Au Français

Cet automne, entre le jardin du Palais-Royal et cet autre jardin que sont les colonnes de Buren, il a poussé, lentement, un long chalet. On attend pour son toit l’épaisse couche de neige tel un glaçage; on attend d’y trouver sa place au chaud; on attend d’y attendre les trois coups… Ce long chalet est un théâtre: le «Théâtre Éphémère» de la Comédie-Française, dont la célèbre salle historique sera bientôt, elle, pleine des bruits et des poussières de longs travaux. Ceux-ci n’inquiètent pas le spectateur, l’abonné, mais au contraire ils l’intriguent, ils l’excitent, comme pour des enfants à qui l’on dit que ce jour on fera classe dans le jardin, parce qu’il fait beau, parce que les vacances approchent et que le sérieux se délie. On aime toujours tirer sa couverture dans un lieu inhabituel. La Comédie-Française elle aussi fait classe, elle instruit, elle est gaie et classique. (On ne comprendra bien mon rapprochement que si l’on se figure comme moi la classe comme un lieu des plus agréables, le lieu de l’enfance et de la curiosité alliées, lieu de naissance du goût pour le passé, pour les auteurs qu’on ignore encore, et pour l’Intellect). Nulle part mieux qu’à la Comédie-Française on sent le théâtre; on comprend ce «mal rouge et or» dont parlait Jean Cocteau. J’ai vu Bérénice le 26 septembre et Andromaque le 19 octobre (deux mises en scène de Muriel Mayette, charmante administratrice générale); j’ai pleuré comme on pleure au théâtre, en pressentant les pleurs, en les...

Cet automne, entre le jardin du Palais-Royal et cet autre jardin que sont les colonnes de Buren, il a poussé, lentement, un long chalet. On attend pour son toit l’épaisse couche de neige tel un glaçage; on attend d’y trouver sa place au chaud; on attend d’y attendre les trois coups…

Ce long chalet est un théâtre: le «Théâtre Éphémère» de la Comédie-Française, dont la célèbre salle historique sera bientôt, elle, pleine des bruits et des poussières de longs travaux. Ceux-ci n’inquiètent pas le spectateur, l’abonné, mais au contraire ils l’intriguent, ils l’excitent, comme pour des enfants à qui l’on dit que ce jour on fera classe dans le jardin, parce qu’il fait beau, parce que les vacances approchent et que le sérieux se délie. On aime toujours tirer sa couverture dans un lieu inhabituel. La Comédie-Française elle aussi fait classe, elle instruit, elle est gaie et classique. (On ne comprendra bien mon rapprochement que si l’on se figure comme moi la classe comme un lieu des plus agréables, le lieu de l’enfance et de la curiosité alliées, lieu de naissance du goût pour le passé, pour les auteurs qu’on ignore encore, et pour l’Intellect). Nulle part mieux qu’à la Comédie-Française on sent le théâtre; on comprend ce «mal rouge et or» dont parlait Jean Cocteau.

J’ai vu Bérénice le 26 septembre et Andromaque le 19 octobre (deux mises en scène de Muriel Mayette, charmante administratrice générale); j’ai pleuré comme on pleure au théâtre, en pressentant les pleurs, en les pressant, les accueillant, les recueillant. Il faut le rappeler d’emblée: Racine est un des deux ou trois sommets de la langue française, doré comme un pyramidion, aiguillon subtil; une perfection quasi-monstrueuse, car allant de soi, car irrésistible; ce temple au Timbre et aux Larmes, un record qu’on ne battra JAMAIS, etc. etc. etc. Quel plaisir de voir les classiques dans leur intégrité. Décor pur, colonnes et voiles. L’œuvre est servie. Au lieu de: Moi ! moi ! moi ! MOI ! moi-metteur-en-scène ! comme on voit trop souvent sur les planches.

J’ai vu Le Jeu de l’amour et du hasard le 23 octobre (mise en scène de Galin Stoev): réplique à ceux qui me diront vieillot: cette production met en parfait équilibre le respect et l’actualité. Marivaux n’a jamais été aussi clair, aussi jeune, aussi vif, ses méandres et ses délices, ses coquineries dans ses réflexions sociales, jamais aussi Marivaux ! La mise en scène est des plus contemporaines mais elle est juste. L’œuvre est servie, c’est tout, c’est beaucoup.

J’ai vu L’Avare le 6 octobre (mise en scène de Catherine Hiegel), bonheur ! bonheur ! On ne pouvait, entre autres, qu’admirer le décor qui trahit une profonde compréhension du texte et du Grand Siècle: il me faut aller jusqu’à parler de stéréotomie (science admirable qui traite de la coupe des pierres, en vue, précisément, de faire oublier toute coupe – voir par exemple le déambulatoire de l’église Saint-Roch, à Paris), stéréotomie donc, merveilleusement évoquée dans le vestibule froid où se déroule l’intrigue. Des fenêtres à barreaux et un piédestal sans statue, c’est l’avarice. Les comédiens-français tiennent leur rôle comme on voudrait, savoir précisément et pleinement. L’œuvre est servie. On rit et réfléchit, on rit, on rit de rire, on s’instruit et on rit, on est heureux de rire avec Molière, cher, mon cher Molière: heureux de rire par le haut.

Au fait, pourquoi «Au Français» ? le plus savoureux des snobismes parisiens («Paul ? Non, il est allé au Français.», «Je t’attends devant le Français, dépêche-toi…», «Qu’y a-t-il au Français en ce moment?»). C’est une abréviation pour «Théâtre Français», exact et vieux synonyme de «Comédie Française», car au XVIIe siècle «comédie» est un terme général, englobant comédies et tragédies.

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