VILLA MÉDICIS

Fondée par Colbert en 1666, l’Académie de France à Rome fut logée d’abord dans le palais Mancini, sur le Corso. En 1803, Bonaparte acheta la villa Médicis au grand-duc de Toscane,pour y installer les jeunes artistes français. Le palais, bâti pour le cardinal Ferdinand de Médicis à la fin du XVIe siècle, est en luimême splendide, et il occupe le plus beau site de Rome, en haut de l’escalier de la Trinité des Monts. Le peintre Hippolyte Flandrin sortait tous les soirs par la porte qui donne sur la ville. Dans la demilueur du crépuscule, il trempait sa main dans l’eau de la poétique vasque peinte plus tard par Corot et se signait religieusement, devant le soleil qui se couche derrière la coupole de Saint-Pierre. Pour accéder aux jardins, on passe sous la loggia, dont les colonnes de cipolin et de granit égyptien s’harmonisent avec les marbres polychromes du pavement. La fontaine, placée sur le perron semi-circulaire, est ornée d’une statue de Mercure, copie de Giambologna. Rien de plus gracieux que ce dieu nu qui s’élance, une jambe lancée en arrière pour prendre sa course, un bras levé en signe d’allégresse, l’autre soutenant le caducée, emblème des médecins, donc des Médicis (Medici). Deux lions monumentaux l’encadrent. Le lion étaitl’animal qui servait d’enseigne à Florence, la ville natale de Ferdinand. En outre, il représentait symboliquement la personne même du cardinal, né sous le signe du Lion.C’est un véritable salon que cette loggia, salon en plein air, avant-corps qui prolonge le salon...

Fondée par Colbert en 1666, l’Académie de France à Rome fut logée d’abord dans le palais Mancini, sur le Corso. En 1803, Bonaparte acheta la villa Médicis au grand-duc de Toscane,pour y installer les jeunes artistes français. Le palais, bâti pour le cardinal Ferdinand de Médicis à la fin du XVIe siècle, est en luimême splendide, et il occupe le plus beau site de Rome, en haut de l’escalier de la Trinité des Monts. Le peintre Hippolyte Flandrin sortait tous les soirs par la porte qui donne sur la ville. Dans la demilueur du crépuscule, il trempait sa main dans l’eau de la poétique vasque peinte plus tard par Corot et se signait religieusement, devant le soleil qui se couche derrière la coupole de Saint-Pierre.

Pour accéder aux jardins, on passe sous la loggia, dont les colonnes de cipolin et de granit égyptien s’harmonisent avec les marbres polychromes du pavement. La fontaine, placée sur le perron semi-circulaire, est ornée d’une statue de Mercure, copie de Giambologna. Rien de plus gracieux que ce dieu nu qui s’élance, une jambe lancée en arrière pour prendre sa course, un bras levé en signe d’allégresse, l’autre soutenant le caducée, emblème des médecins, donc des Médicis (Medici). Deux lions monumentaux l’encadrent. Le lion étaitl’animal qui servait d’enseigne à Florence, la ville natale de Ferdinand. En outre, il représentait symboliquement la personne même du cardinal, né sous le signe du Lion.C’est un véritable salon que cette loggia, salon en plein air, avant-corps qui prolonge le salon couvert, mais portique si vaste en lui-même qu’on y donne des réceptions ou des concerts. Les plus mémorables soirées de la villa se sont déroulées là, au murmure de la fontaine, sous la protection du dieu dont le bras tendu vers le ciel encourage les jeunes artistes à se surpasser.

