C’est une exposition des plus denses, des plus étincelantes, pleine d’un chiaroscuro spirituel et plastique que ce septième chapitre de Culture Chanel, La donna che legge, qui se tient jusqu’au 8 janvier 2017 à Venise. Dans sept salles au deuxième étage de la Ca’ Pesaro, Jean-Louis Froment, le commissaire de l’événement, a voulu – et obtenu ! – « que l’émotion domine ». De longues vitrines font songer à des coffres de fées devenus soudainement transparents, où certains des plus précieux ouvrages provenant de la bibliothèque de Coco s’ouvrent pour vous. Il faut admirer longuement les élégantes reliures de Germaine Schroeder. Des livres neuf, posés à l’envers, la tranche vers nous, jouent les serre-livres. Aux murs, ici ou là, sont accrochés quelques Picasso. On déambule dans un poème, égrenant des mots magiques, des noms réconfortants : Mallarmé, Giacometti, Stravinsky… Non loin de la partition manuscrite du Sacre du printemps, un dessin d’Aristide Maillol montre Nijinsky nu ; là, un évangéliaire émaillé du XIIIe siècle provenant du musée Correr voisine avec le Bouddha du XVIIe – à la main cassée cachée par une fleur – qui orne d’ordinaire, à l’instar de cette Vénus ou de cette boule de cristal, l’appartement de Mademoiselle, rue Cambon. On se demande si ces vêtements imaginés par Karl Lagerfeld ne sont pas d’elle : Jean-Louis Froment s’est attaché à l’ « inactuel » plutôt qu’au « contemporain ». Les films de Jérôme Schlomoff viennent brouiller notre notion du temps (« Chez Chanel, il n’y a pas d’urgence » rappelle encore Jean-Louis Froment). Voici la pierre de lettré qui appartenait à la couturière et qu’elle nommait « aérolithe ». Un col marin carré, et voilà le Lido de Tadzio (on apprend dans le passionnant livret donné aux visiteurs que Mademoiselle possédait l’exemplaire N° 23 de l’édition originale française de La Mort à Venise). Tout ici n’est que correspondances et calligrammes, échos, détours, retours.
Cocteau, l’un des grands compagnons de la créatrice, écrit pour elle un texte justificatif – à propos de la collection « Bijoux de Diamants » créée en 1932 – et signe pour elle ; les livres d’Apollinaire dédicacés à Misia Sert qui était, selon Jean-Louis Froment, la « doublure sociale de Chanel », se retrouvent dans la bibliothèque de cette dernière ; dans cette salle-ci sont alignées des éditions modernes des œuvres qui composaient cette bibliothèque, le visiteur pouvant, s’il le souhaite, prendre l’un de ces livres et repartir chez lui avec ce joli souvenir ; on repasse enfin devant la vitrine qui abrite le manuscrit de Madame Bovary ainsi que ce billet que Coco gardait dans son portefeuille, dont on ne se lasse pas – quatre lignes qui ne sont pas à proprement parler de Chanel, comme je l’ai écrit dans le N° 46 de notre revue, mais qui proviennent en réalité d’un ouvrage de Peladan : « La vie qu’on mène est toujours peu de chose, la vie qu’on rêve, voilà la grande existence parce qu’on la continuera au delà de la mort. » Benoît Dauvergne
Culture Chanel, Venise jusqu’au 8 janvier