Van Gogh les paysages

«Dans une spectaculaire rétrospective qui est une première mondiale, le Kunstmuseum Basel présente un survol exhaustif des peintures de paysages du légendaire Vincent Van Gogh.» C’est ainsi qu’on essaie de nous «vendre» cet événement. Que les publicitaires s’occupent de leurs savonnettes: les tableaux de Van Gogh n’ont pas besoin d’être «promus» comme de vulgaires produits de consommation. Dans le temps, on chassait les marchands du temple; aujourd’hui on leur confie les clefs du tabernacle. Or ce «survol exhaustif» vaut mieux qu’un survol mais n’a rien d’exhaustif.La plupart des expositions Van Gogh de ces dernières années – et nous n’en avons pas manqué – étaient consacrées soit à une période limitée de son œuvre (Van Gogh in Arles, Metropolitan Museum, New York, 1984, et Arles, 1989); Van Gogh in Saint-Rémy and Auvers, Metropolitan Museum, New York, 1986 ; Van Gogh à Paris, Musée d’Orsay, 1988; Los últimos paisajes, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid, 2007); à un thème dominant (Van Gogh : Das Mohnfeld und der Künstlerstreit, Kunsthalle Bremen, 2002 et Toledo, 2003; Van Gogh and the Colors of the Night, The Museum of Modern Art, New York, 2008) ou à un genre (Van Gogh face to face – The Portraits, Detroit, Boston, Philadelphie, 2000). Il pouvait donc paraître légitime de réunir un choix représentatif de soixante-dix paysages, afin de donner une idée de l’évolution du peintre, de ses premières années à Nuenen jusqu’à sa fin tragique à Auvers, en passant par les étapes de Paris, d’Arles et de Saint-Rémy-de-Provence. Une carrière artistique qui...

«Dans une spectaculaire rétrospective qui est une première mondiale, le Kunstmuseum Basel présente un survol exhaustif des peintures de paysages du légendaire Vincent Van Gogh.» C’est ainsi qu’on essaie de nous «vendre» cet événement. Que les publicitaires s’occupent de leurs savonnettes: les tableaux de Van Gogh n’ont pas besoin d’être «promus» comme de vulgaires produits de consommation. Dans le temps, on chassait les marchands du temple; aujourd’hui on leur confie les clefs du tabernacle. Or ce «survol exhaustif» vaut mieux qu’un survol mais n’a rien d’exhaustif.
La plupart des expositions Van Gogh de ces dernières années – et nous n’en avons pas manqué – étaient consacrées soit à une période limitée de son œuvre (Van Gogh in Arles, Metropolitan Museum, New York, 1984, et Arles, 1989); Van Gogh in Saint-Rémy and Auvers, Metropolitan Museum, New York, 1986 ; Van Gogh à Paris, Musée d’Orsay, 1988; Los últimos paisajes, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid, 2007); à un thème dominant (Van Gogh : Das Mohnfeld und der Künstlerstreit, Kunsthalle Bremen, 2002 et Toledo, 2003; Van Gogh and the Colors of the Night, The Museum of Modern Art, New York, 2008) ou à un genre (Van Gogh face to face – The Portraits, Detroit, Boston, Philadelphie, 2000). Il pouvait donc paraître légitime de réunir un choix représentatif de soixante-dix paysages, afin de donner une idée de l’évolution du peintre, de ses premières années à Nuenen jusqu’à sa fin tragique à Auvers, en passant par les étapes de Paris, d’Arles et de Saint-Rémy-de-Provence. Une carrière artistique qui aura duré dix ans à peine, mais au cours de laquelle Van Gogh a peint plus de huit cents toiles et environs neuf cents dessins.Parallèlement, une exposition complémentaire rassemble une quarantaine de tableaux de contemporains (Monet, Pissarro, Renoir, Gauguin, Degas, Cézanne) «provenant de la célèbre collection du Kunstmuseum Basel», «qui compte parmi les plus importants musées d’Europe» (nous ne quittons décidément pas l’aire des superlatifs…) L’idée est louable: elle permet de mieux se rendre compte de l’originalité de Van Gogh qui n’a cessé de se mesurer à ses contemporains.À lire sa correspondance, on a parfois l’impression que Van Gogh est un paysagiste malgré lui, tant il témoigne de respect à l’ancienne hiérarchie des genres, qui réserve la première place à la peinture religieuse et à la peinture d’histoire mettant en scène de grands personnages. Ingres et Delacroix, morts respectivement en 1867 et en 1863 sont les derniers représentants de cette tradition, à laquelle Manet et Renoir ont encore sacrifié. Sans parler des peintres «pompiers». Suit le portrait, auquel Van Gogh dit plus d’une fois vouloir se consacrer de préférence. Le paysage, en revanche, figure au bas de l’échelle, suivi de la nature morte.Or au cours du XIXe siècle, cette hiérarchie va s’inverser, en partie sous la pression d’un nouveau type de collectionneur issu de la bourgeoisie. C’est lui qui fera le succès des impressionnistes, dont Théo Van Gogh, marchand d’art chez Goupil, à Paris, entretient son frère avant même que ce dernier n’ait pu voir la moindre toile de Monet, de Renoir ou de Pissarro.

