COLLECTION MINKOFF

Artpassions inaugure une série d’entretiens par la visite d’un couple d’artistes qui s’est laissé envahir, au propre comme au figuré, par la collection qu’ils ont constituée au gré de leur existence bien peu monotone dans laquelle la curiosité esthétique tient la première place.Gérald Minkoff et Muriel Olesen habitent à Genève, dans un bel appartement bourgeois, où leur riche collection occupe toutes les pièces, au détriment de la vie ordinaire. Pas de vitrine, pas de socle, pas de spot. Laissées à elles-mêmes, dans leur authenticité brute, les œuvres, statues, statuettes, masques, se bousculent, ou plutôt se serrent les unes contre les autres, en foule muette, pétrifiée. Le visiteur intimidé se sent d’abord comme un intrus. Il faut que les maîtres des lieux fassent les présentations pour que le charme opère, la surprise se transformant en fascination.La collection Minkoff a surtout pour thème l’Afrique noire, sans préférence marquée pour une culture particulière. Cette collection encyclopédique est connue des ethnologues et les musées y recourent souvent pour des emprunts. Les Minkoff sont aussi sollicités en qualité de spécialistes, qui ont parcouru pas moins de treize pays du continent, recueillant la tradition orale, accumulant notes et photographies.En dehors de cette activité de collectionneurs érudits, Gérald Minkoff, scientifique de formation et Muriel Olesen, qui a étudié les beaux-arts se sont fait connaître comme artistes plasticiens, exposant leurs œuvres dans des musées et autres institutions publiques du monde entier. La télévision suisse leur a d’ailleurs consacré un reportage en 2005.Gérald Minkoff parle volontiers de sa collection....

Artpassions inaugure une série d’entretiens par la visite d’un couple d’artistes qui s’est laissé envahir, au propre comme au figuré, par la collection qu’ils ont constituée au gré de leur existence bien peu monotone dans laquelle la curiosité esthétique tient la première place.
Gérald Minkoff et Muriel Olesen habitent à Genève, dans un bel appartement bourgeois, où leur riche collection occupe toutes les pièces, au détriment de la vie ordinaire. Pas de vitrine, pas de socle, pas de spot. Laissées à elles-mêmes, dans leur authenticité brute, les œuvres, statues, statuettes, masques, se bousculent, ou plutôt se serrent les unes contre les autres, en foule muette, pétrifiée. Le visiteur intimidé se sent d’abord comme un intrus. Il faut que les maîtres des lieux fassent les présentations pour que le charme opère, la surprise se transformant en fascination.La collection Minkoff a surtout pour thème l’Afrique noire, sans préférence marquée pour une culture particulière. Cette collection encyclopédique est connue des ethnologues et les musées y recourent souvent pour des emprunts. Les Minkoff sont aussi sollicités en qualité de spécialistes, qui ont parcouru pas moins de treize pays du continent, recueillant la tradition orale, accumulant notes et photographies.En dehors de cette activité de collectionneurs érudits, Gérald Minkoff, scientifique de formation et Muriel Olesen, qui a étudié les beaux-arts se sont fait connaître comme artistes plasticiens, exposant leurs œuvres dans des musées et autres institutions publiques du monde entier. La télévision suisse leur a d’ailleurs consacré un reportage en 2005.Gérald Minkoff parle volontiers de sa collection. On l’écouterait pendant des heures, car il a l’étoffe d’un conteur. D’un griot, devrait-on dire! Et on sent qu’il éprouve respect et sympathie, sans à priori d’aucune sorte, pour les représentants des cultures africaines, longtemps tenues pour primitives. D’un long entretien, nous avons choisi les passages les plus révélateurs.

Vous êtes collectionneur avec Muriel, votre épouse, depuis longtemps. Vous rappelez-vous un point de départ de cette passion, car je sais que c’en est une pour vous?Gérald Minkoff:Ce germe, ou plutôt cette étincelle m’est advenue très tôt, il y a plus d’un demisiècle puisque j’avais dix ans en 1947. Mes parents avaient emménagé trois ans auparavant au premier étage du numéro 7 de l’avenue Bertrand. J’avais un copain de jeu dont les parents habitaient au-dessous. Un jour, il me fît entrer chez lui et je fus immédiatement ébloui par un objet suspendu au mur que je pris pour un masque, recouvert de feuilles de cuivre et de laiton, irradiant comme un phénix sous les feux du lampadaire. Devant mon étonnement, son père, Georges Gras, qui avait été ingénieur des mines en Afrique équatoriale, m’expliqua qu’il ne s’agissait pas d’un masque, mais d’un reliquaire funéraire des Bakota du Gabon. Et il me fit ce jour-là cadeau d’une dizaine de petits objets, peignes tchokwe, vannerie tutsi quifurent l’embryon non seulement d’une collection, mais d’une désormais intarissable soif de connaissance. Je lui rends hommage pour avoir fait de moi, puis de ma femme par voie de conséquence, une sorte d’OGM (nos initiales!) par passion pour ces cultures.Il y a quelques années, je revis son fils JeanPierre, lui rappelai ces souvenirs essentiels pour moi et je pus quelques jours plus tard acquérir de lui ce fameux reliquaire Kota, fondateur mythique de notre collection. Georges Gras en avait rapporté quatre à son retour d’Afrique en 1928 et, dès l’année suivante, je crois, il fit don de deux d’entre eux au Musée d’Ethnographie de Genève, dont je me félicite d’ailleurs qu’il ait un nouveau directeur, excellent ami de longue date, Jacques Hainard. Et cette année 2006 sera d’autant plus faste qu’on assistera aussi à la très attendue inauguration du Musée du Quai Branly à Paris, le grand projet de Jacques Chirac, voulu comme ouverture permanente sur les cultures du monde.

