«C’est Byzance!» s’exclamait-on naguère devant un étalage de luxe à la magnificence hors du commun. C’est que la richesse de cette ville est proverbiale. Au Moyen Âge, aucune autre cité ne pouvait rivaliser avec elle, jusqu’à ce que Venise prenne sa succession. Et l’on connaît, par les chroniqueurs de l’époque, qu’elle fut la réaction des Croisés lorsqu’ils s’en emparèrent, le 13 avril 1204. Tant de trésors accumulés leur firent perdrent la tête, déchaînant chez eux une folie meurtrière, dont le monde orthodoxe conserve aujourd’hui encore le souvenir amer. L’art byzantin fascine toujours autant et nombreux sont les collectionneurs spécialisés dans le domaine. Mais rares sont ceux qui peuvent se comparer avec le collectionneur dont nous présentons ici quelques pièces, sélectionnées parmi beaucoup d’autres. Elles doivent leur pedigree souvent prestigieux à leur extraordinaire qualité et rareté. ARTPASSIONS offre à ses lecteurs l’occasion d’admirer ces chefs-d’œuvre avant leur dispersion annoncée.
La collection s’ouvre par un magnifique plat d’argent, au thème païen: un satyre et une ménade, emportésdans une danse frénétique. Le satyre tient le «pedum», bâton du berger tandis qu’un serpent s’enroule autour de sa jambe droite. La ménade brandit deux torches. Une petite panthère s’agite aux pieds des danseurs. Le fauve et le reptile indiquent que la scène se déroule dans le cadre dionysiaque. Cinq sceaux de contrôle sont appliqués sur le pied du plat, dont l’un orné du monogramme de l’empereur Justin II (565-578). Neveu et successeur de Justinien, c’est lui qui créa l’Exarchat de Ravenne où il fit construire la fameuse basilique San Vitale.Une plaquette en ivoire s’inscrit dans le même contexte mythologique. On y voit un homme et une femme, serrés l’un contre l’autre. L’homme, coiffé d’une couronne, contemple l’objet que sa compagne tient de la main droite, peut-être une coupe. Qui sont ces personnages ? Probablement Dionysos et Ariane, représentés à la manière orientale, le dieu adoptant une attitude languissante. Quant au petit enfant, qui surgit au-dessus du couple, il pourrait s’agir d’Éros, bien qu’il ne soit pas ailé. L’œuvre est à dater du Ve ou du VIe siècle.Une autre plaque en ivoire constitue le couvercle d’une tablette à écrire, les trous pratiqués au pourtour ayant servi au passage des lanières qui tenaient ensemble les différents feuillets. Le médaillon central renferme le buste d’un consul, avec ses insignes: le sceptre et la mappa, pièce d’étoffe qu’on laissait tomber sur la piste de l’hippodrome pour donner le signal de départ aux conducteurs. Aucune inscription ne désigne le consul représenté, comme si ce polyptyque, préparé à l’avance, était resté inachevé après la cérémonie d’intronisation du magistrat.
Un panneau en marbre, sculpté en bas relief, rappelle par sa finesse le travail sur ivoire. Perchés sur des rinceaux de vignes, deux paons s’affrontent, séparés par une croix ajourée. Dans la tradition chrétienne, dès l’époque des catacombes, le paon dont la queue évoque le ciel étoilé, symbolise l’immortalité promise aux croyants par le Christ mort en croix. L’œuvre appartient à la fin du règne de Justinien.La collection se poursuit par un camée en améthyste, d’une grande pureté, qui représente le Sauveur bénissant, l’Évangile à la main. Son nom, abrégé, figure à sa gauche, en caractères grecs: I(iésu)s Ch(risto)s. La finesse de la gravure et le prix du matériau plaident en faveur de l’attribution à un atelier de la capitale. Sur le plan du style, on peut rapprocher ce camée de celui qui représente Saint Jean Baptiste et qui fut monté sur la couronne du sacre de Napoléon (Musée du Louvre).
Le même genre de physionomie sévère et imposante se retrouve dans la représentation des saints. Par exemple, sur ce carreau en céramique polychrome glaçurée. Cette technique picturale passait encore récemment pour une invention islamique, jusqu’à la découverte à Preslav (Bulgarie) d’un important centre de production. Mais l’exemplaire ici présenté provient probablement de Byzance. L’inscription désigne le personnage comme étant Théodoros, sans qu’on sache de quel saint de ce nom il s’agit.Parmi les pièces impériales, la collection compte un poids en bronze, orné d’un archange tenant le «labarum» (étendard) et le globe terrestre. De part et d’autre, on voitdeux bustes d’empereur, surmonté chacun d’une croix. En bas, on reconnaît la lettre «N» et la lettre «A», abréviation de nomisma, désignant la monnaie d’or émise par Byzance, pesant environ 4,5 gr. Ce type de poids, frappé par les hauts fonctionnaires, servait de mesure étalon.Les lampes à huile sont typiques du monde byzantin; les deux exemplaires de la collection, sont montés sur de hauts supports à trois pieds. Ils sont particulièrement beaux, ne serait-ce que par la couleur verte que le bronze a prise au cours des siècles. Ces lampes pouvaient avoir une fonction rituelle, la lumière étant hautement symbolique dans la pensée chrétienne.
Un des chefs-d’œuvre de la collection est un bracelet en or, articulé. Le médaillon, orné de cercles concentriques, finement perlés, comporte au centre un monogramme gravé en caractères grecs. Ce bijou appartient à une petite série datant du début de l’époque byzantine. Seuls des hommes ou des femmes de haut rang étaient susceptibles de le porter.Ce bijou doit être mis en étroite relation avec un superbe collier à pendentif en forme de croix. L’or y est travaillé à jour, technique qui se disait opus interrasile (entaillé par intervalles). La chaîne est enrichie de pierres précieuses, de perles et de cabochons en verre coloré. Un ornement sacerdotal si imposant ne peut provenir que d’un atelier de la cour impériale.