CE COUPLE AUX YEUX FIXES

Vérone: dans le passage qui mène à la maison de Juliette – qu’importe le balcon, voilà le plus beau– on voit mille et mille graffitis, cœurs et cœurs, des initiales et des promesses faites au marqueur – c’est une surcharge et presque une décharge, les traces de milliers de touristes passés là, amoureux. Comme à Vérone ce passage, à Paris, il y a la passerelle des Arts. Là (c’est inquiétant pour qui se soucie du patrimoine – mais c’est irrésistible), on voit des cadenas qui couvrent de plus en plus le fer tressé des bords du pont, fermés pour toujours – car on jette la clef par-dessus bord – par d’autres touristes ou bien les mêmes. Que l’idole étouffe sous les offrandes ! Voyez cette tenture portée par sept arches de métal noir, dégradée, faite de volontés de souvenir. Mais encore, faisons un rêve, mettons qu’il se trouve là, au centre de l’enjambement de planches qui mène du Louvre à l’Institut de France et de l’Institut de France au Louvre, un orifice, un oculus. Approchez. Voyez qu’il y a dans ce trou sans balustrade un escalier en colimaçon. Descendons: au ras des flots, ici, le soupçonniez-vous ? est un ponton. Soit qu’il soit sur une goélette, ou gondole ou felouque, caravelle même si vous le souhaitez, le nocher, avec ses boucles d’enfant et ses grands pieds d’adolescent, attend: c’est Amour. «Nous partons quand vous voulez, vous dira-t-il.» Vous partirez sous un ciel mi-gris mi-bleu. Vous partirez pour Évian, car la Seine...

Vérone: dans le passage qui mène à la maison de Juliette – qu’importe le balcon, voilà le plus beau– on voit mille et mille graffitis, cœurs et cœurs, des initiales et des promesses faites au marqueur – c’est une surcharge et presque une décharge, les traces de milliers de touristes passés là, amoureux. Comme à Vérone ce passage, à Paris, il y a la passerelle des Arts. Là (c’est inquiétant pour qui se soucie du patrimoine – mais c’est irrésistible), on voit des cadenas qui couvrent de plus en plus le fer tressé des bords du pont, fermés pour toujours – car on jette la clef par-dessus bord – par d’autres touristes ou bien les mêmes. Que l’idole étouffe sous les offrandes ! Voyez cette tenture portée par sept arches de métal noir, dégradée, faite de volontés de souvenir. Mais encore, faisons un rêve, mettons qu’il se trouve là, au centre de l’enjambement de planches qui mène du Louvre à l’Institut de France et de l’Institut de France au Louvre, un orifice, un oculus. Approchez. Voyez qu’il y a dans ce trou sans balustrade un escalier en colimaçon. Descendons: au ras des flots, ici, le soupçonniez-vous ? est un ponton.

Soit qu’il soit sur une goélette, ou gondole ou felouque, caravelle même si vous le souhaitez, le nocher, avec ses boucles d’enfant et ses grands pieds d’adolescent, attend: c’est Amour. «Nous partons quand vous voulez, vous dira-t-il.» Vous partirez sous un ciel mi-gris mi-bleu. Vous partirez pour Évian, car la Seine y mène si l’on est amoureux (où ne mènerait pas un fleuve qui nous verrait amoureux ? croyez m’en et attendez le même miracle du Nil).

Votre bâtiment d’amour – «navire» est pour un bâtiment de commerce et «vaisseau» pour un bâtiment de guerre, choisissez… – mouillera devant le Palais Lumière. Vous débarquerez les pommettes roses. – Qu’est-ce à dire monsieur l’auteur ! – Passez outre. Allez guilleret visiter la très belle exposition L’Art d’aimer. Vous prendrez des notes, bien sûr:  Face à face avec Adam et Ève de Pierre & Gilles. Ils sont encore nus. C’est donc une question de minutes, vont-ils ou viennent-ils de goûter le fruit de l’arbre de la connaissance ? Dans quelques secondes peut-être fleurira la pudeur. L’Éden est d’ailleurs ici des plus exotiques, avec de grosses feuilles et de grosses fleurs. Ce sont nos aïeux, dont nous sommes fiers: voyez leurs linéaments parfaits ! faits pour ou par des sauts de liane en liane. L’humanité, je le crois volontiers devant cette œuvre, est née dans la jungle. Vous Pierre, vous Gilles, vous êtes géniaux.

Devant un fusain de Picasso, Minotaure et nu. La bête est aussi drôle que Jupiter changé en taureau dans maints tableaux anciens, à la langue près, qu’ici on ne voit pas (voir celle du tableau de Simon Vouet du Musée Thyssen-Bornemisza). Et ce nu qu’on voit, qu’est-ce d’autre qu’une lame ? Exercice: dire et redire: Picasso, le peintre du XXe siècle. Toute exposition, tout musée où je trouve une œuvre de lui, fût-ce un fragment de poterie, part avec + 1 (oserais-je ? + 5 pour une œuvre de Rubens; si j’étais méchant, j’écrirais que toute exposition, tout musée où je trouve une œuvre de Monet part avec – 1; quoi donc ? c’est une pénalité – pourquoi ? – pour popularité).

Revenons au Palais. Voyez la Mort d’Hyacinthe de Jean Broc, trésor du Musée Sainte-Croix de Poitiers et, pour l’historien de l’art, le numéro le plus important de cette exposition. Voilà un peintre peu connu, élève de David et chef de file des Barbus dans son atelier: ceux-ci souhaitaient de retrouver la pureté de l’art grec, mais allant plus loin que leur maître, c’est-à-dire en sacrifiant le modelé. Un je-ne-sais-quoi ici de Magritte, oui ? Le vent, ou Zéphyr jaloux, détourna le palet lancé par Apollon, qui frappa Hyacinthe. Et la mort de frapper l’amant qui meurt et l’amant qui vit ! Lecteur, voyez-vous l’amour sans voir la mort ? Rien ne surpasse, rien ne se hisse auprès de ce couple aux yeux fixes. […] – Rentrez à Paris, mais passez par Genève, allez, adieu !

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed