Quand Corot photographie à la main

En mariant le dessin, la gravure et la photographie (faite main), le peintre Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) confère entre 1853 et 1874 un incomparable prestige à la curieuse technique du cliché-verre qu’il accrédite magnifiquement dans le champ de la création artistique.Les jardins d’Horace: de part et d’autre, un haut bouquet d’arbres fait un dôme sur une formehumaine enveloppée d’une toge (et peut-être couronnée de lauriers) qui s’est arrêtée – pour lire ? – au creux de deux tertres ouverts sur l’horizon. L’air passe doucement dans ce paysage de tonalité bistre doré, aux traits rapides nourris d’une imperceptible texture pointillée. Or, au sens strict, cette page dessinée est une photographie – appelée cliché-verre.La naissance artistique de cet artefact étrange est datée. Une inscription sur une épreuve retient ceci: «C. Corot, 1er essai de dessin sur verre pour photographie, mai 1853. Photographié par Grandguillaume». Corot séjourne alors dans le Nord, à Arras, chez son ami le peintre et lithographe Constant Dutilleux (1807-1865). C’est aux côtés de ce dernier qu’il réalise son premier cliché-verre, Le Bûcheron de Rembrandt. Ce petit griffonnage sur verre paraît d’emblée, avec une mystérieuse tendresse et une convaincante liberté d’écriture, à la hauteur de l’hommage résonant dans le titre. Son tirage sur papier salé sera de la responsabilité de Léandre Grandguillaume (1807-1885), lithographe, professeur de dessin et photographe, d’où l’indication «photographié par». A cette première tentative s’ajouteront, durant le séjour de mai 1853, quatre autres sujets exécutés dans la même technique. La production de Corot, qui représente sans conteste...

En mariant le dessin, la gravure et la photographie (faite main), le peintre Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) confère entre 1853 et 1874 un incomparable prestige à la curieuse technique du cliché-verre qu’il accrédite magnifiquement dans le champ de la création artistique.
Les jardins d’Horace: de part et d’autre, un haut bouquet d’arbres fait un dôme sur une formehumaine enveloppée d’une toge (et peut-être couronnée de lauriers) qui s’est arrêtée – pour lire ? – au creux de deux tertres ouverts sur l’horizon. L’air passe doucement dans ce paysage de tonalité bistre doré, aux traits rapides nourris d’une imperceptible texture pointillée. Or, au sens strict, cette page dessinée est une photographie – appelée cliché-verre.La naissance artistique de cet artefact étrange est datée. Une inscription sur une épreuve retient ceci: «C. Corot, 1er essai de dessin sur verre pour photographie, mai 1853. Photographié par Grandguillaume». Corot séjourne alors dans le Nord, à Arras, chez son ami le peintre et lithographe Constant Dutilleux (1807-1865). C’est aux côtés de ce dernier qu’il réalise son premier cliché-verre, Le Bûcheron de Rembrandt. Ce petit griffonnage sur verre paraît d’emblée, avec une mystérieuse tendresse et une convaincante liberté d’écriture, à la hauteur de l’hommage résonant dans le titre. Son tirage sur papier salé sera de la responsabilité de Léandre Grandguillaume (1807-1885), lithographe, professeur de dessin et photographe, d’où l’indication «photographié par».

