Art nouveau un certain regard

Dans sa confrontation avec les visions européennes, La Chaux-de-Fonds redéfinit l’expression de l’Art nouveau. Rencontre inédite avec un univers très singulier au Musée des Beaux-Arts de la ville.Le style Art nouveau de la cité industrieuse tranche ici avec celui de ses pairs. Aux côtés d’unecollection de créations emblématiques de Gallé, Grasset, Lalique ou Mucha, on y croise la gentiane à structure pyramidale, les piquants du chardon, les pommes de pin, l’écureuil. Les courbes du paysage jurassien elles-mêmes. Exactement là où le sapin à flanc de vallée est devenu naturellement ce que le lotus était à l’art égyptien et l’acanthe à la Grèce.Dans une scénographie résolument contemporaine, imaginée par le bureau d’architecture zurichois Holzer Kobler, le mouvement grisant des volutes, arabesques du liseron et silhouettes longilignes alors en pleine effervescence aux quatre coins de l’Europe, se dissout dans une expression régionale, dont l’appellation banale de «Style sapin» avoue une ambition qui pourrait paraître à tort modeste. A voir le patrimoine décoratif, mobilier et immobilier hors du commun qu’elle a développé entre 1885 et 1914, sa réussite n’en est que plus patente.Pourtant, ce n’est qu’au lendemain de la mort de Le Corbusier, enfant du pays et co-auteur du plaidoyer «Un mouvement d’art à La Chaux-de-Fonds», que l’on a pris conscience, à travers ses archives, de la véritable valeur de cet épisode artistique, rapidement oublié, fauché par l’indifférence.S’il fallait, dans sa genèse, n’y voir qu’un seul objet, ce serait bien cette impressionnante bibliothèque en acajou dessinée en 1904 par Charles l’Eplattenier, surmontée de...

Dans sa confrontation avec les visions européennes, La Chaux-de-Fonds redéfinit l’expression de l’Art nouveau. Rencontre inédite avec un univers très singulier au Musée des Beaux-Arts de la ville.
Le style Art nouveau de la cité industrieuse tranche ici avec celui de ses pairs. Aux côtés d’unecollection de créations emblématiques de Gallé, Grasset, Lalique ou Mucha, on y croise la gentiane à structure pyramidale, les piquants du chardon, les pommes de pin, l’écureuil. Les courbes du paysage jurassien elles-mêmes. Exactement là où le sapin à flanc de vallée est devenu naturellement ce que le lotus était à l’art égyptien et l’acanthe à la Grèce.Dans une scénographie résolument contemporaine, imaginée par le bureau d’architecture zurichois Holzer Kobler, le mouvement grisant des volutes, arabesques du liseron et silhouettes longilignes alors en pleine effervescence aux quatre coins de l’Europe, se dissout dans une expression régionale, dont l’appellation banale de «Style sapin» avoue une ambition qui pourrait paraître à tort modeste. A voir le patrimoine décoratif, mobilier et immobilier hors du commun qu’elle a développé entre 1885 et 1914, sa réussite n’en est que plus patente.Pourtant, ce n’est qu’au lendemain de la mort de Le Corbusier, enfant du pays et co-auteur du plaidoyer «Un mouvement d’art à La Chaux-de-Fonds», que l’on a pris conscience, à travers ses archives, de la véritable valeur de cet épisode artistique, rapidement oublié, fauché par l’indifférence.S’il fallait, dans sa genèse, n’y voir qu’un seul objet, ce serait bien cette impressionnante bibliothèque en acajou dessinée en 1904 par Charles l’Eplattenier, surmontée de quatre chouettes, annonçant le style particulier de la ville dans sa phase la plus pure. Une armoire dans une salle de dessin dans laquelle l’enseignant et artiste avait réuni les bibles de l’Art nouveau, des Figures de Mucha à La Plante d’Eugène Grasset, en passant par des monographies, portefeuilles et magazines majeurs de l’époque. «C’est L’Eplattenier, avouera plus tard Le Corbusier, qui m’a ouvert les portes de l’art», lit-on dans le substantiel ouvrage Une expérience Art nouveau. Le Style sapin à La Chaux-deFonds, sorti récemment.

