La fascination pour un vase grec antique, considéré comme unique représentant du mythe de l’introduction de la viticulture en Occident, a amené trois chercheurs à raconter l’histoire de cette œuvre précieuse, léguée au Musée d’art et d’histoire de Genève par le baron Edmond de Rothschild en 1997.
Cette pièce unique qui ne pouvait rester ignorée du grand public est désormais exposéeau Musée d’art et d’histoire de Genève. Le visiteur qui tombera sous son charme pourra consulter le livre Le Don de la Vigne publié aux éditions Chaman par l’Association Hellas et Roma, fidèle partenaire du musée. Le texte, magnifiquement illustré permet de mesurer l’importance d’une noble tradition telle que la viticulture, qui perdure depuis les temps homériques pour le plus grand bonheur des amateurs de vin.Le vase antique en question était considéré comme la pièce maîtresse de la collection du baron Edmond de Rothschild qui regroupait de nombreux objets et œuvres d’art consacrés à la vigne et au vin. Le don généreux qu’il en a fait au Musée d’art et d’histoire témoigne son attachement profond pour la cité de Calvin. Ce vase enrichit considérablement la collection archéologique du musée et le livre qui lui est consacré, conçu comme un hommage au baron de Rothschild, se veut aussi une importante contribution à la connaissance de la culture grecque.Le Don de la Vigne présente le vase en tant qu’objet d’art et le décrit attentivement dans la première partie, tandis que la deuxième partie expose sa signification symbolique. Nous apprenons qu’il s’agit d’un vase en terre cuite de vingthuit centimètres de hauteur, peint selon la technique dite à figures rouges, et que sa forme reprend celle des seaux à vin en bronze que l’on appelle situles. Il date de 350 avant J.-C et est attribué à la Grande Grèce, c’est-à-dire l’Italie méridionale.La face principale porte une scène insolite: Maron, prêtre d’Apollon à Ismaros, siégeant en majesté, reçoit le cep chargé de fruit, qu’un satyre lui remet de la part de Dionysos. Le dieu, richement vêtu, lève son canthare, allusion au vin. Quatre autres personnages accompagnent Dionysos pour le seconder dans cette cérémonie solennelle. Peitho, la Persuasion, qui a mis son pouvoir au service du dieu pour convaincre Maron, se tient derrière le trône. Telle une prêtresse, elle alimente un brûle-parfum dans un rituel qui souligne le caractère sacré de la scène. Le registre supérieur de l’image est occupé par trois figures assises sur des monticules. A gauche, Aphrodite et Eros sont en vis-à-vis, à droite, Eiréné ou la Paix semble suivre des yeux l’action se déroulant en contrebas. En position dominante, Aphrodite, Eros et Eiréné préfigurent les bienfaits que Maron peut attendre de la culture de la vigne ainsi que de la consommation du vin : respectivement l’amour et la paix. Les divinités forment le cadre approprié de la scène qui se déroule en Thrace lors du passage de Dionysos, illustrant et soulignant les conséquences du don de la vigne et de la boisson dionysiaque, en tant que symboles de civilisation et de prospérité.Le revers du vase présente une autre image dionysiaque, complémentaire et traditionnelle: le cortège de Dionysos. Le dieu danse, dressé sur les pointes, au son du tambourin agité par une ménade. Unsatyre ainsi qu’une seconde ménade lui servent d’escorte, emportés dans le même mouvement.D’un point de vue iconographique, ce vase est une œuvre exceptionnelle car il est le seul exemple connu de la représentation du mythe fondateur de la viticulture dans la céramique grecque. Cette rareté surprend quand on sait que le mythe de la culture du blé était, au contraire, abondement représenté.L’histoire de Maron a trouvé une dignité littéraire chez Homère car selon l’Odyssée Ulysse recevait de sa part le vin capiteux dont il devait se servir plus tard pour enivrer le Cyclope qui le retenait prisonnier. Une autre tradition fait de Maron le héros fondateur de Maronée, ville réputée pour son vin, dont l’origine remonterait à Dionysos lui-même.Or ce vin légendaire a bien existé. Les sources historiques parlent d’un cru produit à Maronnée (colonie grecque établie dans l’antique royaume attribué à Maron), un cru de brillante réputation qu’on exportait encore, sous la même appellation, en pleine époque romaine!L’étude proposée dans le livre de Jacques Chamay et ses coauteurs a, entre autres mérites, de mettre en lumière l’artiste anonyme auquel l’œuvre est attribuée. Celui qu’on tenait jusqu’ici pour un artiste mineur se voit crédité dans ces pages d’un génie original et fécond, qui oblige à le compter désormais parmi les maîtres du style que les archéologues ont nommé le baroque apulien.