«Art in the USA» magistrale leçon d’histoire de l’art

Le musée Guggenheim de Bilbao fête ses dix ans, avec la plus importante exposition d’art nord-américain présentée jusqu’ici en Europe.L'ampleur de l’événement est à la mesure de l’écrin lui-même, conçu par Franck O. Ghery : de gigantesques cristaux métalliques, blocs irréguliers dressés en de douces contorsions, ou mollement couchés, recouverts de délicates feuilles de titane ou de panneaux de verre asymétriques, déposés ici et là, comme au fil des millénaires, par d’improbables forces telluriques. Un hallucinant prodige de l’imagination qui a su répondre au-delà de toute attente à ses objectifs non seulement artistiques mais aussi socio-économiques, pour la ville de Bilbao, le Pays Basque, et l’Espagne. Il importait donc de rendre hommage au «père fondateur», Salomon R. Guggenheim et à l’architecte lui-même, pour célébrer avec cohérence cette première décennie. La démesure du bâtiment et celle de sa trajectoire médiatique ont fait le reste pour insuffler à la commémoration son ampleur véritablement épique. Au final, une rétrospective époustouflante – «Art in the USA: 300 ans d’innovation» - qui nous invite à un captivant voyage à travers trois siècles d’art états-unien, depuis la fondation du pays lui-même.Deux cent œuvres et cent vingt artistes. Est-ce beaucoup, est-ce trop, ou juste à peine suffisant pour rendre compte de la diversité d’un pays traversé par des peuples venus de tout le globe ? Saluons surtout la grande qualité artistique d’une démarche didactique, qui présente la sélection autour de six grandes périodes, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Elles rendent compte de la...