A l’essence du territoire

Suite à un voyage en Europe, le jeune professeur définitivement conquis par la sobriété des arts décoratifs allemands et viennois, va non seulement réformer l’enseignement du dessin, mais aussi le programme des cours. Et si l’exposition prend comme référence le centenaire du Cours supérieur d’art et de décoration qu’il créera en octobre 1905 au sein de l’école d’art, c’est qu’il révèle l’acte capital de l’avènement du Style sapin. En y intégrant bientôt les Ateliers d’art réunis, inspirés des ateliers pratiques de Glascow, Munich ou Vienne, puis la Nouvelle Section ouverte quelques années plus tard, cette école fondée en 1870 aux fins de l’industrie horlogère, élargit ainsi ses horizons vers l’architecture, la sculpture et la peinture décorative.Une véritable recherche formelle se développe, portant le maître et ses élèves à l’étude de la flore et de la faune locale. On en vient à tomber sur un caractère très singulier, plus proche de la Sécession que de l’Art nouveau français, et comme tenaillé par le désir de saisir l’état naturel des choses aux racines mêmes du territoire.Ensemble, ils parviennent à des résultats remarquables dans la réalisation de nombreuses commandes publiques ou privées. C’est près d’une dizaine d’intérieurs qui seront décorés dans la ville entre 1906 et 1912. L’école n’hésite pas à exhiber sa production prolifique qui s’inscrit incontestablement dans le vaste mouvement de valorisation des arts décoratifs européens de l’époque. Sa présence à l’Exposition internationale de Milan de1906, relevée par un diplôme d’honneur pour sa centaine de boîtiers de montres, se fait le témoin de cette exceptionnelle puissance de travail.Parmi les nombreux événements sur l’Art nouveau qui se succèdent depuis plusieurs mois à La Chaux-de-Fonds, l’exposition se profile comme une image de proue de la scène artistique européenne du début du XXe siècle et de son expression régionaliste.

L’art à l’heure de la ville horlogère

L’approche du Style sapin engendre un univers très en phase avec le paysage et avec la destinée première de la ville. Car le courant ne fait qu’exprimer le dynamisme d’une ville qui, entre 1880 et 1910, devient une cité moderne sous l’impulsion de l’industrie horlogère de prestige. Cette dernière apparaît, du reste, comme le premier levier de cet élan esthétique, via les maîtres horlogers et commerçants parcourant capitales et foires universelles, qui ramèneront l’air du temps, ses modes et ses nouveautés, le vocabulaire d’un style d’avant-garde. Inscrite dans le grand débat d’idées européen de la deuxième moitié du XIXe siècle sur la création et l’industrie, l’école d’art fondée à La Chaux-de-Fonds par les patrons graveurs sera dotée, dès 1886, d’un Musée d’art, comme ailleurs dans les grandes métropoles. Inspiré par celui, fameux, de South Kensington, à Londres, le premier au monde du genre (aujourd’hui, Le Victoria & Albert Museum), il contient deux précieux fonds qui révèlent des pièces de grande valeur. En conjuguant tous les facteurs, pédagogiques et socio-économiques, il n’est donc pas étonnant que l’Art nouveau ait trouvé ici le terrain le plus fertile en Suisse.Un terrain qui appelle à la découverte hors du musée. Construite pour produire, avec son plan en damier, hygiéniste, déployant une typologie architecturale tout aussi pragmatique, la ville perchée à 1000 mètres recèle pourtant d’incontournables richesses. La Villa Fallet, bâtie en 1906 sur les plans de Charles-Édouard Jeanneret, le futur Le Corbusier, et René Chapallaz, est une oeuvre majeure du Style sapin. Non seulement par son haut degré d’abstraction ornementale, ses corbeaux en pierre, son grafitte coloré en façade, mais également comme résultat d’une pratique architecturale novatrice. L’Art nouveau qui fit d’abord son entrée par l’usage d’éléments copiés ou importés du Tessin ou d’Italie, stucs, vitraux, ferronneries, décors peints de cages d’escalier, trouvera dès 1903 son originalité propre dans l’entourage direct de l’Eplattenier et de ses élèves. Tels la décoration totalement dédiée à la nature de la chapelle privée de CernierFontainemelon, la salle de musique de la demeure de Charles R.Spillmann, qui en est la version profane, ou encore l’imposant crématoire de la ville des architectes Robert Belli et Henri Rober. Quant à la maison de L’Eplattenier, construite en 1902, elle est assurément, malgré ses références au Heimatstil, la plus audacieuse pour l’époque. Une œuvre d’art total, aussi singulière soit-elle, qui symbolise bien les rapprochements possibles avec un Gaudi un Horta. Au-dedans comme au-dehors, le Musée des beaux-arts avec sa précieuse collection de documents et d’objets, pour la première fois présentés au public, et ses invites à la promenade architecturale, vient témoigner avec justesse de l’intrépidité d’une époque bouillonnante, acharnée à combattre les références au classicisme.

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