La BRAFA à Bruxelles, Janvier 2015

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Par Valentin Benoît 31-01-2015 Valentin Benoît Le jeu des associations est tout puissant. Comment expliquer que devant cette petite huile sur toile peinte au XVIIe siècle par un artiste anonyme (11 x 9 cm), présentée chez Porfirius Kunstkammer, je ressente de la gravité, du dégoût puis enfin une certaine légèreté ? L’accolement d’une moitié de jeune fille élégamment vêtue, perlée, et d’une moitié de squelette gris me saisit ; ce n’est qu’une figure, il n’y a qu’une couronne, fanée pour moitié, la « dot » de cette « princesse » n’est rien d’autre que le lot de l’humanité, bisogna morire, etc. Voilà pour mon impression de gravité. Cette vanité me rappelle l’extraordinaire groupe sculpté par Jörg Syrlin l’Aîné ou Michel Erhart, conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne, qui montre dos à dos un éphèbe en slip blanc, une jeune fille nue, et une vieille dénudée des plus fripées. Legend Porfiriusa Collection of 17th century ornamentally turned beakers and their containers Limewood H 17 up to 27cm Mais ce tableautin me rappelle encore deux autres œuvres. D’abord la toile de Pietro della Vecchia conservée à Brest, Saint François Borgia devant le cercueil d’Isabelle de Portugal, sur laquelle on voit, près d’un garçon se bouchant le nez, le royal visage de celle-ci pourrir, montrer les dents, devenir crâne : voilà pour mon impression de dégoût. Ensuite La Montagne magique de Thomas Mann, quand le sympathique Hans Castorp, observant sa main sur un écran radioscopique,...

Par Valentin Benoît

31-01-2015


Valentin Benoit
Valentin Benoît

Le jeu des associations est tout puissant. Comment expliquer que devant cette petite huile sur toile peinte au XVIIe siècle par un artiste anonyme (11 x 9 cm), présentée chez Porfirius Kunstkammer, je ressente de la gravité, du dégoût puis enfin une certaine légèreté ? L’accolement d’une moitié de jeune fille élégamment vêtue, perlée, et d’une moitié de squelette gris me saisit ; ce n’est qu’une figure, il n’y a qu’une couronne, fanée pour moitié, la « dot » de cette « princesse » n’est rien d’autre que le lot de l’humanité, bisogna morire, etc. Voilà pour mon impression de gravité. Cette vanité me rappelle l’extraordinaire groupe sculpté par Jörg Syrlin l’Aîné ou Michel Erhart, conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne, qui montre dos à dos un éphèbe en slip blanc, une jeune fille nue, et une vieille dénudée des plus fripées.

Porfirius1
Legend Porfiriusa
Collection of 17th century ornamentally turned beakers and their containers
Limewood
H 17 up to 27cm

Mais ce tableautin me rappelle encore deux autres œuvres. D’abord la toile de Pietro della Vecchia conservée à Brest, Saint François Borgia devant le cercueil d’Isabelle de Portugal, sur laquelle on voit, près d’un garçon se bouchant le nez, le royal visage de celle-ci pourrir, montrer les dents, devenir crâne : voilà pour mon impression de dégoût. Ensuite La Montagne magique de Thomas Mann, quand le sympathique Hans Castorp, observant sa main sur un écran radioscopique, « vit ce qu’il avait dû s’attendre à voir, mais ce qui, en somme, n’est pas fait pour être vu par l’homme, et ce qu’il n’avait jamais pensé qu’il fût appelé à voir ; il regarda dans sa propre tombe » ; l’auteur, dans ce long roman, fait lentement sourire la mort : voilà pour mon impression finale de légèreté. Ils vont m’accompagner encore un peu, je le sens, sur tel stand puis sur tel autre, les fascinants personnages que ce Memento Mori vient de placer autour de moi.

Legend Porfirius 2 A Memento Mori or Vanitas representing a bust that is half woman, half skeleton Northern Europe Anonymous 17th century artist Oil on canvas 11 x 9 cm
Legend Porfirius 2
A Memento Mori or Vanitas representing a bust that is half woman, half skeleton
Northern Europe
Anonymous 17th century artist
Oil on canvas
11 x 9 cm

 

© Copyright: ECrooy
© Copyright: ECrooy

 

29-01-2015


L’orange éclate… Je suis ravi de retrouver Simon Hantaï ici, sur le stand d’Opera Gallery (on me dit de le chercher aussi chez t’Kint de Roodenbeke et chez Berès), avec Study, cette petite œuvre (46 x 46 cm) de 1971. Je me souviens de m’être dit, enthousiasmé, visitant l’exposition que lui avait consacrée le Centre Pompidou en 2013 : « Quel maître de la couleur ! » Ici ce sont comme des feuilles jonchant un sol glacé ou formant un rideau sur un ciel clair, comme des lames, des ailes, des épines, des plaies ou des pétales. Je me rappelle que pour obtenir ce type d’œuvre, Hantaï pliait son support en tous sens, badigeonnait cette sorte de compression d’une ou plusieurs couleurs (ici sanguine), puis dépliait : le motif (blanc) sortait du repli, du non-peint, il naissait négativement. On songe au blanc de la feuille gardé en réserve par un dessinateur ou un graveur talentueux et qui, tout en restant support, est en même temps ce qui compose la lumière, ce qui semble jeté le plus en avant, ce qui apparaît le plus proche à nos yeux, voire à nos mains. Manifester ainsi la présence par l’absence, c’est une tâche poétique. Je me dis encore, devant cette œuvre puissamment orangée, qu’ayant inventé une nouvelle et très belle gestuelle picturale, comme Pollock, Hantaï offre un résultat qui – c’est le propre du grand art – jette un voile sur la réalisation : par où l’artiste commença-t-il ? comment procéda-t-il ? comment arriva-t-il ? Où est à présent le cheminement, l’étoilement menant à l’art ? Mais quand j’observe une toile de Pollock, je vois toujours Pollock marchant sur elle, agitant magistralement son bâton. Je le suis à la trace. Hantaï, lui, comme Louise Bourgeois, Manet, Chardin, Callot, Léonard…, me sème, et j’aime ça.

