ALberto ALESSI

Alberto Alessi, un homme de provocation. Libéré depuis longtemps des corsets de la beauté rigoriste, il édite tout ce que les avant-gardes proposent en fait d’objets subversifs, de petits miracles du quotidien sans a priori, savants, optimistes et d’une justesse impitoyable. Un homme marqué par la joyeuse révolution de l’Antidesign italien des années 60 et 70. Un entrepreneur doté d’un regard sensible, lucide et mordant. Un artiste au sens large. Depuis près de quarante ans, il promeut les nouveaux langages formels, explore de nouveaux espaces d’expérimentation à travers des projets non dogmatiques, généreux, nourris de poésie, de légèreté et d’humour, signés par des designers et des architectes emblématiques de leur époque. Destiné à entrer dans l’usine familiale, il en a fait un «laboratoire à rêves» au retentissement international. Directeur général, mais avant tout légendaire directeur artistique de l’entreprise fondéepar son grand-père, Alberto Alessi s’est imposé par sa capacité à transformer les objets fonctionnels en une étonnante leçon de maîtrise, d’émotion et d’intelligence. Autant d’icônes qui font définitivement partie de notre imaginaire collectif. Au nord de Milan, au pied des Préalpes piémontaises, dans le Val Strona, assis sur trois siècles de tradition dans le travail du bois et du métal, il a métamorphosé l’usine familiale de Crusinallo en un laboratoire de recherche en design. Dès lors, ce centre donne naissance à des créations en acier, bois, porcelaine ou plastique, qui décodent les signes culturels et artistiques de notre temps et intègrent cette touche de transcendance sans laquelle tout accessoire domestique ne...

Alberto Alessi, un homme de provocation. Libéré depuis longtemps des corsets de la beauté rigoriste, il édite tout ce que les avant-gardes proposent en fait d’objets subversifs, de petits miracles du quotidien sans a priori, savants, optimistes et d’une justesse impitoyable. Un homme marqué par la joyeuse révolution de l’Antidesign italien des années 60 et 70. Un entrepreneur doté d’un regard sensible, lucide et mordant. Un artiste au sens large. Depuis près de quarante ans, il promeut les nouveaux langages formels, explore de nouveaux espaces d’expérimentation à travers des projets non dogmatiques, généreux, nourris de poésie, de légèreté et d’humour, signés par des designers et des architectes emblématiques de leur époque. Destiné à entrer dans l’usine familiale, il en a fait un «laboratoire à rêves» au retentissement international.

Directeur général, mais avant tout légendaire directeur artistique de l’entreprise fondéepar son grand-père, Alberto Alessi s’est imposé par sa capacité à transformer les objets fonctionnels en une étonnante leçon de maîtrise, d’émotion et d’intelligence. Autant d’icônes qui font définitivement partie de notre imaginaire collectif. Au nord de Milan, au pied des Préalpes piémontaises, dans le Val Strona, assis sur trois siècles de tradition dans le travail du bois et du métal, il a métamorphosé l’usine familiale de Crusinallo en un laboratoire de recherche en design. Dès lors, ce centre donne naissance à des créations en acier, bois, porcelaine ou plastique, qui décodent les signes culturels et artistiques de notre temps et intègrent cette touche de transcendance sans laquelle tout accessoire domestique ne relèverait que d’une qualité très matérielle. D’Ettore Sottsass, l’extravagant post-moderne, à Alessandro Mendini, grande figure du Design Radical, en passant par les frères Fernando et Humberto Campana, duo échevelé précurseur du nouveau design brésilien, Alberto Alessi entraîne le label dans une perpétuelle évolution. Il y faut du flair, un ancrage dans la culture artisanale, quels que soient les processus technologiques de production: tous les ingrédients-clé, en somme, des entreprises italiennes du design depuis les années 50. Toujours en quête du sens de l’objet, Alberto fera ses débuts en se rebellant contre l’idée de l’utilitaire. Salvador Dali, avec son Objet inutile, vase sur un problème de topologie négative est l’un des artistes de son manifeste «Arts Multiples», de 1971. Un fiasco. Mais il incarne surtout le genre d’homme qui ose prendre des risques et les pousser jusqu’à leur extrême limite. Un trait marquant qui caractérise toute sa trajectoire.

