Lilybée
Entre Carthage et Rome
A la pointe nord-ouest de la Sicile, la ville de Marsala occupe le site de l’antique Lilybée, en grec Lilùbaion. Selon les sources littéraires, les premiers habitants furent des rescapés de la destruction, en 397 av. J.-C., de la colonie punique de Motya ou Motyé, établie sur l’actuel îlot de Mozia, situé à proximité immédiate. Puissamment fortifiée par les Carthaginois, Lilybée leur servit de base pour y préparer des attaques contre la cité grecque de Syracuse, à qui ils disputaient la domination de la Sicile occidentale. Durant la première guerre punique, ils en firent le centre opérationnel pour toutes leurs opérations militaires, contre les Romains cette fois-ci. Cependant, après un siège de huit ans, la cité tomba aux mains de l’ennemi et les Carthaginois en furent formellement dépossédés par le traité qui mettait fin aux hostilités (241 av. J.-C.). On retiendra le fait que c’est à Lilybée qu’étaient cantonnés les fameux éléphants de combat, qui servirent dix ans plus tôt lors de la contre-offensive contre Panormos ( Palerme).
Grâce à sa position stratégique, en face de l’Afrique et à son activité commerciale intense, Lilybée devint, la paix revenue, une ville totalement romaine, sous le nom de Lilybaeum et l’un des plus grands centres politiques de l’île. Sa prospérité était telle que Cicéron, qui fut questeur de Lilybée, la qualifie de splendissima civitas.
Lilybée conservera jusqu’à l’époque moderne un rôle important dans l’histoire de la Sicile. Lors de l’unification de l’Italie, Garibaldi choisira son port pour y débarquer son corps de volontaires.
En 1894, sur le site identifié par le philologue allemand Julius Schubring, l’archéologue sicilien A. Salinas dégagea une partie des murs d’enceinte. En 1963, un relevé topographique permit de reconnaître les trois bassins portuaires, une autre partie des fortifications, le fossé défensif et différentes rues. A partir de 1970, la Surintendance mena de nombreuses interventions ponctuelles, qui ont confirmé les données acquises. Entre 1999 et 2003, ce fut au tour de G. Pucci de mettre en évidence quelques structures importantes, jusque là enterrées. Un musée, établi en bord de mer, dans un ancien établissement viticole (le fameux vin de Marsala !) abrite les découvertes, qu’elles soient fortuites ou faites à l’occasion de travaux édilitaires en ville de Marsala. S’y trouve aussi l’épave d’un navire de guerre punique, dégagée en 1983.
Lilybée a révélé l’existence de plusieurs nécropoles, fouillées systématiquement depuis 1969. Particulièrement remarquables sont les « édicules votifs », au nombre de treize. Il s’agit de petits monuments en forme de temple, avec deux colonnes en façade, les plus simples consistant en une simple niche, taillée dans un bloc de pierre rectangulaire. Ils se caractérisent par leur ornementation polychrome, étonnement bien conservée. Le sujet principal est le banquet funéraire, organisé autour du défunt, représenté comme s’il était encore vivant. La doctrine de l’héroïsation est à l’évidence empruntée aux Grecs, par l’intermédiaire d’Alexandrie d’Egypte probablement. C’est d’ailleurs en langue grecque que sont rédigées les inscriptions, qui nomment le défunt HEROS AGATHOS et sa femme HERYSA AGATHA.
A Lilybée, les lieux de culte en milieu urbain sont encore à étudier. Le principal, connu de longue date, se trouve sous l’église de St. Jean Baptiste, où une grotte sacrée abrite la seule source d’eau douce de la zone, celle qui a décidé les Carthaginois à s’y installer. Un autre sanctuaire, si l’on en croit un témoignage épigraphique, serait celui d’Hercule, le Melqart des Puniques. Quant au tophet, aire sacrée dédiée aux divinités phéniciennes Tanit et Baal, aucune trace n’en a encore été retrouvée. Il faut dire qu’en matière religieuse, le syncrétisme pratiqué à Lilybée rend difficile l’interprétation des données archéologiques.
Une opportunité à saisir
Aujourd’hui, comme dit plus haut, la ville moderne de Marsala recouvre le site antique. Mais pas dans sa totalité. Non moins de 30 hectares ont été préservés, grâce à la création, en 2007, du Parc Archéologique, dont une partie sert de promenade publique. Par conséquent, cette situation, vraiment unique, offre l’occasion d’entreprendre des recherches de grande ampleur. Elles permettront d’explorer en sous-œuvre la cité qui a précédé celle des Romains. Ce sera une grande première, car en ce qui concerne l’urbanisme, la civilisation punique présente encore beaucoup d’inconnues.
Dans cette perspective, l ‘Unité d’Archéologie Classique du Département des Sciences de l’Antiquité de l’Université de Genève a signé une convention scientifique « pour développer la recherche tant historique qu’archéologique dans l’ancienne ville de Lilybée ». Ce projet résulte des contacts pris conjointement par le Prof. Lorenz Baumer et la Dott.ssa Alessia Mistretta avec plusieurs institutions, aussi bien italiennes que genevoises. Un soutien financier a d’ores et déjà été accordé par la Fondation Schmidheiny et le centre interfacultaire Maison de l’Histoire de l’Université de Genève.
Une exposition s’est tenue dans la Salle des Moulages de cette même université, du 4 au 28 octobre 2016. Réalisée en collaboration avec le Directeur du Pôle Muséal de Trapani, Arch. Luigi Blondo et le Musée Archéologique Régional Lilibeo ( Dott.ssa Anna Maria Parrinello et Mme Maria Grazia Griffo ), elle permit au public de découvrir Lilybée et de se familiariser avec un projet archéologique qui va occuper beaucoup de monde pendant de longues années. Et, bien que négligé encore par les tour operators, le nom de Lilybée, si euphonique, si évocateur, semble promis à une nouvelle célébrité.