Anesthésiste dans un centre de traumatologie et chercheur pour une compagnie pharmaceutique, cet artiste suédois semble conjuguer sa pratique professionnelle avec sa passion de la photographie. Il nous offre des paysages silencieux, calmes et apaisés. Le temps est suspendu dans le noir et le blanc de ses images carrées.
Tout commence pour Håkan Strand, né en 1959, dans la chambre noire de son école. Alors âgé de treize ans, ildécouvre que l’image apparaît dans le bain de développement sur le fond blanc du papier. Depuis cette émotion, il réserve toujours de larges espaces à la lumière couchée sur le blanc non insolé du tirage. C’est en 1991, alors qu’il vivait à New York et y visitait de nombreuses galeries, qu’il prend conscience de ce qu’il peut apporter à la photographie contemporaine. Il ressort, alors, son appareil moyen format et ses films argentiques.Depuis, il s’accorde le temps nécessaire pour aller saisir, dans un style épuré, des paysages connus ou inconnus qui nous procurent un profond sentiment d’éternité. Avec son appareil de prise de vues, seul compagnon d’aventures, il photographie tôt le matin ou tard le soir. Ainsi, les conditions sont réunies pour saisir, au mieux, la sérénité des paysages et capter secrètement la virginité d’une étendue.
Dans les images de Håkan Strand: pas d’humain ni de faune sauvage. L’humanité n’apparaît que par le carré signifiant de l’image, à l’opposé du cercle divin ou d’un rectangle commun. Cependant, un personnage semble être là. Une présence cachée dans un feuillage, une foule au pied des tours ? Non, rien de vivant ! Si ce n’est le regardant qui fait de l’image son territoire. Ce phénomène d’appropriation n’est rendu possible que par la justesse du regard et la retenue de l’auteur. Nous sommes audelà d’un décor, hors du temps. La beauté s’affirme dans un spectacle d’absolu et nous entrons en dépendance car de telles scènes révélées nous sont généralement interdites ou invisibles.La maîtrise technique semble chirurgicale; le photographe n’aurait donc pas oublié l’art d’accompagner le patient vers un profond sommeil. La composition s’impose comme une voix d’accès aux limites d’un souffle retenu et d’un cœur arythmique. Les gammes de noirs, de gris et de blancs nous font plonger dans un coma esthétique-extatique. Le temps s’arrête, un instant. Le regard plonge dans l’image, comme au début du sommeil.La neige étendue, telle une soie qui attend son destin, et le noir profond des eaux apparaissent dans la douceur du velours. Les brumes et l’air du temps font office de retoucheurs. Ni trucage, ni reprise sur l’image; la nature a fait son œuvre mais cela n’y suffirait pas. Le secret réside dans les poses très longues de l’appareil sur pied. Les flots, les reflets et les cieux sont captés de manière uniforme, le temps opérant comme le glacis du peintre.
Ses destinations – pays découverts, rivages accostés ou villes arpentées – deviennent ses thèmes. Mais que l’image soit prise en Suède, en Norvège, en France, en Italie ou aux États-Unis, le regard reste constant, porteur de mystère. Håkan Strand ne compte pas sa peine; il opère dans des conditions souvent difficiles pour nous donner à voir ses territoires conquis. Les falaises d’Étretat barrissent chez Maupassant. Un ciel du Quattrocento au Mont Saint-Michel appelle les anges. La pluie se jette dans l’Hudson River: l’esplanade joue au miroir, les réverbères alignés observent et réfléchissent. À Venise, la façade des palais et la proue des gondoles font des ronds dans l’eau. La rigueur du cadrage et la graphie sobre d’une écriture élégante nous invitent à la méditation.La nature est ainsi faite que son spectacle nous rassure et nous apaise. C’est pourquoi Håkan Strand continue de photographier. Encouragé, depuis 2005, par de nombreux prix internationaux, il vient de décider d’y consacrer entièrement sa vie.