Romans et peintures de Maurice Utrillo et Suzanne Valadon

La Pinacothèque propose la première grande rétrospective en France des œuvres de Suzanne Valadon (1865-1938) et de son fils Maurice Utrillo (1883- 1955). 140 toiles retraçant un moment singulier de l’histoire de la peinture parisienne.Il s’agirait d’aller de Maurice Utrillo à Suzanne Valadon, de remonter du fils vers la mère. Ce serait la disposition d’esprit qui permettrait justement dene pas regarder la peinture du fils comme descendant de celle de sa mère – comme s’il en allait de la parenté picturale à la façon de la parenté de sang: filiation directe, voire explication de l’un par l’autre. Le titre de l’exposition à venir de la Pinacothèque de Paris, Suzanne Valadon - Maurice Utrillo, ne doit pas induire en erreur, car il s’agit de distinguer deux peintres.Pourtant, leur biographie respective fournit des «éléments à charge» pour les épingler l’un et l’autre comme des stéréotypes. Valadon, en tant qu’elle fut tour à tour modèle de Degas, Renoir, Puvis de Chavannes, Toulouse-Lautrec, en tant qu’amante de ce dernier également, puis du musicien Erik Satie, était prédisposée à devenir une héroïne de roman. Ce qui n’a pas manqué d’ailleurs à travers le récit édifiant qu’en fit Michel Peyramaure1. À tel point que son œuvre risquerait de passer au second plan, au bénéfice d’une biographie assurément romanesque. Quant à Utrillo, seul peintre de Montmartre à être né dans le quartier, il est devenu emblématique, à son corps défendant, d’une image d’Épinal. En 1955, l’année de sa mort, Sacha Guitry l’invite en toute ingénuité à endosser...

La Pinacothèque propose la première grande rétrospective en France des œuvres de Suzanne Valadon (1865-1938) et de son fils Maurice Utrillo (1883- 1955). 140 toiles retraçant un moment singulier de l’histoire de la peinture parisienne.
Il s’agirait d’aller de Maurice Utrillo à Suzanne Valadon, de remonter du fils vers la mère. Ce serait la disposition d’esprit qui permettrait justement dene pas regarder la peinture du fils comme descendant de celle de sa mère – comme s’il en allait de la parenté picturale à la façon de la parenté de sang: filiation directe, voire explication de l’un par l’autre. Le titre de l’exposition à venir de la Pinacothèque de Paris, Suzanne Valadon – Maurice Utrillo, ne doit pas induire en erreur, car il s’agit de distinguer deux peintres.Pourtant, leur biographie respective fournit des «éléments à charge» pour les épingler l’un et l’autre comme des stéréotypes. Valadon, en tant qu’elle fut tour à tour modèle de Degas, Renoir, Puvis de Chavannes, Toulouse-Lautrec, en tant qu’amante de ce dernier également, puis du musicien Erik Satie, était prédisposée à devenir une héroïne de roman. Ce qui n’a pas manqué d’ailleurs à travers le récit édifiant qu’en fit Michel Peyramaure1. À tel point que son œuvre risquerait de passer au second plan, au bénéfice d’une biographie assurément romanesque. Quant à Utrillo, seul peintre de Montmartre à être né dans le quartier, il est devenu emblématique, à son corps défendant, d’une image d’Épinal. En 1955, l’année de sa mort, Sacha Guitry l’invite en toute ingénuité à endosser un rôle d’icône montmartroise sur le tournage de Si Paris nous était conté.