Comment ressentez-vous l’impressionnante rétrospective de la Maison Alessi, mise en scène par Alessandro Mendini et présentée récemment au musée Die Neue Sammlung, à Munich ?Alberto Alessi: C’est vraiment l’image de ce qu’est Alessi au fil des décennies et celle de son avenir, éthique et radical, tel que je l’envisage. L’exposition, c’est aussi l’histoire, le contexte local, la famille.Vous êtes entré dans une de ces nombreuses entreprises familiales dans le bassin de la petite industrie du nord de l’Italie. Comment avezvous révolutionné cette production au point de la faire rayonner dans le monde entier ?J’aurais aimé étudier l’art ou l’architecture. J’ai fait un compromis avec mon père en obtenant un diplôme de droit avant de rejoindre l’usine fondée par mon grand-père Giovanni. J’ai eu de la peine à trouver ma place ! J’ai eu besoin de me raccrocher à mes intérêts primordiaux pour donner un peu d’espace à ce contexte trop «fabrique à métaux». Dans les années 70, les toutes premières rencontres et collaborations que j’ai recherchées ont été celles que j’ai eues avec le sculpteur Gio Pomodoro dont j’aimais l’œuvre informelle associée à une tradition profondément assimilée, le jeune architecte milanais Franco Sargiani, Ettore Sottsass, Silvio Coppola, Pino Tovaglia, Franco Grignani. Alessandro Mendini, qui est toujours mon conseiller, est arrivé en 1977, puis il y a eu Achille Castiglioni en 1979… M’immerger dans l’univers de la création a été finalement un mouvement assez naturel.Avec quelque deux cents designers qui ont œuvré chez Alessi, quelles sont les trois créations dont vous êtes le plus fier ?La cafetière 9090 de Richard Sapper, 1979, la cafetière La cupola, 1988, d’Aldo Rossi, ce grand maître très aimé, et la brosse à W.-C. Merdolino de Stefano Giovannoni, 1992, parce que de temps en temps, il faut aussi rire avec le design.Vous évoquez souvent la prise de risque qui va au-delà des études de marché.Je travaille sur l’invisible frontière qui sépare le possible et l’impossible, trop en avance pour être accepté. J’ai une certaine aversion pour le terme de marketing, synonyme de cage où l’on enferme une certaine vision de la société. Je tente plutôt de répondre au rêve du client, de l’anticiper, de le surprendre. Dans ce but, il s’agit d’allier des besoins typiquement industriels en termes d’exploitation et de produits avec l’exigence de valeurs intellectuelles et spirituelles. C’est cette philosophie qui inspire la recherche et l’expérimentation. Pour la bouilloire mélodieuse de Richard Sapper, il a fallu attendre de trouver l’artisan capable de nous fabriquer des pipes en métal donnant des notes pures en «mi» et en «si». C’est une voie qui réserve aussi des surprises ! Alessandro Mendini, avec son caractère singulier, a toujours été fier de ne dessiner que des choses invendables. Mais, en 1994, il a fait l’erreur de sa vie avec le tire-bouchon Anna G., au top des ventes encore aujourd’hui, comme son compagnon Sandro M. présenté dans toutes sortes de versions. La prise de risque devrait être encore plus poussée et plus consciente que par le passé si l’on veut survivre aux bouleversements actuels de la société. Si l’on croit que la beauté peut sauver le monde, alors il faut avoir le courage de faire surgir le grand potentiel créatif de qualité qui nous entoure. Nous pourrions créer un monde inattendu et bien meilleur.

Quelles sont pour vous les conditions d’une œuvre réussie ?Ma formule: un niveau exceptionnel dans les paramètres «sensorialité / mémoire / imaginaire» et la capacité de l’objet à communiquer ces valeurs.Quel est le projet qui n’a pas abouti et que vous regrettez entre tous ?Sans fiasco, pas de bon design, pas d’innovation. Il y a peu de projets que je regrette. Mais rarement j’ai réussi à faire naître un projet aussi «borderline» que le vase Objet inutile, vase sur un problème de topologie négative de Salvador Dalí.Observez-vous sur la scène internationale du design une réaction positive aux effets de la mondialisation qui engendre des produits industriels finalement très semblables ?

