Caixa Forum Madrid art en lévitation

Herzog & de Meuron signent dans la capitale espagnole un nouveau joyau architectural au service de la fondation culturelle de La Caixa. Les grandes pinacothèques madrilènes n’échappent pas à l’actuelle loi du genre, celle de l’ampliation.Ces lieux que vous connaissiez peut-être il y a quelques années ne sont aujourd’hui plus tout à fait les mêmes: le «Thyssen» s’enorgueillit depuis trois ans d’une nouvelle aile qui a augmenté d’un tiers sa surface; le «Reina Sofía» arbore depuis l’année dernière une surprenante extension de la main de Jean Nouvel, grand triangle de verre chapeauté d’une puissante aile métallique vernissée carmin; le «Prado» lui-même a inauguré il y a quelques mois son agrandissement (par Rafael Moneo), laborieux résultat de la réhabilitation d’un grand cloître adjacent et de vastes aménagements en sous-sol. Ces rondeurs muséales sont-elles le reflet de la prospérité économique du pays ? Ou l’aboutissement logique d’une convalescence culturelle postfranquiste maintenant trentenaire ? Ou l’effet d’une tendance un peu maladive – et générale – au gigantisme ? La visite s’impose en tout cas, sans compter celle des grandes fondations bancaires qui, plutôt que l’embonpoint, ont choisi la voie non moins spectaculaire de la reproduction. Avec «La Casa Encendida», la Fondation Caja Madrid possède en effet depuis peu dans la capitale un second et magnifique centre culturel. Mais c’est sans doute la fondation catalane de La Caixa qui, après son «Caixa Forum» barcelonais, finira par vous couper le souffle, avec l’achèvement d’un nouvel espace ahurissant, de la main des architectes Herzog & de...

Herzog & de Meuron signent dans la capitale espagnole un nouveau joyau architectural au service de la fondation culturelle de La Caixa.

Les grandes pinacothèques madrilènes n’échappent pas à l’actuelle loi du genre, celle de l’ampliation.Ces lieux que vous connaissiez peut-être il y a quelques années ne sont aujourd’hui plus tout à fait les mêmes: le «Thyssen» s’enorgueillit depuis trois ans d’une nouvelle aile qui a augmenté d’un tiers sa surface; le «Reina Sofía» arbore depuis l’année dernière une surprenante extension de la main de Jean Nouvel, grand triangle de verre chapeauté d’une puissante aile métallique vernissée carmin; le «Prado» lui-même a inauguré il y a quelques mois son agrandissement (par Rafael Moneo), laborieux résultat de la réhabilitation d’un grand cloître adjacent et de vastes aménagements en sous-sol. Ces rondeurs muséales sont-elles le reflet de la prospérité économique du pays ? Ou l’aboutissement logique d’une convalescence culturelle postfranquiste maintenant trentenaire ? Ou l’effet d’une tendance un peu maladive – et générale – au gigantisme ? La visite s’impose en tout cas, sans compter celle des grandes fondations bancaires qui, plutôt que l’embonpoint, ont choisi la voie non moins spectaculaire de la reproduction. Avec «La Casa Encendida», la Fondation Caja Madrid possède en effet depuis peu dans la capitale un second et magnifique centre culturel. Mais c’est sans doute la fondation catalane de La Caixa qui, après son «Caixa Forum» barcelonais, finira par vous couper le souffle, avec l’achèvement d’un nouvel espace ahurissant, de la main des architectes Herzog & de Meuron, inauguré par les Rois d’Espagne en février dernier, en plein cœur du «triangle d’or» Prado-Thyssen-Reina Sofía.Le centre culturel, à l’instar de son frère barcelonais, est voué à abriter des activités classiques: expositions d’art ancien, moderne et contemporain, festivals de musique et de poésie, installations multimédia, débats d’actualité, ateliers éducatifs et familiers, etc. Plus que jamais, les avis restent partagés en ce qui concerne l’esthétique de cette réalisation un peu surréaliste, mais on ne peut que saluer l’audace de l’entreprise et son humour architectural. L’idée de base: la réutilisation d’une petite usine électrique en briques fin XIXe, exemple typique de design industriel de l’époque. En rabaissant le niveau du monticule sur lequel elle était assise, la structure a été littéralement mise en «lévitation», libérant vers le bas une esplanade d’accès par en dessous ainsi que deux niveaux en sous-sol (on pense à M. C. Escher et ses constructions impossibles). Le bâtiment a été ensuite étiré vers le haut, coiffé d’un vaste chapeau cubique en métal oxydé, épousant les formes du toit en zigzag, comme deux pièces d’un jeu d’enfant que l’on aurait assemblées. Le sommet orangé ressemble à une mimolette affinée que ce même enfant aurait été libre de taillader, en coupant ça et là des petites tranches en biais ou verticalement. Les arêtes, criblées de petits trous à intervalles irréguliers, semblent s’effriter comme rongées par les souris…En venant de la rue, on peut circuler librement sous l’édifice, comme dans une vaste grotte dont les parois métalliques et chaotiques suggèrent que l’ancienne usine aurait été arrachée de ses fondations par le caprice de quelque dieu en colère.

