Dans l’Amitié des Peintres: Hedy et Arthur Hahnloser

D’une villa à l’autre: cet été, la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, accueille les chefs-d’œuvre de la Villa Flora de Winterthour. Bel hommage rendu à un couple exceptionnel de collectionneurs suisses, qui a su réunir, entre 1905 et 1936, un ensemble impressionnant de Bonnard, de Vallotton, de Hodler, parmi beaucoup d’autres. «On a reproché à juste titre à notre collection d’être sélective», reconnaissait volontiers Hedy Hahnloser. En effet, rarement une réunion de tableaux n’a ressemblé autant à une réunion d’amis que celle de la Villa Flora. Tout avait commencé au tournant du XXe siècle. Le jeune ophtalmologue Arthur Hahnloser et sa femme, née Hedy Bühler, s’installent dans la maison que le grand-père de celle-ci avait acquise en 1858 et agrandie par la suite. L’industrialisation de la Suisse était en plein essor et les filatures de Johann Heinrich Bühler prospéraient. C’était l’époque, aussi, où dans beaucoup de villes suisses naissaient des «Kunstverein» ou Sociétés des beaux-arts, réunions de citoyens aisés, désireux de partager leur intérêt pour l’art, non seulement en organisant des expositions d’artistes contemporains, mais aussi en créant des collections qui, souvent, sont devenues par la suite les noyaux des futurs musées. C’est le cas non seulement à Winterthour, mais aussi à Zurich, à Bâle et ailleurs. Et c’est en s’engageant dans le «Kunstverein» de Winterthour que le jeune médecin a pris goût à l’art, soutenu, pour ne pas dire poussé par sa femme, qui avait des dons non négligeables pour le dessin et pour l’écriture. Dans les toutes premières années du...

D’une villa à l’autre: cet été, la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, accueille les chefs-d’œuvre de la Villa Flora de Winterthour. Bel hommage rendu à un couple exceptionnel de collectionneurs suisses, qui a su réunir, entre 1905 et 1936, un ensemble impressionnant de Bonnard, de Vallotton, de Hodler, parmi beaucoup d’autres.

«On a reproché à juste titre à notre collection d’être sélective», reconnaissait volontiers Hedy Hahnloser. En effet, rarement une réunion de tableaux n’a ressemblé autant à une réunion d’amis que celle de la Villa Flora. Tout avait commencé au tournant du XXe siècle. Le jeune ophtalmologue Arthur Hahnloser et sa femme, née Hedy Bühler, s’installent dans la maison que le grand-père de celle-ci avait acquise en 1858 et agrandie par la suite. L’industrialisation de la Suisse était en plein essor et les filatures de Johann Heinrich Bühler prospéraient. C’était l’époque, aussi, où dans beaucoup de villes suisses naissaient des «Kunstverein» ou Sociétés des beaux-arts, réunions de citoyens aisés, désireux de partager leur intérêt pour l’art, non seulement en organisant des expositions d’artistes contemporains, mais aussi en créant des collections qui, souvent, sont devenues par la suite les noyaux des futurs musées. C’est le cas non seulement à Winterthour, mais aussi à Zurich, à Bâle et ailleurs.

Et c’est en s’engageant dans le «Kunstverein» de Winterthour que le jeune médecin a pris goût à l’art, soutenu, pour ne pas dire poussé par sa femme, qui avait des dons non négligeables pour le dessin et pour l’écriture. Dans les toutes premières années du siècle, le couple fait ainsi la connaissance de Cuno Amiet, de Giovanni Giacometti – le père d’Alberto – et de Ferdinand Hodler. Ces contacts seront l’occasion de leurs premiers achats, parmi lesquels Le Cerisier de Hodler et Le Massif de la Jungfrau vu depuis Mürren (1911), ainsi qu’un Autoportrait et Enfants au lit de Giovanni Giacometti, une petite huile sur eternit de 1905, représentant Alberto et son frère Diego.

C’est leur ami Carl Montag, peintre et enfant du pays, qui semble avoir poussé les Hahnloser à se tourner vers Paris. Ils y rencontreront dès 1908 un autre peintre suisse, Félix Vallotton, et ce sera le coup de foudre. Ils achètent aussitôt Baigneuse de face (1907) et feront peu à peu l’acquisition d’œuvres majeures de toutes les périodes du peintre, au nombre desquelles La Blanche et la Noire (1913), saisissante variation sur le thème de la Vénus couchée, du Titien à Manet. Vallotton restera l’un des artistes les plus importants pour les Hahnloser; le peintre fera d’ailleurs de nombreux séjours à Winterthour, si bien qu’aujourd’hui, la Villa Flora abrite sans doute l’un des fonds les plus importants de cet artiste. Hedy Hahnloser lui consacrera un livre, Vallotton et ses amis, qui reste une référence.

