Pour la première fois, les trésors de la préhistoire roumaine sortent de leur pays d’origine, grâce à une initiative venue de Suisse. Le public occidental pourra ainsi mesurer, en parcourant l’exposition, ce que l’humanité doit à cette région, dont il fut longtemps séparé.
De la Roumanie, toute personne cultivée connaît les Daces, à cause d’un monument fameuxde Rome, la colonne de Trajan, qui raconte en images leur défaite face aux troupes impériales. D’ailleurs, bien que forcée, l’intégration de ce peuple au monde romain n’est pas ressentie négativement par les Roumains d’aujourd’hui, qui vont jusqu’à se réclamer de leur latinité.Mais l’histoire de la Roumanie ne commence pas avec les Daces, même si ceux-ci jouent dans la conscience nationale le même rôle de glorieux ancêtres que les Gaulois pour les Français. En effet, loin en arrière dans le temps, à la période dite du Néolithique (5000-3200 avant notre ère), ce pays abritait des populations à la pointe de l’évolution.Le Néolithique correspond à l’avènement de l’élevage et de l’agriculture. L’habitat tend à se fixer et l’on abandonne les abris rocheux pour les cabanes. De nouvelles techniques apparaissent comme le tissage et la poterie. L’exploitation intensive du silex, du sel, l’emploi de coquillages marins comme parure, aboutissent à des échanges commerciaux, même à grande distance. Pour l’essentiel, le courant civilisateur provient d’Asie Mineure. Le Néolithique est aussi l’âge de l’indo-européanisation.La Roumanie a développé sur son territoire une vingtaine de cultures néolithiques, dont celle de Vinca, Vadastra, Gulmenita, Cucuteni, Cernavoda, ainsi nommées d’après leur site principal. Parmi celles-ci, la plus remarquable est celle de Gulmenita (province de Valachie), qu’on peut considérer comme la plus avancée d’Europe, car elle a atteint le niveau social et économique de l’Egypte et de la Mésopotamie contemporaines. Dans le Banat, cette culture a livré les restes d’un temple, sur le site de Parta. Mesurant onze mè- tres sur six, il comporte deux chambres.
La première abrite la représentation monumentale d’une paire de divinités, l’une féminine, l’autre à tête de taureau. Deux colonnes supportent des bucranes. La seconde est occupée par trois autels, pourvus d’un foyer.Ces cultures ont essaimé (courant dit «danubien» par opposition au «méditerranéen») hors du territoire roumain, en Hongrie, en Serbie et bien au-delà, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Elles ont ainsi contribué à la formation de l’identité européenne.Or, malgré son importance, jamais la préhistoire roumaine n’a bénéficié d’une exposition à l’étranger, excepté celle de Thessalonique (Grèce) en 1997, réduite à la seule culture de Cucuteni. Il fallait donc remédier à cette situation et c’est le mérite de l’Association Hellas et Roma d’y avoir pensé. Elle a confié le projet à l’archéologue genevois Laurent Chrzanovski, qui a levé tous les obstacles. Il a réussi à fédérer autour du Musée national d’Histoire de Bucarest la quarantaine d’autres musées provinciaux. 1200 objets ont été sélectionnés auprès d’eux, qui permettront d’offrir au public une vision complète et actualisée d’une période fascinante.L’exposition ouvrira ses portes en juin 2008, à Olten (canton de Soleure). Pourquoi Olten ? Parce que le Musée historique de cette ville abrite la plus importante collection néolithique de Suisse. D’autre part, Olten jouit d’une position géographique idéale, au centre du réseau ferroviaire et autoroutier. Enfin, hasard de l’histoire, elle porte le même nom qu’une province de Roumanie (Oltenia), la racine celtique de ces deux noms signifiant «fleuve tumultueux», en l’occurrence l’Aare et l’Olt. Les Roumains ont vu dans cette coïncidence un heureux présage.Au premier étage dudit musée seront présentés les 150 objets les plus importants, appréhendés sous l’angle de l’art. Car on peut vraiment parler d’art à propos de certaines de ces créations, notamment les figures humaines en terre cuite, aux formes généreuses. Et chacun pourra comprendre où l’œuvre du grand sculpteur roumain Constantin Brancusi plonge ses racines.Le second étage sera didactique, les artefacts étant groupés par thème, de manière à mettre en évidence les contextes géographiques, historiques, économiques et sociaux. Le premier thème portera sur l’artisanat: recherche et exploitation des matières premières, travail des métaux, cuisson de la céramique et recours aux pigments colorés. Le second traitera des échanges, le Danube jouant le rôle d’axe pour l’Est européen. Le troisième concernera la vie quotidienne de ces sociétés, dont leur mode de subsistance, expliqué à la lumière de l’archéobotanique et de l’archéozoologie. Le quatrième, dévolu à l’habitat, montrera la sédentarisation progressive des tribus on du moins le retour saisonnier sur les mêmes sites, selon les lois de la transhumance. Et aussi comment les villages se sontentourés d’un système de fortifications, dont le rôle était à la fois défensif et identitaire. Enfin, le dernier thème, celui du sacré et de la spiritualité, ouvrira des perspectives insoupçonnées.Comme emblème de l’exposition, les organisateurs ont choisi évidemment la statuette du «penseur» d’Hamangia, connu de tous les Roumains, car il figure sur le nouveau billet de 200 Lei, la monnaie locale, et il a servi de logo pour le XIe Sommet de la Francophonie à Bucarest en 2006. Cette œuvre extraordinaire, un des vestiges majeurs de la préhistoire européenne, sera présente à Olten, avec son pendant, une femme, assise elle-aussi, trouvée dans le même contexte. Si la véritable signification de ce «couple» reste un mystère, on admirera la maîtrise technique, le réalisme de l’anatomie et la puissance expressive.Après Olten, l’exposition ira à Bruxelles, au Musée du Cinquantenaire, à l’automne prochain et d’autres étapes encore sont en discussion. A Olten, un congrès scientifique sur le thème du Néolithique, spécialement l’habitat, se déroulera en marge de l’exposition.