Retour à l’Antiquité

Bel exemple des bonnes relations qui doivent exister entre musées et collectionneurs privés a fortiori quand le collectionneur en question est luimême homme de musée, l’expositionLe Profane et le divin. Arts de l’Antiquité, au Musée d’art et d’histoire de Genève, est un véritable événement. Le nom de Jean-Paul Barbier brille depuis longtemps, bien au-delà de nos frontières, dans le domaine desArts premiers. On désigne ainsi l’art traditionnel des sociétés restées à l’écart de la civilisation occidentale, urbanisée et industrielle, la nouvelle dénomination ayant remplacé celles d’Arts primitifs ou d’Arts tribaux, jugées respectivement péjorative ou à relent colonialiste. Ce conflit terminologique s’inscrit dans le mouvement de contestation lancé par les partisans de l’art moderne, au début du siècle dernier: ébranler la primauté de l’Antiquité classique, considérée jusque-là comme la seule source d’inspiration possible. Un dogme qu’on jugeait désormais contraignant et stérile.Or, en fin lettré qu’il est, fervent admirateur des poètes de la Renaissance, Jean-Paul Barbier ne pouvait ignorer l’héritage grec et romain, qui a beaucoup compté, je suppose, dans sa propre formation. Mieux que personne, il sait que cet héritage, loin de fermer l’esprit à la nouveauté, y conduit tout naturellement. Car la culture grecque, adaptée par les Romains, tendait par son essence même vers l’universalité. N’est-ce pas au Grec Hérodote, le père de l’histoire, que nous devons une grande part de nos connaissances sur les Perses ou les Scythes ? Ne sommesnous pas redevables aux érudits d’Alexandrie, pensionnés par les Ptolémées, d’avoir appris la succession des dynasties pharaoniques ? Et...

Bel exemple des bonnes relations qui doivent exister entre musées et collectionneurs privés a fortiori quand le collectionneur en question est luimême homme de musée, l’expositionLe Profane et le divin. Arts de l’Antiquité, au Musée d’art et d’histoire de Genève, est un véritable événement.

Le nom de Jean-Paul Barbier brille depuis longtemps, bien au-delà de nos frontières, dans le domaine desArts premiers. On désigne ainsi l’art traditionnel des sociétés restées à l’écart de la civilisation occidentale, urbanisée et industrielle, la nouvelle dénomination ayant remplacé celles d’Arts primitifs ou d’Arts tribaux, jugées respectivement péjorative ou à relent colonialiste. Ce conflit terminologique s’inscrit dans le mouvement de contestation lancé par les partisans de l’art moderne, au début du siècle dernier: ébranler la primauté de l’Antiquité classique, considérée jusque-là comme la seule source d’inspiration possible. Un dogme qu’on jugeait désormais contraignant et stérile.Or, en fin lettré qu’il est, fervent admirateur des poètes de la Renaissance, Jean-Paul Barbier ne pouvait ignorer l’héritage grec et romain, qui a beaucoup compté, je suppose, dans sa propre formation. Mieux que personne, il sait que cet héritage, loin de fermer l’esprit à la nouveauté, y conduit tout naturellement. Car la culture grecque, adaptée par les Romains, tendait par son essence même vers l’universalité. N’est-ce pas au Grec Hérodote, le père de l’histoire, que nous devons une grande part de nos connaissances sur les Perses ou les Scythes ? Ne sommesnous pas redevables aux érudits d’Alexandrie, pensionnés par les Ptolémées, d’avoir appris la succession des dynasties pharaoniques ? Et que dire de Strabon, le géographe d’origine greque, sinon que c’est de lui que nous tenons quantité de renseignements sur les peuples primitifs ou exotiques de son temps, rangés sous le terme de «barbares» ?