A cette première tentative s’ajouteront, durant le séjour de mai 1853, quatre autres sujets exécutés dans la même technique. La production de Corot, qui représente sans conteste le noyau même du genre – au total soixante-six clichés-verre au gré d’une douzaine de «campagnes» – s’échelonnera sur plus de vingt ans: les six dernières pièces datent de 1874.
Cet art, d’abord en faveur auprès des paysagistes du XIXe siècle, n’est pas mort au XXe. Voire Max Ernst, Picasso, Bruno Schulz…
L’engouement qui accompagne Corot à Arras va rebondir à Barbizon, au tournant de 1860. De Albert Heinrich Brendel (1827-1895) à Adolphe-André Wacquez (1814-après 1865), en passant par Charles-François Daubigny (1817-1878), Paul Huet (1803-1869), Charles-Emile Jacque (1813-1894), Jean-François Millet (1814-1875), Pierre-Etienne-Théodore Rousseau (1812-1867), les opérateurs sur verre de la Forêt de Fontainebleau sont nombreux. Genève a également son «atelier», autour de 1863, illustré par Gustave Castan (1823-1892) et, surtout, par l’émigré italien Antonio Fontanesi (1818- 1882), auteur d’une trentaine de clichésverre.Le nombre des amateurs de la discipline sur verre entrés dans l’histoire approche la centaine. Si cet art est d’abord en faveur auprès des paysagistes et peintres de plein air du XIXe siècle, il n’est pas mort au XXe siècle. Qui, pour ne pas toujours parler de Max Ernst ou Picasso, connaît les clichés-verre tourmentés de l’écrivain polonais Bruno Schulz (1892-1942) ou les grattages sur verre du Français Pierrre Tal Coat (1905-1985) ?Mais qu’est-ce qu’un cliché-verre ? Le terme désigne en fait deux choses: une sorte de négatif «fait main», à usage photographique, et tout à la fois son épreuve, tirée sur papier sensible.Le négatif est une plaque de verre opacifiée au moyen d’un enduit. Un simple noir de fumée, dispensé à la bougie, pourrait faire l’affaire, mais on a souvent utilisé du collodion photographique donnant une couche blanche de sel de plomb parfois transformée en un chromate jaune pour garantir une couverture dense. Dans ce film de matière, infime ou empâtée, l’artiste trace et incise ce qu’il veut, au moyen d’une pointe quelconque (en y ajoutant parfois des tamponnages à la brosse métallique). Partout où la pointe passe, le verre se trouve mis à nu et laissera traverser la lumière, alors que le reste de la couche fera barrage à cette dernière. Il suffit alors de placer cette lame de verre entre une source lumineuse, en haut, et une surface (de papier) photosensible, en bas. Comme dans le cas de n’importe quelle photographie, le dessin se révélera bientôt sur le papier.

L’apparition du cliché-verre, comme technique à la fois autographique et reproductrice, est inséparable des innombrables recherches, souvent parallèles, menées entre Londres, Leipzig et Paris par des esprits curieux et acharnés, en route vers l’image photographique, c’est-à-dire obtenue par l’alliance de la lumière et d’agents chimiques très divers. Parmi les résultats exposés en janvier 1839 déjà par l’Anglais Fox Talbot à la Royal Institution se trouvent bien, proches assurément en leur aspect des photogenic drawings de fleurs et de feuilles déposant leurs formes spectrales sur un papier au sel et au nitrate d’argent, des clichés-verres, dont il a pour imiter les eaux-fortes expérimenté cinq ans plus tôt la méthode.
Le cliché-verre est une technique de paysagiste. C’est un art lié à la nature par l’action du soleil…
La technique du cliché-verre sera très diversement baptisée. Cette diversité confuse manifeste la classification malaisée de toutes ces applications artisanales hybrides. On dénombre plus de vingt appellations: autographie photographique, cliché-glace, cliché sur verre, cliché photographique sur verre, dessin héliographique, dessin sur verre, eau-forte photogénique, eau-forte photographique, gravure à jour, gravure diaphane, héliocopie, héliographie sur verre, photographie dessinée à la vitre, etc.Que le cliché-verre soit une technique de paysagistes œuvrant en plein air n’est certes pas sans signification. C’est un art lié à la nature par l’action du soleil qui, symboliquement et souvent concrètement, révèle l’image sur le papier sensible. Voilà qui doit secrètement compter pour des tempéraments panthéistes et, par un mouvement contraire, retenir un Delacroix, qui n’ira pas, malgré son intérêt pour la photographie, au-delà d’un cliché-verre, le Tigre en arrêt (1854). Alors que la gravure est une expression de la volonté affrontée à la matière, le cliché-verre permet, en dehors des contraintes du métier (on sait combien Corot les fuyait), de reproduire le flux d’une écriture garante de sa propre authenticité, parce que rendue visible sans intervention mécanique.Quand la photographie, dans un climat positiviste, veut capter le vrai, le cliché-verre, lui, accepte une conquête de la modernité sur un mode qui ne met pas en danger l’imaginaire et sa tradition: la nature et l’œuvre d’art ne seront pas interprétés par la machine, mais par l’artiste qui trace sur verre des dessins qui ne se font pas «tout seuls», au contraire du reproche lancé à la photographie. Car, ainsi que Fontanesi le souligne en 1854 dans une lettre à Jean-Gabriel Eynard (1775- 1863), l’inventeur genevois de l’indépendance grecque et amateur de photographie, «l’art doit être fait pour quelque chose de plus» – que le daguerréotype.

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