Miroir en page, joli miroir…

«On ne sait rien d’un hommetant qu’on n’a pas lu sa correspondance.»Lamartine, Cours familier de littérature, 1859 Fidèle compagne de «l’homme en chemin vers lui-même» – selon la devise de Martin Bodmer –, la lettre est à l’honneur à la Fondation de Cologny. Aux quatre domaines qui fondent l’édifice spirituel de la collection permanente – pouvoir, art, science et religion – s’ajoute, le temps d’une magnifique exposition interactive et réflexive à la fois, une cinquième sphère qui a le mérite d’éclairer toutes les autres d’une lumière tamisée mais non moins intense: l’intimitéLes manuscrits de la collection d’Anne-Marie Springer, encore palpitants, chargés d’histoires etd’Histoire dévoilent plus de quatre siècles d’épanchements plus ou moins tendres. L’ensemble exposé s’ouvre en effet sur l’écriture franche et énergique de Diane de Poitiers adressant ses condoléances à Antoinette de Guise en 1550 et se referme sur les mots poignants de Marlène Dietrich recluse, en 1987.Les reflets renvoyés par le miroir de l’âme qu’est l’écriture fournissent une source de lumière superbement exploitée par la scénographie imaginée par Jean-Michel Landecy. Axée sur le pouvoir magique de la «lumière des mots» et articulée autour de cinq thèmes – échos de l’histoire; passions d’écrivains; correspondances littéraires ; lettres de prison; vie publique/privée, quotidienne/familiale –, la scénographie invite le spectateur à déambuler le long des vitrines ou à s’isoler, assis à l’une des trois tables à disposition, pour déchiffrer les originaux. Des agrandissements de lettres sur panneaux rétro-éclairéset des portraits qui captent le regard du visiteur autant que la puissance évocatoire...

«On ne sait rien d’un hommetant qu’on n’a pas lu sa correspondance.»Lamartine, Cours familier de littérature, 1859

Fidèle compagne de «l’homme en chemin vers lui-même» – selon la devise de Martin Bodmer –, la lettre est à l’honneur à la Fondation de Cologny. Aux quatre domaines qui fondent l’édifice spirituel de la collection permanente – pouvoir, art, science et religion – s’ajoute, le temps d’une magnifique exposition interactive et réflexive à la fois, une cinquième sphère qui a le mérite d’éclairer toutes les autres d’une lumière tamisée mais non moins intense: l’intimité
Les manuscrits de la collection d’Anne-Marie Springer, encore palpitants, chargés d’histoires etd’Histoire dévoilent plus de quatre siècles d’épanchements plus ou moins tendres. L’ensemble exposé s’ouvre en effet sur l’écriture franche et énergique de Diane de Poitiers adressant ses condoléances à Antoinette de Guise en 1550 et se referme sur les mots poignants de Marlène Dietrich recluse, en 1987.Les reflets renvoyés par le miroir de l’âme qu’est l’écriture fournissent une source de lumière superbement exploitée par la scénographie imaginée par Jean-Michel Landecy. Axée sur le pouvoir magique de la «lumière des mots» et articulée autour de cinq thèmes – échos de l’histoire; passions d’écrivains; correspondances littéraires ; lettres de prison; vie publique/privée, quotidienne/familiale –, la scénographie invite le spectateur à déambuler le long des vitrines ou à s’isoler, assis à l’une des trois tables à disposition, pour déchiffrer les originaux. Des agrandissements de lettres sur panneaux rétro-éclairéset des portraits qui captent le regard du visiteur autant que la puissance évocatoire de l’écriture, sertissent ces joyaux d’un sentiment amoureux et donnent à l’ensemble un relief inédit.Toutes les nuances de l’art d’aimer sont déclinées sous nos yeux: la liaison passionnelle, dont les mots fulminants de Louis Jouvet en proie aux affres de la jalousie constituent un exemple paroxystique. Dans un autre registre, les remerciements de Jean Racine à sa sœur pour les «excellents fromages» lèvent le voile sur un pan méconnu de la vie du tragédien: la simplicité et la tendresse familiale. L’amitié est magnifiée de façon emblématique à travers la correspondance entretenue par George Sand et Gustave Flaubert. Enfin peintres, écrivains et poètes se livrent à des joutes troubles et denses au sujet de leur passion obsédante pour l’art, dont les frontières se confondent souvent à celles de l’amour – deux territoires à redéfinir sans cesse. Les pages de Paul Eluard et de Guillaume Apollinaire témoignent brillamment de cette fécondation mutuelle et incandescente.

« Nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée», écrivait Marcel Proust. La lettre qui explore l’univers intérieur, fébrilement parfois, par tâtonnement le plus souvent, n’estelle pas l’instrument idéal de cette recréation ? Sa force n’est-elle pas de déployer un espace de découverte et de rebondissement et d’en faire don ensuite à son lecteur ? Le « don intérieur», est d’ailleurs au cœur des pages qu’adresse Antoine de Saint-Exupéry à son amante de jeunesse, l’écrivaine Louise de Vilmorin. D’une écriture limpide, ce texte qui laisse transparaître le ton du Petit Prince, figure parmi les plus philosophiques et les plus profonds du corpus:«Je ne comprends pas les dons qui ne soient pas en même temps intérieurs.» «Je suis loin du monde, Loulou, je suis à Dakar (Sénégal), j’ai eu une indigestion un beau jour (…). Surtout de n’avoir rien à donner de moi-même, faute d’amour.» «Et je me sens riche d’avoir tant à donner de moi-même.»Si l’intimité nous ouvre des horizons prometteurs, elle a aussi ses revers dramatiques. À la lecture de certains passages, les masques et les couronnes tombent, les piédestaux se fissurent. Ainsi, à la lecture de cette lettre d’Albert Einstein répondant à son fils Eduard dit Tete, en 1926. Tete donne dès cette époque des signes de fragilité mentale et sombrera dans la folie à vingt ans mais Einstein, trop occupé à «beaucoup travailler», ne semble pas l’avoir compris quand il fait allusion à « l’autoanalyse, si honnête dans ses hésitations, et par là-même si drôle» de son fils.Ainsi, au gré des témoignages et des révélations, auteurs et lecteurs progressent ensemble. Car lire une lettre requiert de la partdu destinataire également, ou du curieux qui s’immisce après coup dans la conversation, la capacité de se laisser surprendre, de se montrer disponible et réceptif devant le champ qui se déploie sous ses yeux, de faire écho aux correspondances suscitées par les caractères gravés à la force du poignet, de manière à rendre l’échange le plus fertile et durable possible. Une lettre ne se lit pas distraitement – le visiteur en fait rapidement l’expérience. Une lettre s’apprivoise par plusieurs lectures. Et à chaque lecture elle renaît, plus frémissante, se nourrissant de l’émotion que le lecteur y met. Toutes les conditions sont réunies à la Fondation Bodmer pour permettre cette renaissance.

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