Brancusi – Serra

Chez Beyeler, depuis le 22 mai, les sculptures massives de l’Américain Richard Serra sont confrontées aux formes épurées à l’extrême de Constantin Brancusi. Grâce à cette double rétrospective, soignée et exhaustive, le visiteur prend la mesure de deux artistes exceptionnels, résumant à eux seuls une bonne part de la sculpture du XXe siècle. Constantin Brancusi est arrivé en 1904 à Paris, venu à pied de sa Roumanie natale. Après deux années passées à l’École des Beaux-Arts, il fait un court séjour dans l’atelier de Rodin, où le sculpteur lui a demandé de devenir praticien. En effet, Rodin procède par modelage, une technique largement privilégiée depuis la Renaissance par les sculpteurs; ils sont donc assistés par des mouleurs qui réalisent les plâtres originaux, des fondeurs qui coulent leurs bronzes, des metteurs au point chargés de reporter précisément les cotes du plâtre sur le marbre et enfin des praticiens qui réalisent le marbre. Brancusi, qui nourrit une vive admiration pour Auguste Rodin, ne restera pourtant qu’un mois dans l’atelier du maître, sentant qu’il doit s’éloigner pour définir une sculpture plus personnelle. Sa culture et son goût le poussent d’ailleurs vers la taille directe, c’est-à-dire la technique par laquelle l’artiste sort progressivement la sculpture d’un bloc de pierre ou d’un morceau de bois. Cette différence de technique est loin d’être anodine dans la rupture entre la sculpture de Brancusi et celle de Rodin. Le sculpteur français est un créateur; par sa manière expressive et tourmentée, il a créé un véritable bouleversement dans un XIXe...

Chez Beyeler, depuis le 22 mai, les sculptures massives de l’Américain Richard Serra sont confrontées aux formes épurées à l’extrême de Constantin Brancusi. Grâce à cette double rétrospective, soignée et exhaustive, le visiteur prend la mesure de deux artistes exceptionnels, résumant à eux seuls une bonne part de la sculpture du XXe siècle.

Constantin Brancusi est arrivé en 1904 à Paris, venu à pied de sa Roumanie natale. Après deux années passées à l’École des Beaux-Arts, il fait un court séjour dans l’atelier de Rodin, où le sculpteur lui a demandé de devenir praticien. En effet, Rodin procède par modelage, une technique largement privilégiée depuis la Renaissance par les sculpteurs; ils sont donc assistés par des mouleurs qui réalisent les plâtres originaux, des fondeurs qui coulent leurs bronzes, des metteurs au point chargés de reporter précisément les cotes du plâtre sur le marbre et enfin des praticiens qui réalisent le marbre.

Brancusi, qui nourrit une vive admiration pour Auguste Rodin, ne restera pourtant qu’un mois dans l’atelier du maître, sentant qu’il doit s’éloigner pour définir une sculpture plus personnelle. Sa culture et son goût le poussent d’ailleurs vers la taille directe, c’est-à-dire la technique par laquelle l’artiste sort progressivement la sculpture d’un bloc de pierre ou d’un morceau de bois.

Cette différence de technique est loin d’être anodine dans la rupture entre la sculpture de Brancusi et celle de Rodin. Le sculpteur français est un créateur; par sa manière expressive et tourmentée, il a créé un véritable bouleversement dans un XIXe siècle submergé par la statuaire et les productions héroïco-érotiques à la Pradier. S’il est arrivé à cet ancien praticien de regretter que les contraintes économiques ne permettent plus la création en taille directe, il n’en reste pas moins que la technique du modelage est particulièrement adaptée à son art. 

Brancusi, quant à lui, cherche à révéler une vérité, une idée, déjà présente dans la matière. Plus humble d’une certaine manière, il est également plus abstrait et ce faisant, il ouvre la voie à tout un pan de la modernité du XXe siècle.

