LES SUBSTANCES MÉTAPHYSIQUES DE PIER PAOLO CALZOLARI

Dans l’agrégat italien d’Arte povera, lié par une communauté d’attitude, le Bolonais Calzolari joue la carte de la poétique du matériau qu’il sait rendre tour à tour sec et sensible, gelé et vibrant ou calciné et lumineux.Arte povera, art pauvre, ce sont pour l’histoire de l’art les noms de Giovanni Anselmo (1934), Alighiero e Boetti(1940-1994),Pier Paolo Calzolari (1943), Luciano Fabro (1936-2007), Jannis Kounellis (1936), Mario Merz (1925-2003), Marisa Merz (1931), Giulio Paolini (1940), Pino Pascali (1935- 1968), Giuseppe Penone (1947), Michelangelo Pistoletto (1933) et Gilberto Zorio (1944). Cette constellation de douze artistes – fixée seulement dix-huit ans plus tard – naquit de l’exposition éponyme réalisée à Gênes en 1967 par le critique Germano Celant (1940) qui fédéra cinq d’entre eux avec Emilio Prini (1943) autour d’une donnée apparemment simple: «le caractère empirique et non spéculatif du matériau».Le terme pauvre, emprunté au théâtre expérimental, renvoie en l’occurrence à tout un éventail d’acceptions assez ouvertes. Arte povera est l’expression libre du précaire, du contingent, à l’opposé des «produits» propres à engendrer le «même» qui rassure la société. Arte povera, on le devine, n’a pas partie liée avec l’industrie culturelle, la société de consommation, le marché. Adoptant un profil politique, voire révolutionnaire, Arte povera accompagne la contestation des dernières années 1960 et refuse la définition univoque des conventions, pour être toujours là où l’on ne l’attend pas, comme dans la guérilla (c’est le mot utilisé par Celant dans un article de Flash Art). Une guérilla aux propositions dialectiques (on associe la salade à...

Dans l’agrégat italien d’Arte povera, lié par une communauté d’attitude, le Bolonais Calzolari joue la carte de la poétique du matériau qu’il sait rendre tour à tour sec et sensible, gelé et vibrant ou calciné et lumineux.
Arte povera, art pauvre, ce sont pour l’histoire de l’art les noms de Giovanni Anselmo (1934), Alighiero e Boetti(1940-1994),Pier Paolo Calzolari (1943), Luciano Fabro (1936-2007), Jannis Kounellis (1936), Mario Merz (1925-2003), Marisa Merz (1931), Giulio Paolini (1940), Pino Pascali (1935- 1968), Giuseppe Penone (1947), Michelangelo Pistoletto (1933) et Gilberto Zorio (1944). Cette constellation de douze artistes – fixée seulement dix-huit ans plus tard – naquit de l’exposition éponyme réalisée à Gênes en 1967 par le critique Germano Celant (1940) qui fédéra cinq d’entre eux avec Emilio Prini (1943) autour d’une donnée apparemment simple: «le caractère empirique et non spéculatif du matériau».Le terme pauvre, emprunté au théâtre expérimental, renvoie en l’occurrence à tout un éventail d’acceptions assez ouvertes. Arte povera est l’expression libre du précaire, du contingent, à l’opposé des «produits» propres à engendrer le «même» qui rassure la société. Arte povera, on le devine, n’a pas partie liée avec l’industrie culturelle, la société de consommation, le marché. Adoptant un profil politique, voire révolutionnaire, Arte povera accompagne la contestation des dernières années 1960 et refuse la définition univoque des conventions, pour être toujours là où l’on ne l’attend pas, comme dans la guérilla (c’est le mot utilisé par Celant dans un article de Flash Art). Une guérilla aux propositions dialectiques (on associe la salade à la pierre), aux accents ascétiques traduisant une spiritualité certes incarnée dans des matériaux (« pauvres»), mais moins matérialiste que celle du minimal art américain. Or cet art de la nature morte, en réalité bien plus que de la figure, est loin de se limiter au rebut, aux matériaux et aux objets «pauvres», car le cuivre et le néon, par exemple, qu’Arte povera ne dédaigne pas, offrent une sophistication certaine. Arte povera ne donne pas dans le brutalisme. Faut-il alors plutôt parler d’éléments éphémères, de dispositifs d’apparence «pauvre» ? Cela n’est pas certain. Tout comme l’on ne saurait dire qu’il s’agit d’un art dont «l’image est absente, la forme, a priori, indifférente», comme l’écrivait Grégoire Müller dans sa préface au catalogue de Quand les attitudes deviennent forme, la célèbre exposition de la Kunsthalle de Berne, au printemps 1969, qui avait fait la part très belle à la représentation des protagonistes d’Arte povera.Dans ce champ d’expérimentation, Calzolari précise que «le problème était pour nous de retrouver la vraie voix, le son de chaque matière». Et dès lors il associe l’affirmation nue à la sublimation des matériaux et des substances. Ainsi, dans tel tableau serti d’un cadre de plomb «modelé», il jette sur un lit de sel durci un semis de pétales de roses et engage le dialogue direct, extrêmement subtil, de la brillance cristalline d’une neige dure, statufiée pour toujours, et de la fragilité aérienne d’une vie naguère colorée et palpitante, maintenantdéshydratée – existences minérales et végétales antithétiques, désormais réunies dans la même perspective lointaine de poussière. Dans Specchio Oro Portrait (ill. 1), l’étendue qui laisse dégagé le «portait» rectangulaire aux reflets d’or est recouverte de centaines de pétales de fleurs de l’arbre de Judée appliqués comme autant de touches pointillistes sur le cuivre délicatement transformé tout à coup en «miroir terni» par la minceur de l’haleine. Transformation de la peau des choses, opérations alchimiques – et parfois mentales.Dans Studio (ill. 2), la croûte de sel est tachée par la rouille qui s’est étendue à partir du support de fer sur lequel repose un œuf. Comme dans d’autres œuvres où jouent la calcination (ill. 3), la réfrigération par structures givrantes et la lumière bleue des lettres néon (ill. 4), l’oxydation modifie comme une ombre informe l’écran sur lequel se détache l’ovoïde, corps parfait. Or, Calzolari connaît bien sûr, suspendu au foyer de la Pala Montefeltro de Piero della Francesca (Milan, Brera), l’œuf sans ombre qui symboliserait l’Immaculée Conception, la naissance, les quatre éléments du monde (eau, air, feu, terre). De toute évidence, Calzolari s’intéresse à la coïncidence et à l’opposition du matériel et de l’immatériel, du concret et du virtuel, de la perception et de la pensée. Dans l’immaculée Natura morta de 2008 (ill. 5), il pose sur une table recouverte de trois draps, devant une toile carrée monochrome blanche divisée par une verticale de tempéra au lait, une quenouille – et un œuf: cela a tout d’un autel, nimbé d’une italianità qui surplombe et transcende la «pauvreté».Le sens matériel du quotidien incarné et ses métamorphoses, autant que la dimension ésotérique et la disponibilité à la métaphore, consacrent la place singulière que Pier Paolo Calzolari occupe dans Arte povera. Les constituants de son art s’accordent de façon moins paradoxale qu’on ne le penserait à la questiontitre de l’exposition: Quand meurt le rêveur, qu’en est-il du rêve ? Le matériau est empirique, son offre spéculative.

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