Balthus caricaturiste

Cette lettre inédite de Balthus commence ainsi: «Mon cher Alberto, impossible de te joindre par téléphone ! Il…». Et elle s’interrompt brusquement, sans doute parce que son correspondant a appelé entre-temps. D’où l’inutilité de la lettre, que l’artiste n’a pourtant pas déchirée, mais remployée comme feuille de brouillon.Qui est son correspondant ? Alberto Giacometti, bien sûr, avec lequel Balthus s’est lié d’amitié en 1934. Quant au lieu d’expédition du message, indiqué en haut de la feuille, il s’agit de Fribourg, où Balthus résida de 1942 à 1945. Donc la date de la lettre, qui n’est pas mentionnée, est à situer dans ces années-là, celles de la guerre. L’artiste a déjà derrière lui deux importantes expositions, l’une qui s’est tenue à Paris, à la galerie Pierre (1934), l’autre à New York, chez Pierre Matisse (1938). Et au moment où il écrit à son ami Alberto, il expose à Genève, chez un marchand de la place.Les quelques mots tracés par Balthus donnent l’exemple d’une écriture maîtrisée, régulière et élégante, penchée juste ce qu’il faut. On y sent l’homme organisé et plein d’assurance, qui sera un jour appelé à diriger la Villa Médicis à Rome.La majeure partie de la page, restée vierge d’écriture, se trouve occupée par des caricatures, au nombre de quatre, disposées sur deux lignes.Le premier personnage, à gauche, a des ailes au lieu de bras et il porte un curieux costume, avec chapeau à plumes, vaguement Renaissance. Des hachures et des ombres soulignent sa corpulence et sous ses pieds, grotesquement...

Cette lettre inédite de Balthus commence ainsi: «Mon cher Alberto, impossible de te joindre par téléphone ! Il…». Et elle s’interrompt brusquement, sans doute parce que son correspondant a appelé entre-temps. D’où l’inutilité de la lettre, que l’artiste n’a pourtant pas déchirée, mais remployée comme feuille de brouillon.Qui est son correspondant ? Alberto Giacometti, bien sûr, avec lequel Balthus s’est lié d’amitié en 1934. Quant au lieu d’expédition du message, indiqué en haut de la feuille, il s’agit de Fribourg, où Balthus résida de 1942 à 1945. Donc la date de la lettre, qui n’est pas mentionnée, est à situer dans ces années-là, celles de la guerre. L’artiste a déjà derrière lui deux importantes expositions, l’une qui s’est tenue à Paris, à la galerie Pierre (1934), l’autre à New York, chez Pierre Matisse (1938). Et au moment où il écrit à son ami Alberto, il expose à Genève, chez un marchand de la place.Les quelques mots tracés par Balthus donnent l’exemple d’une écriture maîtrisée, régulière et élégante, penchée juste ce qu’il faut. On y sent l’homme organisé et plein d’assurance, qui sera un jour appelé à diriger la Villa Médicis à Rome.La majeure partie de la page, restée vierge d’écriture, se trouve occupée par des caricatures, au nombre de quatre, disposées sur deux lignes.Le premier personnage, à gauche, a des ailes au lieu de bras et il porte un curieux costume, avec chapeau à plumes, vaguement Renaissance. Des hachures et des ombres soulignent sa corpulence et sous ses pieds, grotesquement écartés, le sol est indiqué par son ombre portée. Son vis-à-vis a le corps entier en forme d’oiseau, un pigeon. Et la tête humaine dont il est affublé convient bien à ce genre de volatile, à cause du nez long et pointu comme un bec, du menton rentrant et du cou gonflé. Mais pourquoiBalthus joue-t-il à métamorphoser des oiseaux, quand on sait qu’il affectionnait les chats, dont il s’est servi ailleurs pour d’autres caricatures ? Peut-être que dans son esprit, les deux personnalités qu’il tournait en ridicule méritaient le qualificatif désobligeant de «drôles d’oiseaux».Au registre inférieur, les troisième et quatrième personnages, dessinés au trait, semblent occupés à converser. Celui de gauche, muni d’une canne de randonneur, se gratte le menton en signe de perplexité. Perplexité que lui inspire les propos et l’attitude de son interlocuteur, figuré plus grand que lui. Cet homme, à la mine sévère, est un militaire, si l’on en juge par son col droit, marqué d’un insigne, et ses cheveux taillés en brosse. Qui est ce militaire ? Je ne sais pas. Quant à l’autre personnage qui lui fait face, j’avais d’abord pensé y reconnaître Balthus lui-même, qui l’aurait rencontré au cours d’une promenade dans les environs de Fribourg. Mais un autoportrait est exclu, Balthus n’ayant pas les cheveux bouclés, comme ici. Le profil ne correspond pas davantage.Que signifie donc cette rencontre entre un officier et un civil ? On ne le saura pas, et il faudra se contenter d’admirer le talent de caricaturiste, dont le peintre fait ici la démonstration. Il en était conscient, d’ailleurs, puisqu’il s’est donné la peine de signer la feuille: Balthus K(lossowski) de Rola, avant de l’offrir à un amateur, inconnu de moi.Relevons que cette verve comique est plutôt inattendue chez cet artiste sérieux (ne voulait-il pas réhabiliter le métier, l’héritage classique, voire l’académisme), ce grand seigneur, volontiers hautain, qui se voyait au-dessus de la mêlée. Il faut croire que, pour cet ami des chats, la caricature, réservée aux seuls intimes par souci de ne pas écorner son image, représentait le moyen de se faire les griffes, d’autant qu’il partageait avec la race des félins un caractère ambigu, énigmatique.

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