Les débuts de Van Gogh sont marqués par la tradition hollandaise. C’est à travers des couleurs sombres, voire fuligineuses, que Van Gogh, après des débuts peu encourageants comme marchand d’art puis comme théologien, dit la mélancolie des paysages de Nuenen (où son père était pasteur), la pitié que lui inspirent les paysans du Brabant ou les ouvriers du Borinage. Les ciels sont gris, nuageux, les silhouettes des personnages courbées vers la terre. Pauvre, voire misérable, et de santé fragile, Vincent Van Gogh se sent attiré par la misère des autres, car elle signifie la misère de la condition humaine: «Je préfère peindre des yeux humains – écrit-il le 19 décembre 1885 à Théo – plutôt quedes cathédrales, si majestueuses et si imposantes soient-elles – l’âme d’un être humain – même les yeux d’un pitoyable gueux ou d’une fille du trottoir sont plus intéressants selon moi.»Au cours de ses déambulations, il n’arrête pas de dessiner: «Il est assez étrange – écrit-il un jour à Théo – que je fasse parfois des croquis malgré moi.» Des croquis qui souvent sont insérés dans ses lettres (il en a écrit un millier, la plupart adressées à son frère Théo). Il est regrettable que les dessins soient totalement absents de l’exposition, d’autant qu’ils ont dominé, et de loin, la production de Van Gogh avant son arrivée à Paris.

La conversion du peintre au paysage n’a jamais été complète. D’Arles, il écrira encore à son frère en 1888: «Je me fais des reproches à n’en pas finir de ne pas encore avoir fait de figures ici. Voici encore un paysage: Soleil couchant ? Lever de lune ? Soleil d’été en tout cas.»L’installation à Paris en mars 1886, où il habite chez son frère Théo (d’abord rue de Laval, devenue rue Victor-Massé, dans le quartier Saint Georges, puis rue Lepic, non loin de la Butte Montmartre) ne modifie pas immédiatement son style. Il commence à peindre une série d’autoportraits et de natures mortes avec la même palette sombre qu’auparavant. Mais peu à peu perce dans ses paysages l’influence des impressionnistes dont il a encore pu voir la huitième et dernière exposition (en maijuin 1886). Il fait la connaissance de Pissarro, de Degas, de Renoir, de Monet, de Sisley, de Seurat, de Signac, de Gauguin. Et il découvreParis et ses environs immédiats. «Il y a des choses grandioses dans le monde, la mer et les pêcheurs, le sillon et les paysans, la mine et les mineurs. Mais je trouve aussi grandioses les trottoirs de Paris, de même que les gens qui connaissent leur Paris à fond», avait-il écrit à Théo déjà, de Nuenen, en janvier 1885. Peu à peu, Van Gogh se convertit aux teintes vives de l’Impressionnisme et du Pointillisme, particulièrement frappantes dans les vues de Paris depuis sa chambre ou dans Le Restaurant de la Sirène à Asnières (été 1887).Toutefois, la vie de la capitale lui pèse ; les possibilités d’exposer étaient rares pour les «peintres du Petit Boulevard», comme il les appelait, les distinguant ainsi des impressionnistes reconnus, les «peintres du Grand Boulevard».Les derniers tableaux peints à Paris traduisent une profonde nostalgie de la campagne. Ainsi ce Champ de blé à l’alouette ou Les Usines, juxtaposant deux plans nettement séparés: le haut du tableau évoque le monde industriel, la vie moderne, la partie inférieure, le monde de la nature. On retrouve le même principe de composition dans Les Moissonneurs ou dans Soir d’été, sauf que le monde de la ville disparaît dans le fond pour laisser la place aux champs de blé.À Arles, où Van Gogh espère retrouver et la santé physique et un équilibre psychique, le peintre découvre la lumière éclatante et les couleurs vives du Midi: «Une petite ville entourée de champs couverts de fleurs jaunes et rouges, exactement – peux-tu le voir ? – comme un rêve japonais.» Pour Van Gogh, «Japon» est synonyme de couleurs. S’il a connu l’art japonais à Auvers, c’est à Paris qu’il voit pour la première fois une grande quantité d’estampes (qu’il se met d’ailleurs à collectionner).