Le musée Guggenheim de Bilbao fête ses dix ans, avec la plus importante exposition d’art nord-américain présentée jusqu’ici en Europe.
L’ampleur de l’événement est à la mesure de l’écrin lui-même, conçu par Franck O. Ghery : de gigantesques cristaux métalliques, blocs irréguliers dressés en de douces contorsions, ou mollement couchés, recouverts de délicates feuilles de titane ou de panneaux de verre asymétriques, déposés ici et là, comme au fil des millénaires, par d’improbables forces telluriques. Un hallucinant prodige de l’imagination qui a su répondre au-delà de toute attente à ses objectifs non seulement artistiques mais aussi socio-économiques, pour la ville de Bilbao, le Pays Basque, et l’Espagne. Il importait donc de rendre hommage au «père fondateur», Salomon R. Guggenheim et à l’architecte lui-même, pour célébrer avec cohérence cette première décennie. La démesure du bâtiment et celle de sa trajectoire médiatique ont fait le reste pour insuffler à la commémoration son ampleur véritablement épique. Au final, une rétrospective époustouflante – «Art in the USA: 300 ans d’innovation» – qui nous invite à un captivant voyage à travers trois siècles d’art états-unien, depuis la fondation du pays lui-même.
Deux cent œuvres et cent vingt artistes. Est-ce beaucoup, est-ce trop, ou juste à peine suffisant pour rendre compte de la diversité d’un pays traversé par des peuples venus de tout le globe ? Saluons surtout la grande qualité artistique d’une démarche didactique, qui présente la sélection autour de six grandes périodes, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Elles rendent compte de la variété des influences et des métissages, et suivent les profonds bouleversements socioéconomiques qui ont impulsé l’histoire américaine et mondiale.«Colonisation et rébellion (1700 – 1830)» ouvre l’exposition sur l’extrême variété des origines (Europe, Afrique, Asie), tout en soulignant clairement les marques de la culture puritaine de la Nouvelle Angleterre. Les canons américains restent encore subtils, et lessaisissants portraits des «pères de la nation» ou des riches commerçants, ont du mal à s’affranchir du décorum aristocrate des portraits européens.«Expansion et fragmentation (1830 – 1880)» marque en revanche la rupture. Le regard tourné vers l’Ouest embrasse à présent l’inconnu et l’immensité vierge, qui ont nécessairement pesé sur les consciences artistiques, inspirant respect et fascination biblique. Les paysages d’Edward Hicks surprennent ainsi par la rigidité et la naïveté de leurs traits, à la mesure de la distance qui sépare à présent l’Académie de certains artistes autodidactes. Les versions de son «Royaume Paisible», illustrant la prophétie d’Isaïe sur l’harmonie entre créatures féroces et tranquilles, confrontent le spectateur à des groupes compacts d’animaux, amassés hiératiquement au premier plan, entre lesquels jouent innocemment quelques enfants. Au-delà de l’enseignement moraliste, ils traduisent avec poésie la subjugation des conquérants devant la luxuriante vie sauvage. En arrière plan, un groupe de conquérants signent la paix avec les Indiens. La naïveté picturale à la Douanier Rousseau se double ici d’une autre ingénuité: les bêtes féroces ne seront peut-être pas celles que l’on croyait…«Brume dans le Canyon Kanab, Utah» de Thomas Moran achève de nous faire ressentir, tel Sthendal face aux prodiges de l’art italien, la fascination bouleversée de l’artiste devant la majestueuse beauté de la nature. Une monumentale démesure qui a marqué la civilisation américaine à tout point de vue et qui a pour sûr motivé le choix de ce tableau comme symbole de l’exposition toute entière.«Cosmopolitisme et nationalisme (1880 – 1915)» est le symbole de la richesse et de l’ouverture vers de nouveaux styles internationaux, illustré par le rôle important de Mary Cassat dans le courant impressionniste. New York devient une ville cosmopolite et le Style Ash Can de John Sloan reflète le nouveau réalisme social de la vie urbaine. Le brillant «Intérieur à Venise», de John Singer Sargent, dénote l’attirance de la riche société américaine pour la haute société européenne, encore faudrait-il plutôt chercher l’esprit «américain» de cet artiste extrêmement prolifique, né en Italie et formé à l’école française, dans sa volonté incessante de parcourir le monde et refléter les facettes du genre humain.«Modernité et régionalisme (1915 – 1945)» met en contraste la prospérité des années «jazz» et le plongeon dans l’abîme.

Le grand krach ramène le monde artistique à des préoccupations hyperréalistes éloignées des abstractions de l’après-guerre. Outre les régionalistes comme Thomas Hart Benton, c’est, après la grandeur des espaces naturels, la vacuité des complexes industriels (Ralston Crawford) ou urbains (Edward Hopper) qui commence à fasciner les peintres.«Prospérité et désenchantement (1945 – 1980)» évoque le développement sans précédent de la société de consommation et les critiques qu’elle suscite. C’est l’essor de l’expressionnisme abstrait et de processus créatifs prenant le pas sur les thèmes et les styles. Individualisation des discours artistiques (Pollock, Koening, Rothko, Motherwell), Pop Art et minimalisme achèvent de rompre les supports entre sculpture et peinture (Warhol, Lichtenstein, Wesselmann).«Multiculturalisme et mondialisation (1980 – actualité)», retrace enfin le boom des vidéo installations, et le retour au figuralisme en parallèle avec la prospérité des années Reagan (Julian Schnabel, Eric Fischl, David Salle), sur fond de menaces de crises sociales et de SIDA (Basquiat, Félix González-Torres, Robert Gober). Pour les plus récentes créations, quelques salles monographiques sont consacrées à Edward Rusha, Richard Prince ou Ellsworth Kelly, et aux vidéos de Bill Viola, Kara Walker ou Matthew Barney.Une prodigieuse leçon d’histoire de l’art à ne pas manquer puisque, comme le souligne Thomas Krens, directeur de la Fondation Guggenheim, «à n’en pas douter, une manifestation de cette envergure et de cette portée ne pourra être répétée au cours de cette génération».

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