Agnes Baltsa est la plus grande mezzo-soprano de notre temps.» S’ils n’étaient signés Herbert von Karajan, ces mots pourraient paraître pompeux. Mais dans la bouche du géant, dont l’extrême exigence est légendaire, ils ont valeur de vérité. La mezzo grecque s’en est montrée digne d’un bout à l’autre de sa carrière, qui débute en 1968 avec Cherubino, sur la scène de l’Opérade Francfort et qui est loin d’être terminée – preuve en est la tournée qu’elle entame ce mois de décembre sur les principales scènes de Suisse, dans un copieux programme d’airs d’opéra retraçant les étapes clé de son parcours. Toujours fringante et d’une admirable simplicité, elle nous a reçu à Berne où elle réside avec son mari Günter Missenhardt, lui aussi chanteur d’opéra.
De Lefkas à VienneAgnes Baltsa n’a pas brûlé les étapes. Née à la fin de la guerre sur l’Ile de Lefkas, non loin de Corfou, elle commence le piano à six ans, est diplômée du Conservatoire d’Athènes à dix-neuf. «Tout s’est passé le plus naturellement du monde», confie-t-elle. «Alors que je chantais dans un chœur d’enfants, j’ai compris que la nature m’avait fait don d’une voix différente des autres. Dès lors tout était clair: ma vie allait être dédiée au chant.» Premier coup de pouce du destin: une bourse Maria Callas, qui lui permet, dès l’âge de vingt ans d’aller se perfectionner à Munich. Trois ans plus tard, elle fait ses débuts à Francfort et en 1970 frappe un grand coup en campant la plus jeune Octavian de tous les temps sur la scène de la Wiener Staatsoper. C’est la naissance d’une histoire d’amour avec le théâtre mythique, la ville impériale et son public; elle dure toujours.KarajanPour durer, c’est bien connu, un chanteur doit savoir gérer son répertoire. «Les agents et les directeurs d’opéras peuvent vous donner des conseils, mais le soir sur scène c’est vous seule qui chantez. Il incombe ainsi à l’artiste d’être parfaitement au fait de ses limites et de savoir dire ‹non› lorsque cela est nécessaire. J’ai souvent dû le faire et cela ne m’a jamais pesé.» Côté mentors, la cantatrice est plutôt bien servie. A commencer par Karajan, qui la recrute pour l’enregistrement de la Missa Solemnis de Beethoven – alors qu’elle croit avoir complètement raté l’audition! Elle devient très vite l’une de ses voix favorites, notamment dans Carmen dont on ignore bien souvent que c’était l’un des opéras préférés du chef allemand. «Karajan nous a aimés, nous étions ses enfants», se souvient avec émotion Agnes Baltsa. «Il était évidemment très exigeant, c’était un esthète qui estimait que la musique ne connaît pas de fin. Sa direction tissait les plus beaux tapis orchestraux dont peut rêver un chanteur.»PonnelleInvitée depuis sa rencontre avec Karajan sur les plus grandes scènes de la planète, Agnes Baltsa attache une importance toute particulière au jeu scénique, et partant aux metteurs en scène avec lesquels elle travaille. Pour elle, là encore, il s’agit d’une question d’instinct. «Ma rencontre avec Jean-Pierre Ponnelle a été un moment déterminant de ma carrière. J’ai campé Isabelle de L’Italienne à Alger de Rossini sous sa direction et celle de Claudio Abbado en 1987 à Vienne. Non seulement il connaissait parfaitement la musique, mais il traitait les chanteurs comme de vrais êtres humains, pas comme des marionnettes. Il parvenait à faire des choses fantastiques à partir de trois fois rien.»Sang grecGrecque de sang et de cœur, Agnes Baltsa a un besoin viscéral de retrouver périodiquement son pays. Méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, elle s’est fait un nom dans le registre des musiques populaires, servant admirablement Mikis Theodorakis ou Manos Hadjudakis. Très touchée par les incendies qui ont dévasté son pays cette année, elle se mobilise activement dans la recherche de fonds pour venir en aide aux victimes. Elle n’en est pas moins une citoyenne du monde, à l’aise partout où elle se trouve. Au cœur de la charmante ville de Berne, notamment, dont elle apprécie l’hospitalité… à condition de pouvoir en sortir!