Commissaire-priseur, président d’Artcurial, Francis Briest initie en son Donjon de Vez une selling exhibition de 30 sculpteurs internationaux. Voyage dans les coulisses de Small, Medium, Large; l’opportunité de faire un point sur le marché de l’art.
Lorsqu’il n’est pas au marteau, Francis Briest – recordman des enchères avec une toile de Lyonel Feininger adjugée ce 29 mai à près de six millions d’euros – se trouve dans son château médiéval. Le Donjon de Vez, classé monument historique et l’une des merveilles du patrimoine français, a été acquis en 1988. Ouvert aux ténors de l’art, le Donjon est une œuvre évolutive: Daniel Buren signe les verrières de la chapelle du XVIe siècle; Sol Lewitt un Wall Drawing; Antoine Bourdelle enchante la cour de ses sculptures et le Pot d’or de Jean-Pierre Raynaud se reflète dans le bassin du parc. Signé par l’architecte paysagiste Pascal Cribier, le parc lui-même est labellisé Jardin remarquable. Le Donjon de Vez, déjà ouvert au public puisqu’il a accueilli les cabanes de Kawabata et les œuvres de Giacometti, propose pour la première fois une selling exhibition…
Comment est né le concept de Small, Medium, Large ? Francis Briest: En partant du constat que lorsque collectionneurs et amateurs ont fait le plein d’œuvres pour leurs murs, ils cherchent des sculptures ou des installations pour leurs terrasses et jardins. Le succès d’Art Unlimited à Art Basel, initié il y a 6 ans sur 50 m2 et qui s’étend aujourd’hui sur 3’000 m2 en dit long… Quant au titre, ce slogan est exportable dans le monde entier.
Sur quels critères avez-vous sélectionné les artistes ? Avec Susanne van Hagen, écrivain, commissaire d’exposition et consultant au Palais de Tokyo, nous voulions des talents modernes et contemporains. Tous ont manifesté un vif enthousiasme à l’idée d’être accueillis dans un lieu historique où se confronter à la nature. Nous produisons 15 œuvres sur une large diversité de supports, bronze, verre, tôle ou bois pour multiplier les dialogues avec l’architecture médiévale. Spectaculaire, le Carafon de Joana Vasconcelos impose à son acheteur de le prêter à Versailles pour être exposé l’été prochain. Les danseuses de Julian Opie s’inspirent de Degas, la porte ouverte de Gavin Turk rend hommage à Duchamp, le champignon mi-vénéneux, mi-comestible de Carsten Höller conjugue vie et mort. Le Cubain Kcho évoque l’évasion par une accumulation de barques et Tony Matelli intrigue avec l’arbre à $. Nous avons aussi une céramique de Fernand Léger, un ours de Lalanne, un King Parrot et des cœurs de Jim Dine, des œuvres du Suisse Olaf Breuning, d’Arne Quinze… Bernar Venet signe la pièce la plus monumentale – 10 mètres, 5 tonnes – qui a mobilisé une grue de 30 mètres ! La scénographie validée par Pascal Cribier invite à parcourir de nouvelles galeries souterraines éclairées par Michel Verjux.
Francis Briest, multifacettes Commissaire-priseur et cofondateur d’artcurial À la tête, depuis les années 80, de la plus importante étude spécialisée en tableaux modernes et contemporains, il fédère Hervé Poulain, Rémy le Fur et François Tajan pour créer, avec les Dassault et Michel Pastor, Artcurial en 2002. La maison génère 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. il y vend la collection Oury, inscrit un record mondial avec Lyonel Feininger et initie des ventes d’arbres rares.
Collectionneur et organisateur d’expositions Propriétaire du Donjon de Vez, il y donne carte blanche à Sol Lewitt, Jean-Pierre Raynaud, Daniel Buren et François Morellet tout en organisant l’exposition Giacometti, Takashi Kawabata…
initiateur de projets culturels Créateur du prix Artcurial du livre d’art contemporain, il organise durant l’été des expositions dans l’hôtel Marcel Dassault. Et nomme Serge Lemoine, après sa présidence du Musée d’Orsay, conseiller culturel et scientifique d’Artcurial.
mécène et soutien d’institutions culturelles Au conseil d’administration du Magasin – centre national d’art contemporain de Grenoble – et à celui de la Fondation Dubuffet, il s’investit dans le Projet d’Art Contemporain (P.A.C.), lancé par le Centre Pompidou.
Est-ce pour couvrir les frais de Vez que vous optez pour une inédite selling exhibition? L’entretien, la rénovation et l’animation exigent des fonds importants et il nous a semblé judicieux de nous caler en parallèle de la Fiac et la Freeze qui drainent beaucoup de collectionneurs. Nous organisons des visites privées et le prix des œuvres oscille de 5’000 à 500’000 euros.
Quelle est votre analyse du marché de l’art à Paris? L’année a été bonne, Paris demeure dans le peloton de tête des capitales mondiales. L’ouverture de nouvelles galeries anglo-saxonnes comme Larry Gagosian l’inscrit dans la pérennité, on y trouve beaucoup d’œuvres de qualité, dites fraîches.
Pourtant la Chine est leader! Il n’y a pas d’exemple d’hégémonie économique qui ne devienne culturelle, c’est implacable. Ce fut le cas du Japon, aujourd’hui la Chine s’enflamme pour le contemporain et le XIXe et valorise la cote de ses artistes. Mais le marché français est dynamique, bien que les maisons de ventes anglosaxonnes, boudant Paris, aspirent les œuvres et les exportent alors qu’on obtient ici les mêmes records qu’ailleurs. Pour preuve, les ventes Bergé, Oury…
Artcurial fête ses 10 ans en 2012; quel est votre bilan et que peut-on vous souhaiter? Cet anniversaire conforte le fait que j’ai pris la bonne décision en démontrant qu’un commissaire-priseur ne pouvait rester seul et devait s’adosser à d’importantes structures financières, – famille Dassault et Michel Pastor pour Artcurial – afin d’offrir un écrin aux plus belles œuvres. À l’avenir, nous renforcerons nos services d’accompagnement auprès des collectionneurs qui manifestent une relation intime avec les œuvres. Nous devons être disponibles, psychologues et commerciaux. Je nous souhaite quelques grandes collections et une ouverture sur l’Extrême Orient. Et pour le Donjon de Vez, je rêve d’une œuvre de Richard Serra, big is beautiful!