Theo Tobiasse offre à son public un coffret de plus de 200 peintures et croquis qui sont les feuillets préparatoires des œuvres achevées mais aussi une merveilleuse fenêtre ouverte sur sa vie, sa création et ses pensées les plus secrètes.
Avec Les Carnets de Saint-Paul de Vence, Theo Tobiasse nous dessine ses «Mémoires». Cinqcarnets peints entre 1993 et 2001, dans lesquels l’artiste livre ses souvenirs et sa vie en peinture et poésie. Ils ont été écrits, dessinés et imaginés comme un journal intime. Tobiasse y a peint ses joies, ses angoisses, ses idées, en remplissant les pages de couleurs et de phrases. Chaque page est un univers qui prend vie, où les mots dansent avec les encres, les peintures, les fusains. Son imagination et sa création se nourrissent de son histoire, de voix et de lieux lointains, comme le peintre le dit lui-même dans le cinquième carnet: «Je remplis des carnets en vidant ma tête. Images perdues d’enfants de poussière et désespoir». Mais son inspiration créatrice ne provient pas uniquement du passé: les événements et les faits contemporains ont aussi marqué le peintre, qui les a illustrés à plusieurs reprises dans ses carnets.C’est le cas du dernier d’entre eux, qui est coupé de pauses silencieuses. En effet, Tobiasse n’a ni peint ni écrit entre le 30 août et le 15 octobre 2001. Comme abasourdi par les sinistres attentats de New York, son esprit a éprouvé la nécessité d’une pause. Deux mois jour pour jour après les effroyables événements, Tobiasse semble vouloir commémorer les faits et reprend le pinceau pour écrire: «Il faut déchirer les ténèbres pour retrouver les premières roses à l’autre bout de la vie».Cette phrase résonne comme un cri d’espoir, comme une exhortation à retrouver des forces pour survivre au malheur. Le 16 novembre 2001, il peint un feuillet qu’il intitule «Lumière cachée dans un amas de cendre». Cette phrase exprime que la lumière de l’espoir n’est pas anéantie par la violence; elle n’est que temporairement cachée.
Les cinq carnets ont accompagné Theo Tobiasse dans ses divers voyages, à Venise, Jérusalem ou New York, villes qui sont aussi une source d’inspiration importante pour le peintre. Différents lieux y sont représentés, comme La statue de Bartolomeo Colleone de Venise, les ponts de Venise, Mirages d’Alcôve à Manhattan, Un balcon sur New York.Bien que Tobiasse affectionne particulièrement ces villes, ses voyages se terminent toujours par un retour à Saint-Paul de Vence, lieu qui lui est particulièrement cher.Il y est installé depuis plus de 40 ans. Lituanien, né en Palestine en 1927, sa famille arrive à Paris en 1931. Les tristes années de l’Occupation nazie obscurcissent sa vie et celle de ses proches qui vivront cachés pendant près de deux ans. Durant ces années, Theo Tobiasse lit les textes classiques, s’intéresse à la mythologie et dessine. Ce n’est qu’à la Libération que Tobiasse quitte le Nord pour la chaleur et la lumière de Nice. Il découvre ensuite Saint-Paul de Vence ; complètement saisi par la beauté du lieu, il décide d’y rester. Il s’en souvient ainsi dans le quatrième carnet: «…il y a quarante ans […] je découvre St-Paul de Vence. Cette fleur, c’est le soleil accroché aux remparts (…). Remparts, vestiges troués de symboles arrachés à son passé, griffures du temps, terre illuminée aux cratères de feu de la palette des artistes. St-Paul de Vence, miracle perpétuel…». C’est d’ailleurs sur le Plateau de Saint-Barnabé, au col de Vence, qu’il peindra sa première toile et décidera de se consacrer entièrement à la peinture.
Un an plus tard, en 1962, Tobiasse aura une seconde révélation avec la Fiancée juive de Rembrandt. Il découvre, grâce à cette peinture, la magie de la matière et de la couleur, et à la suite de cette découverte il fonde son travail sur les couleurs. Les peintures qui composent les cinq carnets illustrent toujours ce travail sur la couleur, la lumière et l’obscurité, thèmes fondamentaux de son œuvre. Les feuillets contenus dans les carnets illustrent aussi une thématique liée à son histoire, son passé, ses souvenirs. Ils revivent à travers sa peinture, et les émotions accompagnent les images du passé. L’amour, l’extase, les femmes, l’exultation des sens, le judaïsme, l’exil, les voyages, se mêlent dans une peinture qui mélange les genres. Portraits, paysages, natures mortes sont plongés dans un imaginaire qui fait écho à Picasso, Van Gogh et Botero.Les mots accompagnent son pinceau non pour commenter ou expliquer maispour participer à la danse joyeuse des couleurs. Ponctuant ici un trait d’encre de Chine ou commentant la couleur par un signe de ponctuation, son écriture exprime par la précision des signes des émotions qui tourbillonnent comme une lave multicolore et bouillonnante de liberté.Les peintures de Tobiasse sont aussi l’occasion de dire l’importance que l’art revêt à ses yeux, ce qu’il exprime ainsi dans le troisième carnet: «…que l’Art soit un grand jardin de mystères avec des poètes et des chimères pour garder les abords de l’Arbre de vie».Bien que la création artistique soit un mystère que Theo Tobiasse veut préserver jalousement, il offre à son public ce coffret de peinture qui dévoile son «jardin de mystère», révélant aussi l’effervescence de son imagination et sa ferveur pour la matière, la couleur et la poésie.