Pas vraiment. Il s’agit d’une destinée que le philosophe allemand Oswald Spengler a bien analysée dans son ouvrage L’Homme et la Technique (1931): «L’Occident a vendu son âme: il a érodé son identité et gommé la valeur de sa tradition. L’Apocalypse est devant nous: nous sommes conduits dans cette direction par l’usage instrumental de la technique, responsable de briser le lien vital avec l’ordre de la nature. […] détruisant les images et les symboles de la culture millénaire à laquelle ils appartiennent. Ce qui est demeuré est une ahurissante uniformité sans collines ni vallées…» Spengler a revisité le thème de l’homme faustien. Dans sa recherche d’infini et de transcendance, ce dernier a, bien sûr, conquis la technique, mais il a perdu le sens plus ample du «faire poétique, faire créatif». Une notion désormais confinée dans les disciplines strictement poétiques. Aussi longtemps que je le pourrai, je me battrai pour que la dimension artistique et humaine puisse s’exprimer dans le contexte industriel des biens de consommation. Tout en sachant que, certainement, il s’agit d’une guerre déjà perdue…Quel type de relation entretenez-vous avec les créateurs ?Alessi n’achète pas des noms, elle n’est pas dans le superficiel. Elle s’appuie sur des créateurs choisis ou des créateurs qui viennent à nous parce qu’ils sont attirés par notre attitude, notre projet de médiation artistique entre l’auteur et le public. Toujours, vraiment toujours, nous avons des relations très empathiques.Vous portez haut le design précurseur à travers le monde, tout en restant très attaché à votre terre natale et à ce lac d’Orta au pied des Préalpes. Vous vous investissez continuellement dans la sauvegarde du savoir-faire ancestral de cette région.C’est un lien profond, viscéral, affectif, émotionnel. J’ai bâti une collection hors pair – dont je suis très fier – de livres et d’archives sur l’histoire de ma terre. Je ne l’ai jamais quittée et ne pourrais pas concevoir de vivre ailleurs.Et l’Alessofono ? Et la collection Twergi ?Entre 1980 et 1990, la collection Twergi en bois de hêtre conçue par Ettore Sottsass et son studio a contribué au maintien du savoirfaire ancestral du Val Strona. L’Alessofono, créé en 1993 par Alessandro Mendini, a lui aussi des racines philosophiques et sentimentales. Réfutant l’idée de la production standardisée du Japon et de l’Est européen en la matière, le saxophone alto, numéroté, est totalement fait main par un artisan de Quarna, un petit village des alentours qui perpétue la tradition centenaire d’une manufacture de renom, pour laquelle mon grand-père, à l’époque, fabriquait les clés. L’Alessofono est toujours exécuté sur commande.

Vous venez d’emménager au milieu de votre vignoble, surplombant le lac d’Orta, dont on boira les premiers produits en 2012.Oui, c’est un projet ambitieux sur lequel je me concentre depuis une dizaine d’années. Je rêvais de replanter de la vigne sur cette terre qui autrefois produisait du bon vin. Nous avons commencé avec les travaux des champs qui étaient devenus sauvages. Puis nous avons replanté du Pinot noir et du Chardonnay. Ayant une grande admiration pour la culture vinicole française, j’ai conçu mon domaine comme un hommage à la Bourgogne.Pourquoi avez-vous choisi la biodynamique ?J’avais été impressionné par la lecture des œuvres et de la vie de Rudolf Steiner. Et puis, très franchement, j’ai cru au début que la biodynamique, c’était un laisser-faire respectueux de la nature qui m’aurait évité du travail. Ce qui n’est pas le cas, bien au contraire.Parlez-moi de ce verre universel de dégustation dessiné par Eoos, sa fonction, l’humour qui accompagne son approche paradoxale.L’idée en est très simple : se moquer des conventions hyper-analytiques et dogmatiques des producteurs de verres à vins. Eoos a tenté de créer un verre qui se prête à la dégustation «hyper normale» (!) de tous types de vin.Après vos interventions dans l’horlogerie, le téléphone, après LACUCINAALESSI et ILBAGNOALESSI, avez-vous envie d’établir le dialogue avec d’autres domaines, comme la mode, l’ameublement, l’éclairage ?Oui, oui et oui. Mais quel challenge !

