Au moment des vendanges, on ignore comment sera le vin. À Paris, la Fiac, rendez-vous automnal incontournable de l’art contemporain depuis trente-cinq ans, est devenue le carrefour où se croisent artistes, galeristes, collectionneurs, amateurs et curieux. Incontournable ? La tentative des «Élysées de l’Art» en mars, n’aura pas été un échec. Elle a fait souffler un vent de liberté en face d’une institution. Querelle ? Polémique ? Rien de grave: on est en France…
Il faut dire que, pour le grand-public, la Fiac s’inscrit dans le calendrier, à l’instar des prix littéraires ou du salon de l’automobile. Mais en trente-cinq ans,elle a connu une histoire chaotique. Une foire s’installe sur un lieu. Or, la Fiac, qui a commencé à la Bastille (elle s’appelait alors «Salon international d’art contemporain»), est passée par le Quai Branly, le Palais des Expositions de la Porte de Versailles, par le Grand-Palais enfin, avec une extension dans la Cour carrée du Louvre et les jardins des Tuileries. Cadres sublimes.Un évident manque de repères a brouillé les antennes du public. Depuis l’intégration, en 2004, du design parmi les disciplines représentées, les frontières entre l’art et la manière se sont amenuisées. Que vient voir le public ? Et la sempiternelle question « c’est encore de l’art, ça ?» qu’on entendait déjà au Salon d’Automne quand les Fauves montrèrent leurs audaces, est-elle toujours audible ? Tant que la télévision ne s’intéressera pas de près à l’art contemporain, le quidam ne se sentira pas concerné (ce qui n’est pas plus mal dans un sens; cela évite une peopolisation exagérée comme on le voit dans la République des Lettres; la télévision ne montrant pas les choses mais les gens). La perte de repères a été accentuée par l’internationalisation: 48 pays représentés, non pas répartis en pavillons comme à la Biennale de Venise, mais mélangés dans 169 galeries regroupant 900 artistes.À y regarder de plus près, un troisième élément inquiète le promeneur: les querelles de personnes. Ainsi, on a pu regretter des hommages contestables à des artistes déjà reconnus; les galeristes ont boudé le coût élevé des stands, le manque de transparence dans l’élection des marchands et des artistes, l’insuffisance de l’organisation, la difficulté de se positionner entre art moderne et art contemporain.
Changements de lieux, manque de clarté, ressentiments… La France comme on l’aime et qui jalouse la Foire de Bâle, s’inquiète de «Frieze», foire londonienne créée en 2003… Les artistes jouissent d’une forme d’ubiquité à travers leurs oeuvres, mais les marchands ne peuvent pas être partout !Depuis 2004, la Fiac est organisée par Reed Expositions, entreprise privée rodée à l’exercice (460 salons annuels dans 29 pays). Martin Bethenod en est devenu le commissaire. Ancien journaliste habitué aux arcanes de l’administration culturelle dans le sillon de Jean-Jacques Aillagon, il a confié la direction artistique à la galeriste néozélandaise Jennifer Flavy. À eux deux, ils ont maintenu le PrixMarcel Duchamp (créé en 2005 et doté de 35 000 euros), créé avec Artprice le «Rapport annuel du marché de l’art contemporain », boussole indispensable pour discerner les mouvements artistiques et se repérer dans les ventes, enfin, ils ont su intéresser de plus en plus de galeristes étrangers.Il a fallu quelques années, après 1974, pour que les galeristes parisiens s’intéressent à la Fiac. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux, pris de lassitude ou essoufflés devant la concurrence, s’organisent différemment. Comme à Avignon, où le festival de théâtre a engendré un festival «off», certains galeristes se placent en marge de la Fiac, mais pas en opposition. C’est dire que la Fiac stimule les initiatives.Et le cru 2008 sera impressionnant. Comme s’il fallait réconcilier les Français avec leurs artistes, quatre Français ont été retenus pour le prix Marcel Duchamp. «À l’occasion de la Fiac», tout le monde s’y met: les pouvoirs publics, les fondations, les musées: Lee Miller au Jeu de Paume, Buren à l’Hôtel Salé, Villeglé à Beaubourg, Jérémy Deller au Palais de Tokyo; «de Mirò à Warhol» au musée du Luxembourg; David Seidner à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint-Laurent; Jeff Koons au Château de Versailles (du jamais vu !), etc. Demandez le programme ! Vous le trouverez sur le site fiac. com. Un régal.La Fiac créera donc l’événement à Paris et en Île de France du 23 au 26 octobre 2008. Paris sera au cœur de l’art contemporain avec des formes, des couleurs, des matériaux, des audaces, des regards nouveaux. Des milliers d’œuvres concentrées pour une fête des yeux et pour traquer ce supplément d’âme qu’on appelle l’émotion. Qui voudrait encore bouder la Fiac ? Loin des considérations muséales, elle devient un détonateur d’art contemporain.