Critique et politique

La 54e édition de la Biennale Internationale de Venise a reçu plus de critiques que de louanges dans la presse internationale. Je ne parlerai pas des «stars», tels Mai-Thu Perret, Maurizio Cattelan, Urs Fischer, Katharina Fritsch, Cindy Sherman, Rosemarie Trockel ou James Turrel. Entendons-nous bien, la Biennale de Venise, sous titrée cette année Illuminations, est une mosaïque d’expositions et de prestations. Son axe principal se déroule à l’Arsenal, une longue halle qui servait, à l’époque où Venise était une puissance maritime, à armer les bateaux avant qu’ils ne prennent la mer. Le commissaire en est la critique d’art et conservatrice de musée suisse, Bice Curiger, à qui a aussi été confié le pavillon central des Giardini – dit «pavillon italien» – les autres pavillons étant sous la responsabilité de commissaires nationaux. Hors Biennale officielle, mais incluses dans les programmes donnés à la presse, une multitude d’expositions ont été confiées à des commissaires extérieurs: le palazzo Fortuny, le palazzo Grassi, la Dogana, la Fondation des Arméniens, pour ne citer que les plus visités. Cette année 2011, les journées d’ouverture coïncidaient avec le long week-end de l’Ascension. Outre un public qui voulait profiter de ces trois jours de vacances, la Biennale avait ouvert ses portes à des groupes étrangers qui, dollars en main, pouvaient se mêler aux journalistes. Je signale cette particularité pour que le lecteur puisse s’imaginer la cohue sur les vaporetti, l’attente (parfois trois bateaux avant de pouvoir monter à bord), et la multitude de taxis hélés par les touristes fatigués d’attendre, qui...

La 54e édition de la Biennale Internationale de Venise a reçu plus de critiques que de louanges dans la presse internationale. Je ne parlerai pas des «stars», tels Mai-Thu Perret, Maurizio Cattelan, Urs Fischer, Katharina Fritsch, Cindy Sherman, Rosemarie Trockel ou James Turrel.

Entendons-nous bien, la Biennale de Venise, sous titrée cette année Illuminations, est une mosaïque d’expositions et de prestations. Son axe principal se déroule à l’Arsenal, une longue halle qui servait, à l’époque où Venise était une puissance maritime, à armer les bateaux avant qu’ils ne prennent la mer. Le commissaire en est la critique d’art et conservatrice de musée suisse, Bice Curiger, à qui a aussi été confié le pavillon central des Giardini – dit «pavillon italien» – les autres pavillons étant sous la responsabilité de commissaires nationaux. Hors Biennale officielle, mais incluses dans les programmes donnés à la presse, une multitude d’expositions ont été confiées à des commissaires extérieurs: le palazzo Fortuny, le palazzo Grassi, la Dogana, la Fondation des Arméniens, pour ne citer que les plus visités.

Cette année 2011, les journées d’ouverture coïncidaient avec le long week-end de l’Ascension. Outre un public qui voulait profiter de ces trois jours de vacances, la Biennale avait ouvert ses portes à des groupes étrangers qui, dollars en main, pouvaient se mêler aux journalistes. Je signale cette particularité pour que le lecteur puisse s’imaginer la cohue sur les vaporetti, l’attente (parfois trois bateaux avant de pouvoir monter à bord), et la multitude de taxis hélés par les touristes fatigués d’attendre, qui ont allègrement contribué, même voguant à 10 km/h, à la destruction de Venise.

Méfait de la crise économique qui touche la zone euro ? Ou politique d’enrichissement pour le gouvernement vénitien ? Florins et sols sont tombés dans beaucoup d’escarcelles, la cohue envahissant le moindre café, la moindre terrasse, jusqu’au célèbre Florian de la piazza San Marco où de longues queues de consommateurs frustrés occultaient jusqu’aux accès aux étages. La patience était de rigueur si l’on voulait avoir la chance d’attraper une boisson ou d’accéder à une exposition.

