Aux murs, des œuvres d’artistes contemporains, Zack, Zuber, Royen, Chevalley, Reiling, Santomaso et bien d’autres, voisinent avec dessculptures océaniennes et africaines, avec lesquelles elles entretiennent une complicité évidente.Peintures et sculptures témoignent du goût de leur propriétaire. La présentation a été étudiée et ne doit rien au hasard; notre hôte est non seulement un esthète mais il possède en plus ce sens de l’organisation spatiale, pour ne pas dire de la scénographie, hérité sans doute de sa formation d’ingénieur.Pièces océaniennes et africaines se côtoient, se mêlent, mais loin d’être anachroniques, ces assemblages mettent en relief leurs points communs, leurs affinités.Difficile d’expliquer cette osmose ! Formes, couleurs, expressions ou quoi de plus subtil ? Le maître des lieux aurait-il une réponse à ces questions ?
Arts primitifs, arts tribaux, arts premiers. Quelle dénomination retenez-vous et pourquoi ?À priori ni la première ni la dernière, à la rigueur «arts tribaux» renvoyant à l’ethnographie, bien que je préférerais utiliser «sociétés traditionnelles», qui pourrait s’appliquer aux cinq continents. Pour ma part, je trouve que les termes «arts primitifs» ont une connotation péjorative qui implique l’idée de «sauvage», ce qui me déplaît et, pour ce qui est de l’appellation «arts premiers», cela me fait plutôt penser à Lascaux, Chaumet, Altamira ou autres lieux témoins de l’art préhistorique.Qu’ils soient océaniens ou africains, vos objets ont au départ une fonction culturelle. Cette vocation première conservet-elle une importance à vos yeux ?Bien sûr, tous ces objets, sculptures et autres, ont d’abord une fonction cultuelle, la naissance, l’initiation, la vie, la mort sans oublier le respect de la mémoire des ancêtres. Je suis personnellement sensible à cette vocation première.Que répondez-vous à ceux qui ne voient dans les arts africains ou océaniens que des manifestations malhabiles, voire grotesques ?
Malhabile signifiant pour moi «manque de savoir-faire», cette appellation ne s’applique pas aux réalisations sculpturales qui nous occupent, c’est tout simplement une autre forme d’expression. Quant à dire qu’elles sont grotesques, n’est-ce pas le terme utilisé par certains pour qualifier ce qui n’est pas conforme à leur conception de l’art ?À l’opposé, d’autres ont parfois rapproché certaines sculptures africaines de l’art roman. Partagez-vous cet avis ?Quand on constate le foisonnement de certains tympans romans, méprisés eux aussi pendant des siècles et que l’on pense aux gargouilles, chimères et autres monstres qui ornent nos cathédrales, certaines productions des sociétés traditionnelles, océanienne notamment, sont dignes de la comparaison.Dur, violent, brutal, farouche, tels sont parfois les termes utilisés pour décrire les arts africains et océaniens. Quand pensez-vous ?C’est sans doute vrai, violence mais aussi sérénité. Masques et sculptures témoignent des peuples qui les ont créés. Remarquez que ces qualificatifs peuvent aussi s’appliquer à notre art contemporain.À quoi attribuez-vous votre sensibilité à ces arts ?En vérité, je suis sensible à toute création, qu’elle relève de l’architecture, de la peinture, de la sculpture et même de la technique, et pas seulement aux arts africains et océaniens, bien qu’ils m’aient apporté la part de rêve et d’évasion qui a souvent contribué à me permettre de surmonter mes contraintes professionnelles.Chaque collection a un début. Vous souvenezvous de l’achat de votre première pièce ? Quel fut le déclic de cet achat ?
Absolument, même s’il y a quarante ans de cela ! Je cherchais, dans une brocante du sud de la France, de vieux meubles à restaurer, le travail du bois étant pour moi une réelle passion. C’est en cette circonstance que je trouvais, par le plus pur des hasards, chez un marchand d’art africain, de très petites pièces, qu’avec ma naïveté de l’époque, je regardais avec émotion et admiration !L’ancienneté est-elle toujours prédominante lors de la sélection d’un objet ? Quels sont les autres critères qui conditionnent votre choix ?
Certes, un objet ancien communique plus de force qu’une copie récente et si nos yeux d’Occidentaux voient dans ces objets de l’art, il ne faut pas oublier que pour les hommes qui les ont créés, il s’agissait seulement de transmettre des traditions, des règles de vie. En l’absence d’écriture, la musique, la danse et la sculpture étaient pour ces peuples la façon de perpétuer ces traditions. Pour revenir à mes critères, la qualité d’exécution, qui est complémentaire de l’ancienneté, participe à ce choix.Vous est-il arrivé d’échanger voire de revendre des pièces de votre collection ? Si oui, en quelles circonstances ?Chaque pièce de ma collection est un coup de cœur, acquise sans spéculation aucune, un moment d’émotion. Je revois le contexte de chacune de mes acquisitions, bonne ou mauvaise. Non, je n’ai jamais échangé ni revendu l’un ou l’autre de mes objets.Il existe une certaine complicité entre les œuvres d’artistes contemporains qui ornent les murs de votre appartement et les objets qui les environnent. Quelle est la clef de cette complicité ? Pouvez-vous l’expliquer ?
Il s’agit en effet de complicité. En ce qui me concerne, je dirais même de complémentarité. Les œuvres peintes, je les ai acquises lors de rencontres avec les artistes qui les ont créées, et ce, avec la même sensibilité et dans le même état d’esprit que lorsque j’ai acheté de l’art africain ou océanien. Peut-être cela expliquet-il cette complicité. Il m’arrive de déplacer des objets, de les changer d’environnement. La composition change, jamais ce sentiment de complémentarité.Dans son testament, Edmond de Goncourt souligne sa volonté de voir les objets d’art qui ont fait le bonheur de sa vie ne pas finir dans la froide tombe d’un musée, mais être toutes éparpillées sous les coups de marteau du commissaire priseur, à l’intention des héritiers de ses goûts. Partagez-vous ce point de vue ?J’ai envie de vous répondre que oui. J’ai pendant de nombreuses années profité de la présence de tous ces objets qui m’entourent et que j’aime et c’est vrai que je préférerais les savoir auprès de passionnés d’art plutôt que de les imaginer dans les sous-sols encombrés d’un musée poussiéreux. Mais, y-a-t-il encore des passionnés d’art ? J’en doute !Si pour l’une ou l’autre raison, vous ne pouviez emporter qu’un seul objet de votre collection, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?Tout ou rien, ou alors mon dernier achat, une récade, bâton de chef Bambara, représentant un cheval et dont la grande simplicité me touche.