Pour la troisième édition du Monde d’Hermès, Hermès Éditeur (Hommage au carré de Josef Albers, Photo souvenir au carré de Daniel Buren) a fait appel à Hiroshi Sugimoto. Le résultat: 20 polaroïds retranscrits sur soie; 20 carrés édités en sept exemplaires, soit 140 carrés de 140 cm x 140 cm: format géant pour révéler le choc chromatique. Voilà pour la présentation. L’œuvre est le fruit d’une quête artistique acharnée et des défis techniques qu’Hermès Éditeur a permis de relever.
Depuis une dizaine d’années, l’artiste se lève chaque matin à 5 h 30 pour un rendez-vous urgent et quotidien avec la lumière. Il observe l’aube; le ciel de Tokyo est clair, surtout en hiver. Avec un dispositif de miroir, un prisme qu’il a élaboré, il parvient à fragmenter la couleur naturelle de la nuit qui s’efface. «Entre le regard froid et arithmétique de Newton sur la nature et la réflexivité passionnée et poétique de Goethe, j’ai employé mes propres dispositifs photographiques à la recherche d’une troisième voie», note-t-il.
Newton avait distingué sept couleurs. N’y a-t-il pas des couleurs intermédiaires ignorées ? «Certes, je distinguais le schéma rouge-orange-jaune-vert-indigo-violet mais je discernais également d’autres couleurs intermédiaires et sans nom, telles ces nuances rouge-orange et jaune-vert», écrit-il encore.
Goethe s’était aperçu qu’après avoir longuement regardé une couleur unie, l’œil humain qui s’en détourne perçoit durant quelques secondes la couleur opposée. Cela ne contribuerait-il pas à notre sens de l’harmonie des couleurs complémentaires ? Sugimoto s’interroge et photographie. Il décompose la couleur comme les musiciens acoustiques tels Pierre Boulez décomposèrent le demi-ton en quarts de ton, voire en huitièmes de ton. Le résultat tendrait donc à l’abstraction si la couleur n’était pas la matière première. On découvre des chromies qui ne sont pas sans rappeler la peinture de Rothko, jouant sur la lumière comme matérialisée dans le monochrome.
On imagine le casse-tête des experts en soie chez Hermès. Il a fallu investir dans de nouvelles machines à jet d’encre d’une redoutable précision; réaliser dix essais pour un seul carré. «C’est une épiphanie chromatique, confie Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique d’Hermès International. La place accordée à la couleur et à l’abstraction s’inscrivait parfaitement dans la suite des deux précédentes éditions. Je fus ébloui et surpris par la beauté mais aussi par la rigueur intellectuelle de ce projet.» L’ombre serait-elle enfin couronnée d’arc-en-ciel ?