Dans le pavillon central, où Bice Curiger a exposé sept artistes décédés, tel Sigmar Polke, autour de trois toiles importantes du Tintoret, Le Dernier Souper, le Vol du corps de Saint Marc et La Création des animaux, on ne remarque avec bonheur que le travail de Pipilotti Rist: une superposition de dessins tracés au stylo-feutre sur des vedutte vénitiennes peintes sur toile; ou les œuvres de Cyprien Gaillard. Dans ces mêmes Giardini, le pavillon égyptien présente des vidéos d’un martyr de la révolution égyptienne: Ahmad Basiony, tué d’une balle dans le cou le samedi 28 janvier 2011, au quatrième jour de la révolution, place Tahrir. Professeur d’art contemporain et de performance, âgé de trente et-un ans, père de deux enfants, il avait, depuis le début utilisé le réseau Facebook pour encourager les gens au rassemblement. Autre politique, celle du pavillon israélien: les commissaires, Arad Turgeman et Michael Gov, associés à Ilan Wizgan et Jean de Loisy, présentent le travail de l’artiste Sigalit Landau: un plaidoyer pour qu’Israël accepte de pomper dans la nappe phréatique sur la rive droite du Jourdain et de la mer Morte, et d’élargir le territoire palestinien de Cisjordanie, de sorte à doter les paysans d’un quota d’eau suffisant pour irriguer leurs cultures. Étrange choix pour un pavillon national, qui laisse supposer que le ministère de la culture d’Israël prend un parti en quelque sorte contestataire.

Politique aussi, le pavillon suisse confié à Thomas Hirschhorn. Sous le titre «Crystal of Resistance», l’artiste prend parti pour l’art, seule opposition efficace au monde industriel qui ronge peu à peu la planète, ainsi qu’aux guerres dévastatrices menées par des idéologies déviantes ou la recherche de profits. Le public s’attendait à ce que le Prix de la Biennale lui soit attribué, mais à Venise, c’est une autre politique qui domine et c’est le pavillon allemand qui a reçu le prix: une église en bois, construite par Christoph Schlingensief décédé en août 2010.

Politique encore, le film projeté dans TRA, au palazzo Fortuny, Passage 2001, de Shirin Nashat, où l’on voit des femmes voilées creuser une tombe à mains nues et se faire prendre dans la langue de feu du bûcher, résurgence d’une image que l’on pouvait voir il y a deux ans, dans le choix opéré par le commissaire, Axel Vervoordt, dont cette édition sera la dernière participation. Politique également, le village chinois construit à l’entrée de l’Arsenal par un groupe d’artistes, Yuan Gong, Pan Gonkai, Liang Yuanwei, Yang Maoyuan et Cai Zhisong, dont la présence manifeste l’ambition de la Chine de donner à l’Occident une image d’ouverture. Toujours à l’Arsenal, le secteur offert aux pays d’Amérique latine, sous le titre Entre toujours et jamais, rassemble – afin de célébrer le bicentenaire de l’indépendance latino-américaine – non seulement l’Argentine, le Brésil, le Chili ou Cuba, mais tous les autres pays de l’Amérique centrale et latine. Entre la tentation du modèle américain et le dénuement des paysans, ce secteur laisse au visiteur une forte impression. Dans les bas-côtés de l’Arsenal, une petite salle peu visitée: neuf lecteurs de microfiches qui font défiler des événements du XXe siècle, tels l’appel sous les armes en 1914 ou en 1939, les lettres des conscrits à leur famille et l’annonce de leur mort sur le champ de bataille. Notons encore la présence du sous-continent indien et des Émirats Arabes unis. Politique enfin, le film de Christian Marclay: The Clock, qui rend attentif au fait que, dans le bousculement de la vie moderne, personne n’est capable de concentrer son attention sur un sujet plus d’une heure ou deux.

Au Palazzo Grassi, l’exposition intitulée Le Monde vous appartient, propose, entre autres, un film du Français Cyprien Gaillard: la destruction au bulldozer d’un cimetière de banlieue, où l’on voit des cercueils broyés par la pelleteuse.

La Biennale de Venise est assurément l’une des grandes foires de l’art contemporain. C’est sans doute aussi parce qu’elle permet à chaque visiteur d’y trouver son bonheur.

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