Donc, dans son combat pour faire reconnaître le génie artistique des peuplades d’Afrique ou d’Asie, Jean-Paul Barbier ne s’est pas cru obligé de renier ses racines culturelles. Au contraire, il a constitué, parallèlement, pour ne pas dire discrètement, une importante collection consacrée au patrimoine méditerranéen, allant des idoles cycladiques aux portraits du Fayoum.Quand il s’est agi de présenter cette collection au Musée d’art et d’histoire, je me suis réjoui. Et j’ai accepté avec le même enthousiasme de participer à la rédaction du catalogue destiné à l’accompagner, en me chargeant du monde italique et étrusque.Dans cette collection, tout m’intéresse en tant qu’archéologue. Ce qui n’empêche pas une préférence marquée pour un objet que je connais depuis très longtemps et considère comme digne des plus grands musées, à cause de sa qualité formelle, mais surtout de sa haute valeur symbolique.L’œuvre en question est un bronze étrusque, provenant de la collection Warneck, dispersée à Paris en 1905, lequel bronze réapparut sur le marché, à New York cette fois, en 1970.Trois figurines forment un groupe, représentant le transport d’un guerrier. Son corps raidi se présente à l’horizontale, mais de face, pour qu’on puisse contempler sa puissante musculature, qu’aucun vêtement ne dissimule. Ses jambes sont étendues, son bras gauche repose sur la cuisse correspondante, tandis que l’autre, au lieu de pendre, inerte, est ramené autour de la tête, en un geste d’abandon signifiant dans ce cas l’agonie ou la mort, deux états qui s’accordent avec les yeux clos. On comprend que le guerrier, bien que sans blessure apparente, est tombé sous les coups de l’ennemi et que maintenant, sous nos yeux, on l’évacue du champ de bataille pour lui rendre les honneurs funèbres. L’action est empreinte de solennité.Les deux porteurs sont de sexe différent. L’homme à gauche, qui tient dans son poing l’épée du héros, pourrait être l’un de ses compagnons. Quant à la femme qui lui répond, à droite, il faut probablement voir en elle, non pas une simple mortelle, mais une divinité, une divinité propre aux Étrusques, dont le nom nous est inconnu.Ce groupe, qui a pour base une plaque du même métal, constituait à l’origine la poignée d’un couvercle, celui d’un coffret (cista) où les femmes rangeaient leurs affaires de toilette. Le chef-d’œuvre du genre est la ciste Ficorini, découverte à Préneste (Palestrina) en 1738 et signée d’un certain Novios Plautios. Elle porte sur son flanc une magnifique scène gravée: l’expédition des argonautes en Colchide.L’exemplaire de la collection BarbierMueller, dont le style doit beaucoup au classicisme grec, est à dater du deuxième quart du IVe siècle avant J.-C., époque où l’Étrurie connaissait un nouvel essor, tant politique et commercial que culturel.

Une autre œuvre va dans le sens de mes préférences, qui rejoignent dans ce cas celles de Jean-Paul Barbier. En effet, il l’a personnellement choisie pour orner la couverture du livre de l’exposition (Ndlr: également notre choix pour la couverture de ce numéro). Il en a confié la description à un excellent connaisseur, mon collègue Alain Pasquier, ancien conservateur au Musée du Louvre.Il s’agit de la tête en bronze d’un jeune homme, caractérisé par sa chevelure très épaisse, en grosses boucles superposées, couvrant le haut des oreilles. Il est imberbe, bien qu’une sorte de favori commence d’envahir ses joues. Les traits du visage sont parfaitement réguliers: front large, nez droit et charnu, sourcils fins et écartés, bouche étroite aux lèvres pleines, menton arrondi. L’expression est calme, sereine, voire un peu rêveuse.

À l’origine, les orbites, aujourd’hui vides, contenaient des pièces distinctes en os, en verre ou en métal précieux, servant à représenter de manière réaliste le blanc de l’œil, l’iris et la pupille. Les sourcils, en cuivre rouge, étaient eux aussi incrustés, ce qui faisait contraste avec la couleur dorée du visage (avant que la patine des siècles ne la fasse tourner au vert).Cette belle tête polychrome appartenait probablement à une statue en pied, figurant un dieu plutôt qu’un homme ordinaire. L’allure juvénile et rayonnante conviendrait bien à Apollon.L’œuvre doit être considérée comme une interprétation romaine de la statuaire grecque de l’époque dite sévère (premier quart du Ve siècle avant J.-C.), qui fut particulièrement appréciée à la fin de la République et au début de l’Empire. On peut rappeler que son fondateur, Octave Auguste, avait une dévotion particulière pour Apollon, auquel il attribuait sa victoire navale d’Actium (31 avant J.-C.).

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