Dans l’obscurité du fond de la caverne, on devine quelques bassins glougloutant, allongés en douces cascades, d’où sourd une luminosité verdâtre et fantomatique. À côté, en extérieur et sur la place aménagée en face du centre culturel, se dresse un immense et luxurieux jardin vertical, appliqué à toute la façade aveugle de l’immeuble adjacent qui accentue plus encore la force brute et tellurique de l’ensemble. Ce mur végétal est l’œuvre du botaniste français Patrick Blanc; après d’autres réalisations similaires à Paris, New York, Bangkok et New Delhi, il s’agit de sa première intervention en Espagne, et de la plus grande réalisée sur une surface sans ouvertures. Sur plus de 460 m2, 15.000 plantes de 250 espèces tissent un prodigieux tapis végétal.On accède à l’intérieur du Caixa Forum par «en-dessous», comme dans un vaisseau spatial, par un escalier bardé d’aluminium qui descend du hall comme d’une vaste trappe. Là-haut, de nombreux éléments tendent à rappeler l’origine industrielle: sol métallique, plafond style «garage» orné d’un entrelacs de grands néons, qui contrastent avec des poufs indigo et le somptueux mobilier des guichets en bois ciré. Pour accéder aux salles des étages du haut, comme aux différents sous-sols, un immense escalier blanc et brillant en colimaçon irrégulier, au glamour très new-yorkais, traverse les sept niveaux de la construction à partir d’une petite pièce d’eau. Tout en bas, une zone pour les débats: deux salles de cours et un grand auditorium de 300 places, reliés par un foyer en balcon sur deuxétages en bois clair. Les murs y sont recouverts de panneaux en résille métallique oxydée, ondulante et irrégulière, qui prolongent l’allégorie de la grotte. Plus haut, les deux grandes salles principales superposées portent à 8.000 m2 la surface d’exposition. Passé l’étage réservé à l’administration, le grand escalier se termine par une série d’ouvertures recouvertes de moucharabiehs postmodernes, grandes plaques de dentelle métallique qui donnent de l’extérieur l’aspect «grignoté» du sommet.Le dernier étage est réservé à la cafétéria, où d’immenses baies vitrées ont reçu le même filtre métallique, au travers duquel on perçoit les frondaisons du Paseo del Prado et du jardin botanique. L’allusion fromagère de l’extérieur semble se retrouver ici puisque pendent au plafond des dizaines de volumineuses lampes blanches ovoïdes, telles d’immenses gouttes de lait s’écoulant d’un gargantuesque et improbable fromage en cours de présure. Les meubles et le sol en bois sombre pourrait presque être le baquet, prêt à la récolte du petit lait…Architecture-spectacle ? Sans doute un peu, mais on savoure pourtant sans retenue les solutions structurelles, l’élégance des textures, les subtilités chromatiques et l’intelligence des volumes. Jacques Herzog n’a-t-il pas dit «nous préférons l’art à l’architecture, et l’opinion des artistes à celles des architectes» ? Après le musée Küppersmühle de Duisbourg, l’école de danse Laban ou la Tate Moderne de Londres, en voilà, de nouveau,la preuve.


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