L’africanisme est chez lui à Neuchâtel, patrie de nombreux pasteurs missionnaires et autres savants, tels Théodore Delachaux (1879-1949) auquel le musée d’ethnographie du lieu consacre actuellement une exposition, ou encore Jean Gabus (1908-1992), sans oublier bien sûr Jacques Hainard. Tous trois ont été directeurs de ce musée, suscitant nombre de vocations, dont celle, avouée, des trois collectionneurs qui nous ont ouvert leur porte et prêté leurs objets.
Sous le nom d’Akans, on désigne un ensemble de peuples africains, unis à l’origine par une langue commune. Certains d’entre eux, les Ashanti, Brong,Fanti et Akuapim, occupent aujourd’hui une partie du Ghana alors que d’autres, dont la migration vers l’ouest a duré des siècles, sont disséminés en Côte-d’Ivoire: Baoulé, Agni, Abron, Abouré, au centre du pays ; Atyé, Ebrié, M’Bato, à l’est; Abidji, au sud, ainsi que dans la région lagunaire.Quand les Européens découvrirent le Ghana, ils l’appelèrent «Côte de l’Or», en raison de l’omniprésence de ce métal, qui assurait la prospérité des habitants. Trouvé sous forme de poudre mêlée parfois de pépites, l’or était pesé par les autochtones avec un matériel adapté à sa forme et à son usage.À la fin du XIVe siècle, l’or des Akans fut exporté vers l’Afrique du Nord. Pour se conformer aux normes en vigueur dans le Sahel, les Akans fabriquèrent des poids de même valeur que ceux qui avaient cours dans le monde islamique.Ensuite, lorsqu’ils établirent des relations commerciales avec le Portugal, les Akans créèrent d’autres poids, conformes cette fois-ci à l’once portugaise et, plus tard, soit au début du XVIIe siècle, ils firent de même avec les Néerlandais.Ces poids, faits d’une sorte de laiton coulé selon la technique de la cire perdue1, sont de formes extrêmement variées. Ils peuvent être soit géométriques et recouverts de signes, soit nettement figuratifs. Dans le second cas, ils représentent, en ronde-bosse, des animaux – oiseaux, poissons, reptiles, insectes – des plantes, des fruits, des graines, des objets de la vie quotidienne ou encore des personnages.Les poids figuratifs ont une double vocation, la principale étant de concrétiser, sous une forme idéographique et symbolique, un ensemble de valeurs de référence et de thèmes traditionnels. Le plus souvent il s’agit d’illustrer des contes ou des proverbes, sorte de langage codé, compris des seuls initiés. L’autre fonction de ces poids est de servir au règlement d’affaires importantes: ils servaient de support à des sentences, ou rappelaient des obligations contractuelles (dette, par exemple).
Dans son ouvrage de référence, Afrique de l’Ouest, Bronzes et autres alliages, paru à Louvain en 1988, André Blandin rapporte avoir été le témoin d’une conversation entre des étudiants baoulés, au cours de laquelle l’un d’eux raconta comment l’un de ses amis avait obtenu l’accord des anciens du clan, à propos d’un mariage, en recourant avec brio au langage des poids-proverbes.Les poids figuratifs sont très répandus dans toutes les régions occupées par les Akans. Et, comme le souligne le même André Blandin, «de par la diversité de leurs sujets, les poids figuratifs constituent une encyclopédie, véritable synthèse des formes de vie d’une société, de ses techniques, et du monde au sein duquel elle a subsisté au cours des siècles.»En voici quelques exemples:Le tabouret. Il s’agit de l’un des trois attributs royaux, avec l’épée et le dja (bourse servant à transporter les poids). Plusieurs dictons mettent en exergue le rôle primordial de cet objet de prestige, tel: «Le roi meurt, le tabouret ne meurt pas», ou encore: «Là où le tabouret n’est pas, le roi ne peut pas être».Le scorpion, représentation du dieu Nyamé. C’est aussi le symbole de la mort, selon le proverbe: «Le scorpion pique et la personne meurt» ou encore: «La douleur de la piqûre du scorpion dure aussi longtemps que la cendre met pour refroidir».Le poisson-chat ou silure, qui abonde dans les marigots et les rivières africaines. De nombreux proverbes lui sont attachés, ainsi: «Tout ce qu’avale le silure est pour son maître, le crocodile», ou encore: «Ce n’est pas le choix du poisson d’être rôti ou frit».Le crocodile que l’on vient de citer est un autre thème récurrent. Avec un poisson dans la mâchoire, il évoque le roi, le chef, l’homme de pouvoir. Un proverbe dit: «Quand on se trouve au milieu de la rivière, on n’injurie pas le crocodile». Percutante mise en garde !
Quant aux poids géométriques, leur rôle spécifique reste strictement lié aux opérations de pesée de l’or, qu’il soit en poudre ou sous forme de pépites. Ces poids n’en présentent pas moins un riche décor, dont l’un des motifs les plus marquants est le svastika (croix gammée), signe solaire présent dans beaucoup d’autres cultures, et ce, depuis la plus haute antiquité.Au début du XXe siècle se multiplièrent les tentatives de classification de ces poids selon leur valeur locale, le Ba (équivalant à 2 graines d’Abrus precatorius, ou arbre à chapelet, soit 0,1463 gramme) et le Takou (équivalant à 3 graines, soit 0,2194 gramme).Mais aucun des systèmes proposés n’est parvenu à intégrer de façon rationnelle l’ensemble des poids et des valeurs correspondantes. Les spécialistes n’ont pas réussi non plus à interpréter les motifs qui décorent ces poids.Remarquons au passage qu’en Occident, nous utilisons nous aussi une unité de poids d’origine végétale, le carat, graine du caroubier,dont la valeur constante est d’environ 0,2 gramme. Le carat, bien des siècles auparavant, était déjà utilisé par les marchands arabes dans le commerce de l’or. Ce sont eux qui lui on donné son nom (qirât = carat).En conclusion, si la signification des poids figuratifs a été partiellement démontrée dans leur symbolisme et leur fonction sociale, les signes qui ornent les poids géométriques restent incompréhensibles, malgré certaines tentatives d’explication. De nos jours, on collectionne ces objets pour leur qualité esthétique et l’intérêt qu’on leur porte n’est pas sans rappeler, dans un autre cadre, celui suscité par les netsukes japonais, breloques sculptées, servant de contrepoids pour différents objets utilitaires, que l’on portait à la ceinture.Les plus anciens de ces poids se distinguent par leur finition soignée, leur patine ainsi que le poli que leur confère une longue utilisation. Quant aux contrefaçons contemporaines, elles pèchent par leur schématisme et présentent le plus souvent des traces de lime. L’absence d’usure naturelle fait également partie des critères d’appréciation au même titre que la rugosité de la surface.