L’Ombrie est souvent appelée l’Italie verte. Contrairement à la toscane, plutôt aride et austère, cette région de l’Italie est verdoyante et vallonnée. La plaine qui s’étend d’assise à Spolète voit la vigne et les oliviers le disputer aux forêts de chênes. C’est le pays du sanglier, de la truffe, de l’huile d’olive et du sagrantino, un ancien plant réapparu depuis peu, qui donne un vin riche et parfumé. Cette plaine est jalonnée de petites villes qui s’accrochent aux contreforts du Mont Subasio: trevi, Montefalco, Spello. Toutes sont belles, surtout dans la lumière de fin d’après-midi, et beaucoup recèlent de véritables trésors artistiques.
À quelques kilomètres d’Assise, dont on peut observer la majestueuse blancheur depuis le promontoire du haut de la ville, Spello offre son accès par l’une des cinq portes romaines, la porte consulaire. Ville bâtie par les Romains pour être le lieu de villégiature et de repos des légionnaires retraités, Hispellum, tel était son nom latin, invite ensuite le visiteur à cheminer le long de sa rue centrale, la Via Consolare, qui se transforme en Via Cavour, raide et sinueuse, où il va rencontrer pas moins de quatre églises. Il en reste d’ailleurs un certain nombre sur la centaine que comptait la ville en 1600, alors que sa population atteignait à l’époque deux mille habitants (huit mille aujourd’hui). Il est vrai que l’Ombrie détient le record italien du nombre de lieux saints, témoins de l’énorme ifluence historique exercée par l’Église dans cette région.
C’est dans l’une de ces églises, en fait la première que l’on rencontre en amorçant l’ascension de la Via Consolare, que l’on découvre un vrai bijou artistique: la chapelle Baglioni, peinte en 1500 1501 par Bernardino di Betto dit Il Pinturicchio (Pérouse 1454 – Sienne 1513). L’église, consacrée à la Vierge comme le sont une grande partie des lieux de culte en Ombrie, c’est Santa Maria Maggiore. Elle n’est pas particulièrement belle. Bâtie au douzième siècle, sa façade a été refaite cinq siècles plus tard. Autant dire que cette intervention, destinée à agrandir l’entrée, n’a pas été une réussite. D’ailleurs, depuis la rue, elle n’attire pas l’attention. Il ne subsiste de l’original qu’une partie du portique roman et deux colonnes provenant de l’ancienne voie romaine conduisant à Spello. Il faut savoir qu’elle recèle les fresques du Pinturicchio – ainsi d’ailleurs que deux œuvres de Pietro di Cristoforo Vanucci dit il Perugino (Città della Pieve 1448 – Fontignano 1523), pour en franchir la porte. À l’intérieur, deux fragments de colonnes romaines reconvertis en bénitiers et un baptistère délicatement scupté, peuvent arrêter le visiteur un bref instant.
Autant se diriger rapidement vers la gauche de l’église, en ayant pris soin au préalable de se munir de pièces d’un euro. Chaque pièce donne droit à cinq minutes d’éclairage, c’est la règle dans la majeure partie des églises italiennes. Par ailleurs, le visiteur étranger ne doit pas s’attendre à ce que l’un des nombreux touristes italiens prenne le relais du financement de la lumière: on attend patiemment qu’un autre généreux contributeur étranger glisse son obole dans le dispositif ad hoc pour entourer le payeur, quitte même à lui passer devant, en s’extasiant à qui mieux mieux devant la beauté de l’œuvre dont on s’est procuré la contemplation gratuitement.
Le spectacle qui s’offre aux yeux du visiteur est enchanteur: la qualité de la composition, la délicatesse des couleurs (les fresques ont été – parfaitement – restaurées en 1978), l’expression des personnages, la richesse du décor, tout concourt à générer chez le spectateur un flot d’émotion qui mettra du temps à s’estomper. La première fresque, à gauche de la chapelle, décrit l’Annonciation. La Vierge vient de lire la prophétie biblique dans le livre ouvert devant elle. L’ange agenouillé, qui tient à la main un rameau d’olivier, pose sur la future mère un regard bienveillant et protecteur. La scène respire la paix et la sérénité. Le paysage, en arrière-plan, pourrait bien être une vue de Spello. Le peintre y a marqué sa présence en réalisant un autoportrait accroché en bas à droite de la scène.
La fresque centrale représente l’Adoration de l’Enfant par les bergers. Genou à terre, ils affichent une attitude humble et respectueuse. Un peu en retrait, les rois Mages attendent leur tour un discutant. Cette scène paisible fourmille de symboles qui préfigurent la vie de Jésus, comme la croix qui annonce la Crucifiction et la fiasque de vin et le pain qui anticipent l’Eucharistie. Le manteau de la Vierge, d’un bleu lumineux, attire le regard sur le centre de la fresque et fait un peu oublier le chœur des anges qui lévite sur le haut de la composition.
La fresque de droite représente Jésus parmi les Docteurs de la Loi L’atmosphère est beaucoup moins sereine, le tension est palpable. Les livres sont jetés à terre, les visages fermés. Jésus, encore enfant, n’a pas l’air trop impressionné, il s’avance tranquillement vers le devant de la scène. Parmi les docteurs et les savants, on remarque un homme vêtu de noir: c’est Troilo Baglioni, prieur puis évêque de Spello, qui a commandité la chapelle. Le plafond est divisé en ogives dans lesquelles sont peintes quatre Sibylles (la Samia, la Eritrea, la Europa et la Tiburtina) qui toutes sont entourées d’autels portant des inscriptions prophétiques sur la vie et la mort du Christ.
Pour être complet, on admirera le pavement de la chapelle exécuté en 1566 par les artisans de Deruta (lieu mondialement célèbre pour ses céramiques). Malheureusement, pour protéger le tout, une barrière de verre a été installée, empêchant le visiteur de pénétrer dans la chapelle et l’obligeant à se tordre le cou pour s’imprégner de la beauté du lieu.
Le Pinturicchio (le «barbouilleur», surnommé ainsi par ses pairs en raison de sa facilité à peindre) compte, parmi les chefs-d’œuvre qu’il a exécutés, l’appartement des Borgia au Vatican, commandé par le pape Alexandre VI, et la décoration de la fameuse Libreria Piccolomini à Sienne.
Vasari (Arezzo1511 – Florence 1574), célèbre peintre, architecte et critique d’art (Auteur des Vies des artistes, publié en 1570, ouvrage fondateur de l’histoire de l’art), critique abondamment le Pinturicchio, qu’il accuse de céder à la facilité et de pratiquer l’ornementation pour flatter ceux qui ne connaissent rien à l’art ! Qu’importe, le Pinturicchio reste l’un des artistes majeurs de l’Ombrie, aux côtés du Perugino et de Signorelli. La visite de la chapelle Baglioni reste un grand bonheur.