Quelles sont les sources de vos connaissances?D’abord, je viens de le dire, il y eut les objets, ceux que je pouvais toucher, et les autres (en premier lieu ceux du musée de Genève), et les livres, d’abord rares, avec des repros en noir et blanc (il y a moins d’un demi-siècle que la couleur fit son apparition dans ce domaine de l’édition), puis des amis collectionneurs, souvent artistes (j’eus le bonheur de rencontrer Miro en 1953 à Majorque, Picasso en 1958 à Cannes dans sa villa «la Californie» pleine d’objets – il fit lors de cette rencontre ce petit portrait de moi en clown que vous voyez là, accroché sous ce masque Bobo du Burkina Faso), des chercheurs et conservateurs de musée nous ouvrant toujours généreusement leurs dossiers et leurs réserves, des marchands enthousiastes, à l’expérience et au savoir souvent sans pareils. Et puis, bien sûr, les voyages en Afrique avec une première en 1969 en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ce fut aussi le début de nos photographies sur le terrain.Pourriez-vous préciser quels sont vos rapports avec les objets de votre collection?Le dialogue est quotidien. Vous voyez, c’est une forêt, avec quelques clairières pour s’asseoir. J’aime m’y perdre, mais ce sont les objets qui me retrouvent. La conversation est non seulement visuelle (je sais que je suis aussi regardé par eux, même si c’est présomptueux que de le penser), mais aussi tactile, je dirais même charnelle, car il y a des matières, des patines comme des peaux, des éclats, des rythmes et des rimes souvent somptueux. Pourtant, je ne suis absolument pas possessif, comme on a pu en d’autres temps être propriétaire de ses esclaves. Bien sûr que nous consentons souvent à des sacrifices financiers et que juridiquement nous pouvons en disposer comme bon nous semble, mais tout cela est secondaire. Je me considère plutôt commeun chef de gare, d’une immense gare de triage où chaque objet arrive d’un lieu lointain et inconnu, comme un train qui consent à s’y arrêter un certain temps, pour en repartir selon son destin, un jour ou l’autre, vers une destination sans doute incertaine. On ne saurait donc concevoir un chef de gare propriétaire des trains qui y seraient à quai! Mais j’admets connaître quelques artifices pour les y retenir un peu, ayant bien conscience que ce temps, pour avoir étudié la géologie, est de l’ordre de l’éphémère.

Pour illustrer cet entretien vous avez bien voulu retenir une quinzaine d’objets. Selon quels critères?L’émotion prime, puis l’inépuisable singularité d’un objet, dont on croit pouvoir faire le tour et qui nous entraîne sans cesse en magnétiques détours dans les proximités du cœur du génie africain. Chacun de ces objets est un «texte», lisible par les initiés à ce langage. Il est aussi une somme, un système cohérent destiné à expliquer et à comprendre comment le monde, le cosmos fonctionnent, à condition d’être utilisé de manière appropriée. En ce sens cette collection est un non-sens. Aucun de ces objets ne remplit sa fonction, quoique certains le pourraient sans doute encore, replacés dans un contexte adéquat. Ils sont ici superbement déracinés, à l’instar de vêtements sacerdotaux et d’objets liturgiques remisés dans un placard, oubliés par une culture en voie de disparition ou complètement disparue. Il y a en outre des objets étrangers les uns aux autres, appartenant même à des peuples ennemis et qui se retrouvent ici contraints de cohabiter sur leur voie de garage, respective et parallèle. Il y a aussi beaucoup d’objets que des noninitiés (tel que moi) ne devraient voir sous aucun prétexte, au risque d’encourir châtiments et grands dangers. Evidemment, je fais l’impasse…Et qu’en est-il de la beauté?Justement, approchons-nous de quelquesuns d’entre eux pour tenter de cerner ce qui nous rassemble autour de ce terme. André Breton ne disait-il pas «La beauté sera fulgurante ou ne sera pas»? Il parle de la foudre, donc du coup de foudre. La foudre qui s’abat évoque l’incendie, la fissure qui se fraie avec violence un chemin tant dans l’esprit que dans le corps, mais n’est pas frappé par la foudre qui veut. Il faut être d’abord hautement conducteur, et n’en pas sortir complètement carbonisé pour autant. On dira alchimie? Transmutation? Moi qui suis d’abord en plomb, j’en reçois une irradiante légèreté de l’être comme dirait Kundera, mais, ici, il n’y a pas de règle d’or, il n’y a que de l’aura. Et je peux inverser la proposition de Marcel Duchamp: «C’est l’objet qui me regarde, donc c’est lui qui me fait». «Je est un autre», a dit aussi Rimbaud, qui, pour finir, avait choisi l’Afrique.

Et ces quelques objets de votre choix, pourrait-on dire qu’ils esquissent votre portrait?Toute collection est, en fin de compte, un autoportrait, mais aucun de ces objets ne rêve d’être moi, tandis qu’un chef de gare, dans ces rêves les plus inavoués, ne rêvet-il pas d’être une locomotive? Mais ne déraillons pas et laissons plutôt circuler à leur guise ces objets sur les rails stupéfiants qu’ils posent dans le labyrinthe de notre psyché.

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