Une surcharge de signes typiques pour un roman qui aurait pu être écrit par Émile Zola. En effet, le drame privé d’Utrillo et Valadon condense l’essence de la saga des RougonMacquart, l’histoire d’une famille frappée par une folie héréditaire. Du fait de la folie de Valadon d’abord, excentrique et mégalomane, possessive à l’excès à l’égard de son fils. Du fait de la folie d’Utrillo ensuite, telle qu’elle s’est manifestée à travers un alcoolisme précoce et, dès dix-sept ans, un cycle interminable allant de la démence à la maison de repos, en passant par l’asile de fous avant de retourner à Montmartre.Sans oublier un autre épisode: la liaison entre Suzanne et André Utter, un ami de Maurice, du même âge que lui et peintre lui-même. Une liaison qui transforme le duo de la mère et du fils en un trio amoureux fantasmatique et incestueux. Bref, un roman bien meilleur que L’œuvre, dudit Zola, récit un peu maigre sur les jeunes peintres, leur orgueil et l’aventure de l’avant-garde naissante.Mais c’est la façon dont le drame d’Utrillo et Valadon s’incarne en images qui est sans conteste le plus intéressant. Le fils et la mèreeurent des personnalités picturales radicalement distinctes, la parenté de sang n’avalisant aucune parenté de style.Après avoir scruté les techniques des maîtres en posant chez eux, et plus tard poussée par Renoir et Degas, Valadon passe alternativement du rôle de modèle à celui de peintre. C’est son autoportrait qui a attiré l’attention de Renoir. De manière caractéristique dans sa peinture, elle y applique largement la couleur. En effet, elle développe un travail extrêmement rude et direct. Ce qui put déplaire, à l’époque. Elle peint des portraits, des nus, des bouquets, des paysages. Cependant, c’est l’insistance sur la couleur qui distingue son travail, insistance qui invite au rapprochement avec l’œuvre de son contemporain Pierre Bonnard, et de son cadet André Derain, tous deux grands coloristes.Entre-temps, Utrillo conquiert son style personnel. Il trouve une carrière à plâtre, y prend du blanc, le mélange avec du jaune d’œuf et du pigment qu’il fait lui-même et l’applique au couteau sur la toile. Après les premiers tableaux d’influence impressionniste, et une période de dévotion pour Sisley et Pissarro, il chemine vers sa propre peinture. Celle de paysages vides, à Montmartre, en Corse, au Vésinet: il taille dans la toile de grands plans entre des verticales hautes. Ce qu’on retrouve trente ans plus tard, bien que traité de manière plus directe, chez Nicolas de Staël. Utrillo mêle sable, mousse et blanc de zinc, dont il surcharge la toile, pour aboutir à des plans à la fois pleins et travaillés, des qualités de blanc épais, gris et blanc rosé. Les murs paraissent lépreux sur sa toile. Est-ce parce qu’à cette époque, avant que ses vieilles maisons ne laissent la place à des immeubles de cinq ou six étages avec ascenseur, Montmartre s’écroule ?Dans la Rue Norvins et la Rue Cortot sont hissés de grands plans colorés, parois et toits luisants comme des flancs de poisson. Les arbres et les arêtes sont de couleur terre, transparents, bleus. Trottoirs, murs, parois et chaussée sont glacés, les volets sont fermés. Des découpes franches font apparaître le ciel vertical. Audessous, fuient les perspectives, comme dans la Rue Tholozé.Aux rues vides s’adjoignent les représentations d’églises. Celle de Villiers-le-Bel, par exemple, peinte au commencement de sa «période blanche», avec des plaques, une toiture et des vitraux imposants. Entre les plans blancs de L’Église de Sainte- Marguerite ou ceux du Château de la Ferté-Milon, des arbres sont tracés en coups secs. Utrillo sollicite aussi l’isolement de quelques touches colorées, comme on le voit avec la palette vive à laquelle donne lieu Le marchand de couleurs. Outre la prégnance des plans, des détails, les silhouettes et les rosaces sont prétextes à variations sur le rouge. En pléthores locales, ces couleurs figurent à la marge ou bien se substituent franchement comme une mer de gazon, aux déserts froids de Montmartre.L’étoffe des silhouettes est colorée aussi. Cet usage de l’impressionnisme s’institue comme sur la réserve. Stéréotypées, ces silhouettes reviennent presque identiques d’une toile à l’autre: du Théâtre de l’Atelier au Couvent de la Tourette, une femme à chapeau porte la même robe verte, longue et bouffante. Plus aucun homme près de l’Église de Stains. Mais, à distance d’un doublet de rosaces, deux autres personnes sont plantées en avant-plan, dans des arpents et des vergers, sous la largesse du ciel.

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