On a beaucoup parlé de l’explosion de couleurs de Van Gogh à Arles, mais l’analyse la plus intéressante reste la sienne: «Je voudrais faire le portrait d’un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c’est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j’ai pour lui. Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai pour commencer. Mais le tableau n’est pas fini ainsi. Pour le finir, je vais maintenant être coloriste arbitraire. J’exagère le blond de la chevelure, j’arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle. Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l’infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l’étoile dans l’azur profond.»Ce que dit Van Gogh ici d’un portrait s’applique parfaitement aux paysages peints à Arles et à Saint-Rémy-de-Provence, comme par exemple ces Cabanes blanches à Sainte-Marie, sans parler des toiles, éclatantes de lumière, consacrées aux champs de blé.La production de Van Gogh est torrentielle. «Je dois te prévenir – dit-il à Théo – que tout le monde va trouver que je travaille trop vite. N’en crois rien. N’est-ce pas l’émotion, la sincérité du sentiment de la nature, qui nous mène, et si ces émotions sont quelques fois si fortes qu’on travaille sans sentir qu’on travaille, lorsque quelquefois les touches viennent avec une suite et des rapports entre eux comme les mots dans un discours ou dans une lettre, alors il faut se souvenir que cela n’a pas toujours été ainsi et que dans l’avenir il y aura bien des jours lourds sans inspiration. Doncil faut battre le fer pendant qu’il est chaud et mettre les barres forgées de côté.»La période d’Arles aura été la plus féconde de la carrière de Van Gogh. Près de deux cents toiles y furent exécutées et un très grand nombre de dessins.Mais l’état de santé du peintre se dégrade. Ses lettres font état de crises. Elles s’aggravent encore lorsqu’il fait venir Gauguin, qui vit misérable et ignoré de tous en Bretagne. La cohabitation est difficile. On ne reviendra pas ici sur l’épisode exploité à satiété de l’oreille coupée. Toujours est-il que la population d’Arles supporte mal la présence d’artistes qu’elle juge excentriques. C’est de sa propre initiative que Van Gogh emménage le 8 mai 1889 à l’asile d’aliénés Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémyde-Provence. Il continue à travailler, traduisant ses tourments dans des représentations hallucinées de L’Hôpital Saint-Paul ou à travers les torsions d’oliviers noueux.

Au début de 1890, sur les conseils de son frère, Van Gogh se confie au docteur Gachet, à Auvers. C’est la dernière étape de son parcours douloureux. Le retour dans le Nord lui apparut d’abord comme un retour à la maison. «Je m’aperçois déjà que cela fait du bien d’aller dans le Midi pour mieux voir le Nord.» Aux teintes vives du Midi se mêlent maintenant les teintes sombres du Nord, comme dans ces Vues d’Auvers ou ce Champ de blé aux bleuets. Jamais sa productivité n’aura été plus intense: plus de quatre-vingts tableaux voient le jour àAuvers. Exposé au Salon des Indépendants en 1889 et en 1890, à l’exposition annuelle «des vingt» à Bruxelles, Van Gogh, qui de façon obstinée n’a jamais cherché à plaire, obtient un début de reconnaissance. Trop tardive. Le 27 juillet 1890, il se tire une balle en pleine poitrine et décède deux jours plus tard des suites de sa blessure. Van Gogh, le suicidé de la société, comme dira Artaud plus tard, celui qui envers et contre tout – et contre tous – a imposé une nouvelle manière de peindre. Une nouvelle manière de voir la réalité.

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