La «Renaissance italienne» désigne assurément une page importante de l’histoire del’art: le goût de la beauté sous toutes ses formes, le sens des proportions, l’équilibre des compositions, la clarté du dessin, la passion pour la vie et l’art constituent le véritable héritage de la Renaissance. En outre le mouvement humaniste, déjà amorcé au début du XVe siècle, prend une ampleur et connaît une diffusion exceptionnelle; il culmine avec une génération inégalée de grands maîtres. Enfin, l’humanisme italien semble avoir jeté les bases de notre façon actuelle d’être au monde: nous en avons gardé la trace dans notre histoire et notre destinée.
Mais sommes-nous bien sûrs que cette image resplendissante corresponde vraiment àla réalité ? En fait aux XVe et XVIe siècles le terme de «Renaissance» n’existait pas et le concept même «d’Italie» était encore loin d’être une réalité, la péninsule italienne à cette époque étant morcelée en une nuée compliquée d’États indépendants, aux monnaies, systèmes de poids et mesures différents, ce qui rendait la vie difficile aux marchands. Il faut ajouter évidemment que ces États, dirigés par des seigneurs locaux, étaient souvent en guerre pour arracher des lambeaux de territoire. Ceci se reflète bien entendu en peinture, dans l’éclosion de plusieurs écoles locales, chacune capable de proposer des innovations.Le XVIe siècle s’ouvre avec ce que Vasari a appelé «le troisième âge»: le moment parfait des grands génies. Il est intéressant de remarquer que le biographe des grands peintres, Giorgio Vasari, qui écrit vers 1550, observe déjà la nette différence entre le style pictural du Quattrocento et celui du Cinquecento. La primauté du style italien est unanimement acceptée, alors même que débute une grave crise politique et économique.
Dans une Europe en pleine mutation, menacée par les Ottomans dans les régions orientales, tandis qu’à l’Occident s’ouvraient les routes maritimes vers le Nouveau Monde, la péninsule italienne occupe une position de plus en plus périphérique. En l’espace de quelques années se succèdent, à un rythme effréné, le soulèvement des républicains florentins, la chute du duché de Milan et l’assaut de l’empereur Maximilien Ier contre Venise. Même le rêve du retour de la puissance politique et de la splendeur de Rome, si cher au Pape Jules II fait long feu, bien qu’il ait trouvé une superbe réalisation «virtuelle» dans les œuvres de Raphaël et de Michel-Ange au Vatican: il se heurtera bientôt à la Réforme luthérienne.Les conséquences politiques et le trouble jeté dans les consciences par les terribles guerres de religion minent définitivement les certitudes quant au rôle de l’homme dans le monde et dans l’histoire, qui était le principal fondement de la philosophie de la Renaissance. On comprend que les artistes du Cinquecento italien ont pleinement conscience de la situation, et tentent de dépasser les différences locales pour élaborer une forme d’expressioncommune. Alors que la politique italienne se délite, que seule la Sérénissime République de Venise parvient à conserver son indépendance, la peinture manifeste une identité culturelle et expressive, unifiée, «italienne», une parenté de style dans toutes les régions, fondée sur le partage de modèles absolus, tels que la sculpture antique et les œuvres récentes de Raphaël et de Michel-Ange. Toutefois, pendant de nombreuses décennies les variantes régionales bien reconnaissables continueront d’exister, donnant lieu à un grand dynamisme créatif.
Ce que l’auteur de ce livre entend démontrer en évoquant le «sens caché», c’est le fait qu’il paraît trop schématique de regrouper le XVe et le XVIe sous la dénomination de «Renaissance». D’ailleurs on peut en dire autant de l’extrême variété des écoles de peinture qui sont certes «italiennes», mais manifestent une richesse d’apports originaux et d’expressions locales sans égal dans les autres nations européennes. L’auteur propose dans ce livre un parcours à la fois structuré et passionnant pour entrer dans l’esprit de cette longue saison de l’art et du goût, convoquant les chefs-d’œuvre selon l’ordre chronologique classique. Notons que les œuvres représentées n’ont pas été choisies en raison de leur importance ou de leur beauté mais pour illustrer un mot-clé afin de permettre au lecteur de comprendre parfaitement les concepts spécifiques, le code symbolique et formel de la Renaissance italienne.Le livre aborde environ 180 sujets, tous reliés à une école de peinture ou à un peintre. Chaque sujet comporte une ou plusieurs reproductions, mentionnant l’origine italienne précise de chacun. Les thèmes sont extrêmement variés, par exemple, le point de fuite, l’architecture, l’amitié, la mode, la famille, lesfumato, etc. Exemple: le luxe est illustré par un tableau de Gentile da Fabriano, expliquant que pendant les premières décennies du XVe siècle, alors que Brunelleschi et Donatello sont à la recherche d’un style d’architecture inspiré de l’Antiquité, la peinture restait liée au plaisir visuel, aux couleurs précieuses, aux détails soigneusement décrits. Le magnifique tableau de Gentile da Fabriano peint pour l’église florentine de la Santa Trinità marque non seulement l’apogée de la carrière du peintre mais reflète également la réussite financière du commanditaire, Palla Strozzi, le Florentin le plus riche de l’époque.Avec ce livre, voilà le lecteur muni tout à la fois d’un dictionnaire très complet sur la Renaissance, facile à consulter, et d’une histoire de la Renaissance qu’il peut lire d’un bout à l’autre, sans peine, car il est plein de détails palpitants.