Parcours
1946 | Alberto Alessi naît à Arona, nord de l’Italie, près de Crusinallo (Val Strona) où est établie l’entreprise fondée par son grandpère paternel, Giovanni Alessi, en 1921. Né dans la même vallée, son grand-père maternel, Alfonso Bialetti, est le fabricant de la première cafetière espresso.1970 | Après des études de droit à l’Université Catholique de Milan, il rejoint l’entreprise dirigée par son père Carlo. Designer industriel, ce dernier a conçu la quasi totalité des produits entre 1935 et 1945.1971 | Collection «Les Multiples d’Art», manifeste utopique de l’art en édition «illimitée», à prix abordable. Avec Salvador Dali, Pietro Cascella, Pietro Consagra…1977 | Alessandro Mendini, créateur etconseiller culturel depuis 1977.1970-1980 | Antidesign et Design Radical. Les Maîtres: Alessandro Mendini, Ettore Sottsass, Achille Castiglioni, Aldo Rossi, Andrea Branzi, Enzo Mari.1980 | Alberto, nommé directeur général,reste toujours en charge de la création.1980-1990 | Décennie marquée aussi parMichael Graves, Philippe Starck, RichardSapper.1985 | Lancement de Alessi Watches, Seiko(Piero Lissoni, Achille Castiglioni. KarimRashid, Patricia Urquiola…) 1990-2000 | Ouverture aux designers émergents. Stefano Giovannoni et Guido Venturi signent une grande collection d’objets ludiques en plastique. Deuxième pôle marqué par le néo-minimalisme de Jasper Morrison.1998 | Reçoit le Design Award for Lifetime Achievement du Brooklyn Museum of Art de New York.2000-2010 | Design éclectique, expressions internationales d’une époque maniériste. Lancement de Il Telefono Alessi, Siemens; Il Bagno Alessi, Oras; La Cucina Alessi, Oras.2010-2020 | Design Ethique et Radical. Ronan et Erwan Bouroullec, Fernando et Humberto Campana, Naoto Fukasawa…Dès 2011, projets de huit architectes chinois en collaboration avec le BUDC (Beijing Industry Design Center).La famille | Michele et Alessio, frères d’Alberto, gestion financière et commerciale; Stefano, cousin, en charge des achats.Les produits Alessi font partie de plusieurs collections permanentes:MoMA, New York et San Francisco Philadelphia Museum of Art, Philadelphia Denver Art Museum, Denver Metropolitan Museum of Art, New York Victoria & Albert Museum, Londres Centre Pompidou, ParisStedelijk Museum, Amsterdam Triennale de Milan…

En quelques mots
Et si c’était…UNE MAINLa main de mon père qui, dans un moment de bonne humeur, me caressait la tête en passant derrière mon fauteuil.UNE VOIXCelle de ma mère qui, chaque jour, me réveillait quand j’étais enfant.UNE ODEURLe parfum d’une jeune fille en fleur, sans parfum.UNE COULEURLe vert dans toutes ses nuances. Au cœur de mon domaine, sur le lac d’Orta, c’est le vert de la vigne qui court tout autour de la ferme reconvertie en résidence et des établissements viticoles. C’est une réalisation fondée sur la sérénité.L’HUMOURDe l’humour, jamais d’amertume. Savoir se montrer toujours de bonne humeur, le cœur léger. Sinon cacher…LA POESIEOssi di seppia (Os de seiche), d’Eugenio Montale. Un autodidacte libéré de toute influence, l’anticonformiste de la nouvelle poésie. Il ne s’est jamais contenté de réponses ou de certitudes. Il a tracé sa vision du monde dans la pudeur sentimentale, une certaine sécheresse de style, à l’image de sa terre ligurienne, rude, essentielle.L’ARCHITECTURELes villas de Vénétie du Palladio, et surtout la villa Emo, à Fanzolo du Vedelago, à Trévise. L’élégante sobriété de ses façades, ses justes proportions, la symétrie: la grâce et l’équilibre.LE STYLEAh, droit et expressif comme chez Stendhal ou Hemingway. Je n’ai, hélas, pas de culture musicale ni théâtrale. Dans mes inspirations, il y a trop d’écrivains, d’artistes et d’architectes…UNE ŒUVRE D’ARTBauhaustreppe, peinture d’Oskar Schlemmer, pour ses couleurs primaires et la mise en scène quasi chorégraphique des personnages. Il y a là un équilibre entre le mouvement et sa projection géométrique qui révèle l’empreinte du danseur et scénographe qu’il fut aussi. C’est ainsi qu’il a peint l’escalier de l’Académie où il a compté parmi ceux qui ont enseigné l’art de construire le futur.UN PHILOSOPHEUmberto Galimberti. «Et si la philosophie ne signifiait pas l’amour de la sagesse, mais la sagesse de l’amour…»NIETZSCHEQue de vérités il nous a laissées, c’est trop de clarté pour un humain ! Ce philosophe tourmenté a laissé une trace à Orta. Sur la colline du Sacro Monte, en surplomb du lac, il aurait échangé plus d’un regard avec Lou Andrea Salomé. Il y eut l’enchantement du lieu, un moment fugace de tendresse que les biographes ont appelé «l’idylle d’Orta»…LE BONHEURLa paix de l’esprit et l’équilibre physique.L’INCONNULe visage d’une femme inconnue assise à l’autre bout de la table, qui cache son désir.LA PÉRENNITÉJe l’envisagerais dans tout ce que je fais…



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