Par Vallotton, les Hahnloser entrent, l’année suivante, en contact avec Bonnard, qui deviendra un autre ami et un autre point fort de leur collection. Peu enclin à faire des portraits, Bonnard a pourtant plus d’une fois représenté les Hahnloser et leurs enfants, ainsi dans Promenade en mer (1924-1925) et dans Le Débarcadère de Cannes (1934). C’est dire l’intimité du peintre avec ses collectionneurs auxquels il rendait souvent visite à Winterthour et auprès desquels il séjournait fréquemment à Cannes où les Hahnloser avaient acheté une maison dès 1923.

Désormais, les Hahnloser se consacreront entièrement à la peinture française des postimpressionnistes et des nabis. Bonnard les mettra en rapport avec Vuillard, et ce dernier avec Manguin, puis avec Maurice Denis. C’est ainsi que La Sieste de Manguin entrera à la Villa Flora. Et à travers Manguin, le cercle s’élargit aux fauves, ce qui conduira à l’acquisition de plusieurs toiles de Marquet et de Matisse.

«On ne collectionne pas les amitiés, elles se rassemblent pour former le cercle dans lequel on s’épanouit», dira Hans Hahnloser de ses parents. En effet, aucune collection ne repose sans doute autant sur les affinités électives avec les peintres que celle d’Arthur et de Hedy Hahnloser. Certes, de grands marchands comme Ambroise Vollard ou Durand-Ruel ont joué leur rôle de conseiller et d’intermédiaire. Mais plus importants étaient les conseils d’un Vallotton ou d’un Bonnard.

Sans oublier le goût très sûr des Hahnloser et un sens de la peinture qui leur correspondaient, avec lesquels ils se trouvaient en harmonie. On ne s’étonnera donc pas de certaines absences; elles répondent à la logique de leur démarche. L’absence des cubistes, par exemple, dont les premières expositions avaient lieu dans les années où ils commençaient à collectionner. On s’émerveillera en revanche de la présence d’Odilon Redon, que Hedy Hahnloser semble avoir découvert dès avant la Première Guerre. Elle y reconnaissait un des principaux précurseurs de Bonnard. De même qu’elle a compris très tôt l’importance de Cézanne pour l’ensemble de la peinture moderne, et ceci bien que les Hahnloser n’aient probablement pas vu la première rétrospective parisienne du peintre, en 1907, l’année suivant sa mort. Mais c’est sans doute le Cézanne «impressionniste» qui les attire dans le Portrait de l’artiste de 1877-1878, plus que le précurseur de Picasso et de Braque.

Consacrée essentiellement aux peintres contemporains, à des peintres dont ils ont personnellement suivi le travail dans la durée, qu’ils ont encouragés pendant de nombreuses années, la collection Hahnloser n’en abrite pas moins quelques grands précurseurs. Outre Cézanne et Redon, on y trouve Manet, Toulouse-Lautrec, Van Gogh. S’il s’agit toujours de tableaux représentatifs, ce ne sont pas pour autant des points forts de la collection, mais plutôt des clins d’œil à l’histoire d’une certaine modernité. Non pas de toute la modernité, mais de celle qu’avec une partialité affichée cultivaient les Hahnloser. C’est en cela que leur collection reflète leur personnalité profonde – et leur générosité.

Celle-ci ne s’est pas seulement exercée au profit des artistes qui ont séjourné et travaillé chez eux, à Winterthour ou à Cannes. Très tôt, les Hahnloser ont inauguré une politique de partage qu’ils ont transmise à leurs descendants. Le collectionneur est davantage le dépositaire temporaire et non pas le propriétaire des œuvres qu’il a su réunir. Aussi les expose-t-il volontiers aux yeux d’un public plus large. Au milieu de la Première Guerre, le Kunstmuseum de Winterthour organise une exposition de peinture française; elle n’aurait pas été possible sans les prêts importants des Hahnloser. Un exemple qui sera suivi par d’autres, jusqu’à aujourd’hui. L’ouverture au public de la Villa Flora en 1995 en est la preuve, s’il en fallait. Et la présente exposition, enrichie par de nombreux prêts consentis par les descendants, en fournit une autre.

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed