui, dans une belle maison de style début XXe où il reçoit les collectionneurs. Nous avons eu le privilège d’y passer quelques heures très agréables, au milieu des splendides objets qui font sa réputation depuis maintenant trente-six ans… Comment un homme qui n’est pas du sérail devient-il l’un des plus grands marchands d’argenterie de la place ? Bernard de Leye: Mes parents étaient libraires; mon père, en particulier, était un très grand connaisseur en livres anciens. Malheureusement, il est tombé malade très tôt, et a fini par ne plus pouvoir travailler. J’avais alors quatorze ans, et j’ai dû faire en sorte que ma famille puisse subsister. Pendant trois ans j’ai fait un peu n’importe quoi, et puis un jour, j’ai décidé d’essayer de vendre le stock de livres de mon père. J’ai donc été sur le marché aux puces de Bruxelles. C’étaient des conditions épouvantables bien sûr, au vent et à la pluie, et je ne vendais pas grand-chose; par contre le contact avec la clientèle m’a beaucoup plu. J’ai fini...

En europe, ses pairs se comptent sur les doigts de la main: trois en Belgique, deux peut-être en France… L’argenterie européenne ancienne est une passion de la rareté, exigeante tant pour les marchands que pour les collectionneurs. Bernard de Leye, qui depuis trois ans partage son temps entre son activité professionnelle et son rôle de président de la BRAFA, est un homme passionné, volubile, et fort sympathique. En 2003, il a choisi de fermer sa galerie pour travailler chez lui, dans une belle maison de style début XXe où il reçoit les collectionneurs. Nous avons eu le privilège d’y passer quelques heures très agréables, au milieu des splendides objets qui font sa réputation depuis maintenant trente-six ans…

Comment un homme qui n’est pas du sérail devient-il l’un des plus grands marchands d’argenterie de la place ? Bernard de Leye: Mes parents étaient libraires; mon père, en particulier, était un très grand connaisseur en livres anciens. Malheureusement, il est tombé malade très tôt, et a fini par ne plus pouvoir travailler. J’avais alors quatorze ans, et j’ai dû faire en sorte que ma famille puisse subsister. Pendant trois ans j’ai fait un peu n’importe quoi, et puis un jour, j’ai décidé d’essayer de vendre le stock de livres de mon père. J’ai donc été sur le marché aux puces de Bruxelles. C’étaient des conditions épouvantables bien sûr, au vent et à la pluie, et je ne vendais pas grand-chose; par contre le contact avec la clientèle m’a beaucoup plu. J’ai fini par emporter, en plus de mes lourdes caisses de livres, des objets de brocante qui se trouvaient chez mes parents. Ces objets, au contraire des livres, sont partis très vite. Je m’étais probablement trompé sur les prix, mais quand même, c’était très encourageant. J’ai racheté d’autres objets dans ce goût, jusqu’à trouver un jour des objets en argent, que je ne connaissais pas du tout. C’est un collègue qui m’a dit que ces couverts, qui n’avaient probablement guère plus de cinquante ou soixante ans, étaient en argent massif. Ce n’était pas des merveilles, ces couverts, mais cela valait un peu plus que le prix que j’en demandais, et non seulement ce collègue m’a permis de faire une meilleure affaire, mais il m’a aussi offert un bouquin sur les poinçons d’argent, le petit Tardy, qui est le plus classique des livres sur les poinçons d’argent. Cela m’a passionné et je me suis rendu compte de la nécessité d’étudier, ce que je n’avais pas pu faire auparavant. J’ai continué à acheter des pièces d’argenterie, modernes surtout, car mes moyens ne me permettaient pas autre chose, et un jour, je suis tombé sur un lot très important. J’ai mis un an à étudier ces pièces, que j’avais eues pour très peu d’argent car elles étaient passées comme bronzes dorés dans une vente très connue à l’époque. Or il s’agissait en réalité de vermeil, c’est-à-dire d’argent massif recouvert d’un plaquage d’or. De plus, elles portaient les armoiries de la famille des rois de France. J’ai pu revendre ces pièces pour une grosse somme, du moins à mes yeux, moi qui n’avais rien à l’époque, et cela m’a permis d’acheter des pièces plus importantes, et de me lancer véritablement dans la profession. J’étais passionné et j’ai aussi acheté des livres, des livres et encore des livres, pour apprendre, jusqu’au jour où j’ai fait mon propre livre… Celui que vous avez entre les mains est le deuxième, et le troisième est en préparation.

Tous vos livres, ainsi que votre Mémoire sur l’orfèvrerie, portent sur l’orfèvrerie continentale. Vous m’avez précisé ne pas vous intéresser à l’argenterie anglaise. Pourquoi cela ? C’est très facile à expliquer. En Europe continentale, l’argenterie a souvent été fondue pour faire face aux difficultés monétaires. Les belles pièces anciennes sont donc relativement rares, surtout l’argenterie française, qui est la plus rare et la plus chère. Les Anglais ont toujours fait de bonnes affaires et de plus, ils possédaient les principaux gisements d’argent. Or à l’époque, contrairement à aujourd’hui, c’était le métal qui valait cher, et non la main-d’œuvre. Pour toutes ces raisons, l’argenterie anglaise est pléthorique. Il y a plus de deux cents marchands, rien qu’à Londres, et dans chaque vente il y a deux ou trois cents numéros, ce qui est énorme. Rien n’est vraiment rare, vous pouvez trouver tout ce que vous voulez, alors que pour ce qui est de l’argenterie continentale, même si vous avez beaucoup de moyens, vous ne trouverez pas forcément la pièce que vous cherchez.

Il y a un côté chasseur de trésor alors… Oui, c’est ça. Je n’ai pas – heureusement pour moi! – l’âme d’un collectionneur; je n’ai pas vraiment de peine à me séparer des objets. Par contre, les dénicher, trouver l’objet rarissime… ça c’est mon plaisir, et ma fierté.

On vous imagine toujours sur la brèche, à l’affût… La renommée joue aussi son rôle, je suppose… Oui, au fil des années, la confiance se crée, on tisse une bonne toile et les objets viennent à vous par le sérieux de votre réputation. C’est parfois même surprenant: moi qui suis spécialiste des XVIIe et XVIIIe, je suis récemment tombé sur plusieurs objets beaucoup plus anciens, d’une rareté absolue, comme cette splendide croix catalane, datant de la fin du XIVe, qui devait servir dans les processions, tenue à deux mains par un officiant.

Est-il facile de trouver des acheteurs pour ces trésors ? Assez, même si je peux avoir à garder certaines pièces quelques années dans mon stock. Ce qui est difficile, c’est vraiment de trouver l’objet. Vous savez, souvent les collectionneurs d’objets anciens commencent par acheter des tableaux, ou des meubles, et ne viennent que tardivement à l’argenterie, il est vrai plus chère. La plupart regrettent pourtant ne n’avoir pas commencé plus tôt à s’y intéresser.

Les marchands comme vous sont peu nombreux, trois en Belgique, deux en France… Souffrez-vous de la concurrence des grandes maisons de vente, telles que Christie’s ou Sotheby’s, par exemple? Si, un peu, mais j’ai appris mon métier en assistant aux grandes ventes que ces deux maisons organisaient traditionnellement au printemps et en automne à Genève. Je venais quelques jours avant la vente, avec ma loupe, et je me contraignais à prendre en main chaque objet pour l’étudier, ce qui est bien sûr impossible dans les musées. J’étais devenu assez ami avec Kobus Duplessis, l’expert de Sotheby’s, malheureusement décédé aujourd’hui; il était l’un des meilleurs experts que j’ai connus et discuter avec lui s’est souvent avéré enrichissant.

La profession entière se retrouvait dans ces ventes de Genève, et des collectionneurs aussi bien sûr, c’était une émulation et une ambiance extraordinaire. La plupart des gens du métier regrettent cette époque des ventes dédiées à l’orfèvrerie, moi le premier. Et certaines ventes, comme celle de Thurnund Taxis en 1992, ont tout simplement été extraordinaires!

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