HANNAH VILLIGER UN CORPS DANS L’IMAGINAIRE DE TOUT ART

Qu’est-ce que la sculpture ? La réponse la plus simple, la plus vérifiable, tient en peu de mots: un volume dans l’espace, autour de quoi tourner. C’est ce que produisit et fit Hannah Villiger – pourtant photographe, née en 1951 près de Zoug, où elle mourut en 1997, alors qu’elle vivait depuis onze ans à Paris.D’elle, on connaît (parfois) les œuvres monumentales, qui tiennent véritablement le mur: chacun des constituants, toujours groupés en blocs, mesure 125 par 123 cm. Le regardeur entre dès lors dans une relation spatiale aux repères déréalisés: les formes immenses, qu’on lit assez vite comme des éléments corporels (genou, bras, aine, pied, coude, cou), n’appartiennent pourtant pas à l’expérience perceptive. Mais à quoi ? À la construction, à la soustraction, à l’objectivation.Les travaux de Hannah Villiger confrontent encore à un autre type de désorientation. Ces (mystérieux) blasons du corps se trouvent placés comme dans le contre-champ, celui de l’intimité, d’apparence plus concentrée, mais également non actualisable, sinon dans le regard fantasmatique, comme il en va dans les agrandissements.Car les matériaux de départ de ces surdimensionnements sont des polaroïds, au format usuel de 7,9 x 7,7 cm. Comment opère donc l’artiste ? Elle photographie sa propre nudité avec un appareil polaroïd qu’elle tient à bout de bras et s’emploie à faire ainsi l’inventaire des extensions et recoins du corps, soit le tour de soi-même. Cette manière de photographier «à la main», sans trépied, limite son champ d’investigation et prescrit une distance focale (celle de la longueur du...

Qu’est-ce que la sculpture ? La réponse la plus simple, la plus vérifiable, tient en peu de mots: un volume dans l’espace, autour de quoi tourner. C’est ce que produisit et fit Hannah Villiger – pourtant photographe, née en 1951 près de Zoug, où elle mourut en 1997, alors qu’elle vivait depuis onze ans à Paris.
D’elle, on connaît (parfois) les œuvres monumentales, qui tiennent véritablement le mur: chacun des constituants, toujours groupés en blocs, mesure 125 par 123 cm. Le regardeur entre dès lors dans une relation spatiale aux repères déréalisés: les formes immenses, qu’on lit assez vite comme des éléments corporels (genou, bras, aine, pied, coude, cou), n’appartiennent pourtant pas à l’expérience perceptive. Mais à quoi ? À la construction, à la soustraction, à l’objectivation.Les travaux de Hannah Villiger confrontent encore à un autre type de désorientation. Ces (mystérieux) blasons du corps se trouvent placés comme dans le contre-champ, celui de l’intimité, d’apparence plus concentrée, mais également non actualisable, sinon dans le regard fantasmatique, comme il en va dans les agrandissements.Car les matériaux de départ de ces surdimensionnements sont des polaroïds, au format usuel de 7,9 x 7,7 cm. Comment opère donc l’artiste ? Elle photographie sa propre nudité avec un appareil polaroïd qu’elle tient à bout de bras et s’emploie à faire ainsi l’inventaire des extensions et recoins du corps, soit le tour de soi-même. Cette manière de photographier «à la main», sans trépied, limite son champ d’investigation et prescrit une distance focale (celle de la longueur du bras) toujours plus ou moins identique. Le procédé «artisanal» implique l’aléatoire dans le résultat, les cadrages. Toute image reste de la sorte liée, pour l’artiste, au sentiment singulier de son propre être.

Hannah Villiger s’inscrit ainsi strictement dans son propre espace, dans le regard de soi à soi, jusque dans l’usage du miroir qui vise parfois à l’écho. Cette technique de prise de vue, traduite dans le format normalisé du polaroïd, saisit un corps fragmenté, lu comme un lexique de synecdoques visuelles (la partie pour le tout), une chair réifiée autant par l’exploration sérielle que par la qualité spécifique du polaroïd, aux gammes typiques des sousou surexpositions et aux volumétries planes. Dans une pièce comme le sublime Diamant quadriparti, à la géométrie si fine et aux inflexions si délicates, Hannah Villiger en joue exemplairement.À l’évidence, que l’image excède ou réduise de beaucoup son référent, le corps s’offre dans un accès indirect, chiffré, ou simplement difficile (il ne sert à rien de savoir par exemple qu’un bras mesure quelque 50 cm et ce à quoi ressemble le dessin d’une épaule). Quelque chose semble dénaturé. Cela tient sans doute au fait que Hannah Villiger pratique un art de la traduction, qui ne cesse d’être fidèle (au texte – entendre: son propre corps) et tout à la fois de pousser vers l’adaptation libre, la déformation (dans le «casting»: la distribution et la découpe des parties, captées une à une).

Hannah Villiger n’est pas le chantre du corps exacerbé, violent ou sauvage – expressionniste au sens historique. Elle part simplement de la donnée la plus immédiate, la plus centrale, la plus commune pour l’humanité: «Nous sommes nés nus, on n’a que soi, et ce soi, c’est ce qui nous donne tout» (Ecologie sanguine, 1993). Hannah Villiger n’appartient donc pas à l’art corporel des années 1970, comme Manon (1946) ou Katharina Sieverding (1944), voire Cindy Sherman (1954). Ses idéogrammes corporels formalisent l’intime sur un mode plutôt minimaliste (tout à la fois offert et préservé), très attentivement organisé dans la composition des blocs. Ces polyptyques sont constitués de 4 à 15 pièces dont les séquences internes aux rapports structuraux «modèlent» les climats d’une corporalité inconnue. L’artiste travaille à un texte – avec ses rythmes, attractions modales, variations de graphie, ses motsclefs et ses explétifs – énoncé dans le temps, la frontalité, et dans lequel le contortionnement des membres photographiés et le pivotement à 90 ou 180 degrés des sujets participent sensiblement à l’effet de distanciation, d’altération brechtienne.Quelle que soit, par hypothèse, la charge émotionnelle, narcissique et psychanalytique des «tableaux» de Hannah Villiger, ceux-ci attestent, dans ce qu’ils sont litote et absence de pathétique, un travail de captation spatiale et d’élaboration plastique qui aboutit à une neutralisation (même répulsive) du naturalisme propre à la photographie. Ces paramètres autorisent l’artiste à se dire non photographe, mais sculpteur et à donner à chacune de ses œuvres le même titre générique de Skulptural.Si la sculpture est l’articulation de formes créant un volume dans l’espace (avec leurs paramètres secondaires de couleurs et de matières), alors les abréviations corporelles tour à tour nouées et déliées s’offrent bien comme des signes sculpturaux, des figures détournées de leur sens propre (pour autant que le corps en possède un !), des tropes qui renvoient aux dimensions du sculptural, fondant l’art depuis tant de siècles. Du même mouvement, Hannah Villiger rappelle un fait essentiel: il y a un corps dans l’imaginaire de tout art.

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