Hector Berlioz, pensionnaire sous le directorat d’Horace Vernet, raconte dans ses Mémoires comment un serviteur, parcourant les divers corridors et les allées du jardin, annonçait avec une cloche l’heure des repas. Après dîner, on se réunissait sous la loggia. «Quand je m’y trouvais, ma mauvaise voix et ma misérable guitare étaient mises à contribution, et assis tous ensemble autour d’un petit jet d’eau qui, en retombant dans une coupe de marbre, rafraîchit ce portique retentissant, nous chantions au clair de lune les rêveuses mélodies du Freischütz, d’Obéron, les choeurs énergiques d’Euryanthe, ou des actes entiers d’Iphigénie en Tauride, de La Vestale ou de Don Juan.»Sous le directorat d’Ingres, qui avait succédé à Vernet, changement complet. La gravité morose remplace l’insouciance enjouée. Tous les dimanches, le directeur recevait. Ambroise Thomas se mettait au piano. Ingres, la tête haute, s’apprêtait à écouter. «Malheur à celui dont la chaise craquait… M.Ingres se retournait furieux du côté du bruit; bientôt, l’inquiétude même qu’on éprouvait vous empêchant de prendre une assiette assez solide, le bruit recommençait, et aussi le regard irrité de M.Ingres.» Le jeune Ambroise Thomas, pour échapper aux applaudissements, allait se cacher dans un coin, auprès d’Hippolyte Flandrin. «D’autres artistes lui succédaient, jouant toujours de la musique vertueuse, comme M.Ingres appelait celle de Mozart, de Beethoven et de Gluck.»Les plus belles de ces soirées musicales en plein air eurent lieu lors du passage de Liszt à Rome, au printemps 1839. Ingres saisissait son violon, et les deux grands hommes jouaient ensemble des sonates de Beethoven, dont la vertu n’étouffe pas la beauté.

Avant de descendre le perron et de nous enfoncer à gauche entre les haies de lauriers et de buis, sur les allées qui se coupent à angle droit et définissent seize «carrés», retournons-nous pour contempler la façade intérieure. Autant celle qui donne sur la ville, haute muraille sans ornement, belle seulement de sa compacité altière, intimide et repousse, autant la façade côté jardin attire par une décoration raffinée. Le cardinal y a fait incruster des basreliefs antiques, volés à des monuments ou à des sarcophages.On a la surprise, ensuite, de découvrir, au fond du jardin, dans le dernier «carré», un groupe de statues complètement baroques, copies d’antiques romains. Balthus, directeur de la villa en 1961, découvrit ces moulages dans une réserve de plâtres, et les disposa dans l’herbe selon une scénographie elle-même baroque, qui illustre admirablement le mythe.

Apollon, pour punir la reine Niobé de s’être vantée de sa nombreuse progéniture, tua treize de ses quatorze enfants. Les statues des victimes, de leur mère et d’un grand cheval qui doit être celui du dieu, dessinent un arc de cercle au milieu de la verdure. Longues tuniques pour Niobé et ses filles, figées dans des poses conventionnelles. Les garçons, nus et plus beaux, essayent de s’échapper ou agonisent dans toutes les postures de la pâmoison. Tous apparaissent dans l’acte de fuir ou de mourir, saisis dans une seconde fugace qui ne se répétera pas ; tous expriment la stupéfaction de cet instant unique. Art de mouvement, de théâtre. Un classique, grec ou du Quattrocento, eût choisi un autre moment, celui où la paix de la mort rassérène les visages. Typiquement baroque est ce goût de préférer le passage à l’état, le transitoire à l’éternel, l’agitation au repos. Comme sont baroques les valeurs exaltées: la sensualité frémissante, le voisinage équivoque de la souffrance et de la volupté, l’alliance de la mort et du plaisir, les noces du funèbre et du jubilatoire. Il est étrange de penser que, dans la Rome antique, on ait deviné ce qui serait, de nombreux siècles plus tard, l’esthétique et la philosophie de l’opéra. Plus étrange encore de surprendre, dans ce temple de la beauté régulière qu’est la villa Médicis, cette embardée vers le convulsif, le mélodramatique, le paroxysme émotionnel.L’autre moitié du jardin, dite Bosco, est un sous-bois de chênes et d’acanthes. Partie «romantique» de la villa, il incline à la rêverie. C’est là, «couché dans un lit de feuilles mortes», que Berlioz composa la «scène aux champs» de la Symphonie fantastique. Là aussique Debussy reçut la première inspiration du Prélude à l’après-midi d’un faune. Tout compte fait, cependant, peu de grands artistes sont sortis de la villa. Beaucoup de pensionnaires – et Debussy le premier – se sont plaints de ne pouvoir travailler dans une ville aussi ennuyeuse que Rome («capitale de l’ennui» disait Chateaubriand, verdict confirmé par Zola) et dans un cadre aussi beau que celui de la villa Médicis. Paradoxe de la beauté: elle stérilise autant qu’elle exalte. Celui qui prend ses quartiers dans le palais du cardinal Ferdinand se sent partagé entre l’enchantement d’un décor si parfait, et une sorte d’accablement né de la conviction qu’il n’y rien d’autre à faire en face d’un tel accomplissement que de se figer dans une contemplation immobile, une stupeur inactive et glacée.



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