Hantai
Study, 1971
Simon Hantaï (Bia, Hungary 1922-2008 Paris)
Watercolour on canvas
46 x 46 cm
Provenance: private collection, Paris

 

 

26-01-2015


Tiens, Hébé, on te rencontre assez peu dans nos musées, fille de Zeus et d’Héra, femme d’Hercule, toi dont la tâche olympienne avait été – avant que ne te remplaçât la seule conquête éphébique de ton père, Ganymède, l’échanson par excellence – de servir le nectar. J’admire sur le stand de la galerie Jean Lemaire un biscuit de Sèvres te figurant, nourrissant Éros, d’après un modèle imaginé par Falconet en 1759.

Lemaire6102014T13328 (713x1024)
Hebe et l’Amour
Bisque porcelaine de Sèvres
Modèle fabriqué en 1759 par Etienne Falconet (Paris 1716-1791) sculpteur académique deuxième moitié du 18e siècle
H 30,2 cm

Sèvres, manufacture mythique (dont il faut visiter le stand, au bout de l’allée centrale), patronyme délicieux ! On le dirait fait de sève, fève et lèvres. Je me fais marchand : Qu’achèterait encore, plus généralement, celui qui craquerait pour cette charmante pièce de trente centimètres ? Qu’apporterait aussi, du point de vue de lhistoire, celui qui porterait chez lui cette immortelle incolore, se réservant la perfection de cette jambe avancée (on suppose, on devine l’autre semblable) et de cette gorge et de ce nez ? D’abord un peu du confort exquis, de l’harmonie des intérieurs privilégiés du temps de Voltaire, pour lesquels de tels objets étaient conçus ; un peu de cet art de vivre entre la harpe et l’Encyclopédie qui caractérise ce siècle où les arts décoratifs furent, sans doute, à leur sommet. Mais le XVIIIe siècle fut aussi grand pour la ronde-bosse : Bouchardon, Pigalle, Pajou, à la fois praticiens virtuoses et créateurs inspirés, laissèrent des chefs-d’œuvre de vitalité. Falconet aussi, bien sûr. Qui n’a pas en mémoire la silhouette noire, massive, expansive, du Pierre le Grand qu’il dressa à Saint-Pétersbourg ? – Ainsi ce groupe imaginé par le même artiste, notre belle Hébé accompagnée d’Éros, assise sous un rosier, peut être considéré comme redisant et le raffinement d’un siècle et sa vigueur. Rien de moins.

BRAFA 2015
© Copyright: ECrooy

 


 

© Copyright: ECrooy
© Copyright: ECrooy

Comme la grotte d’Ali Baba, comme un trésor soigneusement caché au fond d’un jardin ocre, briqueté, comme un monde parallèle, dense et diapré, auquel on accèderait par une porte basse  dans un grenier ou un vieil atelier… J’arrive à la BRAFA ! De longues allées s’offrent à moi, rendues moelleuses par le talent d’Ani Bedrossian – qui a gagné le concours organisé avec La Cambre pour le design des tapis –, où fleurissent en rose shocking de beaux troncs tortueux : cette greffe, pour ainsi dire, du pommier sur l’olivier, de la jeunesse sur la tradition, ce fleurissement qui dit : the show must go on, c’est tout l’esprit de cette foire. À l’entrée, d’emblée deux des plus beaux stands, celui de Mermoz à gauche et un peu plus loin, à droite, celui de Phoenix Ancient Art.

Chupicuaro, Guanajuato, Michoacan, Mexico 400-100 BC H 55.5 x W 27 x D 14.4 cm
Chupicuaro, Guanajuato, Michoacan, Mexico
400-100 BC
H 55.5 x W 27 x D 14.4 cm

Je ne me lasse pas d’admirer sur le premier cette statue mexicaine rouge et beige (Standing goddess), géométriquement décorée, jolis pieds, jolies cuisses, joli minois. Puis sur le second, ce casque étrusque ! C’est un des clous de la foire, daté du VIIIe siècle avant notre ère – quand la Grèce essaima et rayonna partout en Méditerranée –, une pièce si raffinée que je ne peux m’empêcher de l’imaginer protégeant de belles boucles blondes, sur un champ de bataille, oui, mais littéraire – le VIIIe siècle est aussi le siècle d’Homère –. Je m’enfonce maintenant dans ce monde artistique où (quasiment) tout est beau, où (quasiment) tout tente, où tout est à vendre. Dans l’allée centrale, le stand de la galerie Dutko m’enchante : puissant cercle en bronze de Bruno Romeda, et du même artiste six sièges parfaits ; joyeuse toile de Claude Viallat, lâche et plaisante comme une tapisserie ; stupéfiante boule de marbre évidée de Matthias Contzen ; merveilleuses toiles enfin, offrant lor subtilement, de Béatrice Casadesus, dont les expositions de Brou, Port-Royal des Champs et Bar-le-Duc marquèrent les esthètes épris de spiritualité. Je continue…

Casque avec crête forte bronze et du fer (?) l'art étrusque, première moitié du 8ème siècle avant JC H 32,5 cm
Casque avec crête forte
bronze et du fer (?)
l’art étrusque, première moitié du 8ème siècle avant JC
H 32,5 cm

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