BRILLANT COMME UNE LARME
Jean Cocteau continue d’être taxé de frivolité. Pourtant, et cette seule attirance devrait, me semble-t-il, nous mettre en garde, Marguerite Yourcenar admirait l’auteur des Enfants terribles et de Léone. Brillant, Cocteau ? Certes, mais « brillant comme une larme ». C’est lui-même qui nous le dit dans l’un de ses plus beaux poèmes (tout est poésie chez lui), Le Mystère de Jean l’Oiseleur, une suite de trente-et-un autoportraits annotés – et colorés pour quatorze d’entre eux – parue en 1924. C’est dans une chambre d’hôtel, à Villefranche-sur-Mer, que Cocteau composa cette variation sur un visage douloureux : privé de Raymond Radiguet, le poète convoque Uccello, Mozart, Apollinaire ou Picasso, l’ange ou l’étoile ; il calfeutre l’abîme en le bourrant d’élégance et de lucidité, en vain ; il se passe aux rayons X (sa figure est dite « intéressante » ? « L’amour ne la regarde même pas. ») ; il plante et défait le décor : voici une vue sur le Forum, page six, et ce constat page deux : « J’habite la mort. Elle cherche les autres dans leurs maisons. Elle me prendra dans la sienne. ». On frissonne tel un fiévreux en admirant, page quinze, cette rose, ces deux crapauds, ce gros cœur. Cocteau avait promis une œuvre manuscrite à l’éditeur Édouard Champion. L’ensemble fut reproduit sans aucune retouche. Rarement, dans l’histoire de la littérature, il y eut si peu de déperdition entre la plume et la presse, si peu de jeu entre l’invention et le don. Quoi de plus naturel, alors, que de voir cette œuvre redonnée au public par les Éditions des Saint Pères qui, depuis près de quatre ans, publient certains de nos plus beaux manuscrits (Hugo, Flaubert, Lewis Carroll…) ? Deux volumes bleus sous coffret, le résultat est admirable. D’une simplicité qui sied au véritable Cocteau, impeccablement imprimé et non moins élégamment introduit par la petite-nièce du poète, Dominique Marny, ce précieux livre – bilingue et pourvu de l’appareil critique attendu – est une réédition sur laquelle, comme les fées sur les berceaux, comme la lune sur les amants, semble s’être penché l’auteur lui-même.
BENOÎT DAUVERGNE