La question centrale est celle de la représentabilité de Dieu dans les religions monothéistes et plus particulièrement du Dieu de la foi chrétienne. En termes plus simples, peut-on figurer Dieu avec des lignes et des couleurs ? Est-ce pensable, souhaitable, bénéfique ? Ou au contraire faut-il qualifier ce projet de dérisoire, et même de blasphématoire ? Quels gardefous a-t-il fallu respecter ? Quelles autorisations obtenir ?
Même si l’on s’en tient au christianisme, la réponse à ces questions n’est jamais limpide et ne l’a jamais été.Non seulement la question revêt des significations variables selon les religions, mais même à l’intérieur d’une seule et unique tradition religieuse, elle change selon les périodes parce que la conception du divin évolue sans cesse. C’est une véritable pomme de discorde entre les trois monothéismes; en outre, les chrétiens eux-mêmes ne sont pas très au clair à ce sujet.Les chrétiens, comme les juifs et les musulmans, professent l’existence d’un Dieu unique, créateur et omniscient. De plus, pour les uns comme pour les autres, il ne saurait y avoir une représentation ressemblante de Dieu, puisqu’il est transcendant. Tout au plus pourra-t-on le représenter par des symboles. Mais la foi en l’incarnation de Dieu en Jésus a changé la donne pour le christianisme, à la différence du judaïsme et de l’islam. À partir du moment où Dieu s’est fait homme en Jésus, le christianisme a pu accepter une représentabilité de Dieu en Jésus et s’est défini comme un monothéisme trinitaire. C’est là le mystère le plus déroutant de la foi chrétienne.Après de nombreuses polémiques, des conciles œcuméniques, des synodes, ainsi qu’un immense travail de réflexion et de formulation, le dogme de la Trinité s’est finalement imposé. Mais là encore il y eut des différences: alors que la tradition théologique latine est partie plutôt de la substance pour aller vers les personnes, cherchant à comprendre comment elles se distinguent et les représentant toujours à égalité, la tradition grecque en revanche a mis en évidence la distinction des personnes, les représentant du coup dans un rapport hiérarchique.Il est important dans une entreprise aussi complexe qu’une histoire iconique de Dieu de voir tous les points de vue, aussi bien théologique qu’économique, politique ou social et de ne pas tomber dans les subdivisions acadé- miques du temps de l’histoire, comme on l’a fait si souvent en Europe: Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, époque moderne, époque contemporaine. De la même façon il faut relever la permanence de certains schémas de composition et de leur réception sociale et ecclésiale. Par exemple la disposition des trois personnes de la Trinité présentées côte à côte a perduré en Europe et en Amérique latine du XIIe au XXe siècles. On peut reconnaître que les images de Dieu, pour autant qu’elles aient leur ancrage dans la Bible et leur bien-fondé dans le dogme, ont offert une très grande ré- sistance au temps.François Boespflug, à la fois théologien et historien de l’art, dispose de la formation requise pour attaquer cet énorme travail. Il le fait en montrant une quantité de très belles reproductions, suivant les grands courants de la pensée ecclésiale, les influences géographiques, l’évolution des différentes pratiques picturales. Voilà donc une histoire très complète de l’iconographie de Dieu.On peut relever le cas des pays lointains d’Asie et d’Amérique du Sud où les missionnaires répandaient la bonne parole, avec, pour seul souci, de baptiser et catéchiser, sans jamais se poser le problème de la diffusion ou de la création d’images chrétiennes. Si bien que les représentations religieuses dans les «pays de mission» ont été largement influencées par les initiatives locales. C’est l’un des aspects iconiques de la mondialisation qui s’est opérée sans contrôle ni intervention d’aucune instance.Et que dire de l’art contemporain avec sa volonté d’autonomie absolue ? Il est certainement pour beaucoup dans l’abîme qui s’est creusé entre l’art et ceux qui fréquentent les lieux de culte. Va-t-on vers une nouvelle image de Dieu ? Le Vatican va-t-il imposer, comme l’Église le fit par le passé, une image différente de Dieu, susceptible d’exprimer la foi chrétienne et capable de dire sa divinité ? Seul le recul et une meilleure connaissance des œuvres permettront une réponse équitable. La conviction de l’auteur à ce stade est que «Dieu s’en va de notre art».Pour terminer, il est intéressant de remarquer que le christianisme latin est le seul des troismonothéismes qui ait toléré, puis accepté, et même légitimé une véritable galerie de portraits du Dieu unique, en y mettant autant de talents et d’audace. En tout état de cause on est obligé de reconnaître que cette véritable épopée artistique a suscité des trésors de sensibilité autant que des montagnes de polémiques !On l’a compris, le grand intérêt de ce livre consiste dans le rassemblement éclairant des images de Dieu dans l’art. Il contribue, audelà d’une simple prise de conscience, à repérer et à décoder les traces de Dieu si bien incrustées dans notre inconscient visuel et si présentes dans notre culture. Et l’auteur de conclure: «Une prise de conscience hautement opportune pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Un savoir devenu utile, voire nécessaire, à la paix du monde».