Il se dirige rapidement vers une recherche épurée, retravaillant inlassablement quelques thèmes définis pour l’essentiel dans les vingt premières années de sa carrière. Cette recherche de l’infime différence va l’amener progressivement à s’intéresser à la manière dont une sculpture habite l’espace autour d’elle et communique avec ce qui l’entoure. Il crée ce qu’il appelle des groupes mobiles, des œuvres constituées de plusieurs sculptures dont la configuration spatiale est, comme le nom l’indique, variable. L’un d’entre eux est présenté chez Beyeler, reconstitué à partir des sculptures d’origine.

Le sculpteur a également l’habitude de travailler ses socles avec presque autant de soin que ses sculptures; il lui est même arrivé de les exposer seuls, à New York en 1926. Un socle n’est jamais attribué définitivement à une sculpture, qu’il contribue à définir. Maïastra, créé en 1910-1912 et qui préfigure le thème des Oiseaux dans l’espace est d’ailleurs un empilement de sculptures et de socles, tout comme les célèbres Colonnes sans fin peuvent être vues comme un empilement de socles.

Au fil du temps, la question des relations entre les pièces devient capitale pour Constantin Brancusi, qui fait de son atelier une véritable œuvre en soi, sans cesse mouvante et dont il fixe les métamorphoses par le biais de la photographie, à laquelle son ami Man Ray l’a initié. Une vingtaine de ces photos originales sont présentées dans l’exposition et permettront au visiteur de se faire une idée plus précise de la façon dont le sculpteur appréhendait son oeuvre et son art.

Richard Serra, né en 1939, est un homme qui impressionne, autant par sa sculpture que par sa personne. Ce n’est pas un hasard si on le confronte ici à Brancusi, car outre l’importance qu’ils ont dans l’histoire de leur art, les deux hommes ont un autre point commun. En 1965, Serra fait un long séjour à Paris; il y découvre, fasciné, l’atelier de Brancusi, conservé en l’état selon les voeux du sculpteur qui l’a légué à l’État à cette condition expresse. C’est aussi à Paris que vit Alberto Giacometti que le jeune homme va observer à la Coupole… C’est ici que va se décider sa vocation de sculpteur, même si Serra n’abandonnera jamais tout-à-fait le dessin.

Si Brancusi a une grande importance pour Serra, ce n’est bien sûr pas la seule influence; le Minimalisme et le Land Art, par exemple, sont également des sources d’influence, voire de confluence mais là où d’autres penseraient installation ou performance, l’Américain réfléchit, lui, comme un sculpteur. La métaphysique teintée de théosophie de Brancusi lui est vraisemblablement largement étrangère, tout comme son goût pour le polissage où il voit une impasse presque fétichiste. Les deux sculpteurs se retrouvent par contre dans leur conception de la manière dont l’oeuvre modifie et structure à la fois l’espace et les perceptions du regardeur, cette dernière idée étant toutefois implicite seulement chez Brancusi et plutôt issue, explicitement, des courants artistiques des années soixante.

S’y ajoute la manière dont l’oeuvre elle-même se définit, y compris «ontologiquement», par rapport à l’espace: les sculptures de Brancusi, fines et marquées par la verticalité, s’y élançaient en légèreté, les oeuvres de Serra s’y mesurent en force, utilisant paradoxalement leur poids démesuré pour lutter contre l’effondrement et le chaos. Depuis ses premières sculptures, Richard Serra exploite la pesanteur pour créer le volume de ses pièces. Les Belts illustrent le début de ce processus. One Ton Prop (House of Cards), daté de 1969, l’enrichit en supprimant le caractère plus ou moins aléatoire de la forme obtenue.

Serra calcule très précisément la forme finale de ses pièces pour leur conférer un maximum de stabilité; aucune de ses pièces n’est fixée au sol autrement que par la simple gravité. L’artiste, qui part parfois d’une liste de mots détaillant ce qu’il compte faire subir à la plaque de métal, doit donc composer, au sens pictural du terme, avec les lois de la physique pour élaborer son oeuvre.

Les oeuvres de Brancusi et celles de Serra se rejoignent ainsi par des voies différentes dans une stabilité miraculeuse, contre-intuitive, générant chez le spectateur des sensations d’une puissance que peu d’artistes peuvent se targuer d’avoir obtenue avec leur travail.

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