Écrire la Peinture de Diderot à Quignard

Ce livre d’art, illustré par des reproductions de grande qualité, présente sous une forme originale des tableaux d’artistes célèbres du XVIIIe siècle à nos jours: chaque tableau est accompagné, sur la page qui lui fait face, d’un texte écrit à son propos ou plus généralement sur l’œuvre de l’artiste, par un écrivain ou un poète.Écrire la peinture magnifie l’art pictural et élargit l’espace littéraire: la création engendre la création. Quele regard invite à la parole comme le tableau invite à l’écrit, une longue tradition l’atteste dans la culture européenne. Dans l’Égypte antique, un seul mot recouvrait déjà ces deux notions, peindre et écrire, la séparation de picta et de scripta ne viendra que plus tard, donnant naissance à une nouvelle discipline, la description. Nul ne sait au juste quel en est le plus ancien exemple, mais on peut avancer sans trop de risques d’inexactitude qu’une des premières ekphrasis se trouve au chant XVIII de «l’Iliade» d’Homère, où l’auteur fait la description du bouclier d’Achille, véritable morceau de bravoure.Dès lors on ne connaît rien de plus créatif que la pratique de l’ekphrasis dans la littérature. Tout se passe comme si l’image ne pouvait supporter de demeurer seule. On constate que poètes et écrivains ont rivalisé d’inventivité pour rendre compte des tableaux. Pline l’Ancien consacre à la peinture plusieurs chapitres importants de son encyclopédie, l’Histoire naturelle, faisant entrer officiellement la peinture dans la littérature, par des réflexions devenues célèbres.Ce rapport tout particulier entre image et texte s’est incarné dans la fameuse analogie...

Ce livre d’art, illustré par des reproductions de grande qualité, présente sous une forme originale des tableaux d’artistes célèbres du XVIIIe siècle à nos jours: chaque tableau est accompagné, sur la page qui lui fait face, d’un texte écrit à son propos ou plus généralement sur l’œuvre de l’artiste, par un écrivain ou un poète.
Écrire la peinture magnifie l’art pictural et élargit l’espace littéraire: la création engendre la création. Quele regard invite à la parole comme le tableau invite à l’écrit, une longue tradition l’atteste dans la culture européenne. Dans l’Égypte antique, un seul mot recouvrait déjà ces deux notions, peindre et écrire, la séparation de picta et de scripta ne viendra que plus tard, donnant naissance à une nouvelle discipline, la description. Nul ne sait au juste quel en est le plus ancien exemple, mais on peut avancer sans trop de risques d’inexactitude qu’une des premières ekphrasis se trouve au chant XVIII de «l’Iliade» d’Homère, où l’auteur fait la description du bouclier d’Achille, véritable morceau de bravoure.Dès lors on ne connaît rien de plus créatif que la pratique de l’ekphrasis dans la littérature. Tout se passe comme si l’image ne pouvait supporter de demeurer seule. On constate que poètes et écrivains ont rivalisé d’inventivité pour rendre compte des tableaux. Pline l’Ancien consacre à la peinture plusieurs chapitres importants de son encyclopédie, l’Histoire naturelle, faisant entrer officiellement la peinture dans la littérature, par des réflexions devenues célèbres.Ce rapport tout particulier entre image et texte s’est incarné dans la fameuse analogie avancée par Horace: «ut pictura poesis», soit: «il en va de la poésie comme de la peinture». Au départ, la sentence pose la réciprocité des deux arts, la poésie étant une peinture douée de parole, la peinture une poésie muette.Dès la Renaissance néanmoins, la citation d’Horace fut partiellement détournée de son sens, quand les théoriciens classiques tentèrent de renverser le rapport de réciprocité pour faire de la littérature le modèle de toute peinture et voulurent ainsi démontrer la supériorité de la littérature sur la peinture. En effet, avant que les théoriciens n’élaborent les règles de l’esthétique, avant même que les propos sur l’art ne s’affranchissent de toute «caution scientifique», la doctrine d’Horace servait d’argument déterminant à la revendication du sens.Léonard de Vinci fait donc figure de solitaire lorsqu’il constate la prééminence de la peinture sur la littérature, pour la raison qu’elle restitue la totalité du réel représenté, alors qu’un texte littéraire est contraint de morceler cette même réalité. Mais c’est tout de même dans les textes que les peintres de la Renaissance sont allés chercher leur légitimité.Exception faite de Vasari, peintre et écrivain auteur de la première véritable histoire de l’art, une mutation se produit, qui va donner le jour à une littérature neuve, inédite: l’écrit sur l’oeuvre d’art. En effet on trouve des ekphraseis dans la création littéraire des XVIe et XVIIe siècles; la description d’un tableau vise désormais à autre chose qu’à être un simple compte rendu. Le texte cherche à rivaliser avec son modèle.Quoi qu’il en soit, le XVIIIe siècle marque l’apogée de l’ekphrasis. L’importance de la théorie esthétique concernant les deux arts ne cesse de grandir – avec l’abbé Batteux, (Les Beauxarts réduits à un seul principe) ou l’abbé Du Bos (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture) – «Mais comment parler peinture ?» se demandera plus tard Paul Valéry, conscient que l’exercice relevait de la gageure. II faut admettre que l’institution des salons a exacerbé les questions relatives à la description et multiplie ainsi les comptes rendus picturaux.En réalité, c’est à partir du XIXe siècle et de Baudelaire plus précisément que vont fusionner en une seule écriture l’expression du poète et le commentaire du critique d’art. Baudelaire enseigne en effet que le discours sur l’art implique d’emblée une poétique: une théorie du poème comme rythme, figure et image. À l’écrivain de devenir, sinon peintre, du moins, comme un peintre, capable de transformer le monde en un tableau. Il faudra attendre le siècle suivant, et plus encore l’époque contemporaine pour assister au phénomène inverse, celui de la surabondance des supports de reproduction qui engendre le paradoxe d’un art au second degré, la copie dans le commerce précédant le plus souvent la rencontre avec l’original.À l’évidence, l’essai d’un auteur ou d’un poète ne remplace jamais la confrontation directe avec l’œuvre originale. Les artistes aujourd’hui savent tous que ce sont les écrivains qui sont le mieux placés pour parler de la peinture parce qu’ils savent que l’ekphrasis en réinventant le tableau à travers les mots libère la création. Ils savent qu’un style pictural comme un style littéraire s’appuie sur une pensée. Autrement dit, l’acte même de peindre – comme celui d’écrire – est de l’ordre de la pensée, mais d’une pensée qui n’est pas contrainte à passer par la formulation des phrases.On ne saurait trop insister sur le rôle des écrivains dans la reconnaissance des avant-gardes. S’il est vrai que le XIXe siècle aura été celui de la critique d’art des écrivains, le XXe a marqué plus encore le triomphe des textes d’auteurs sur la peinture. Toute l’histoire contemporaine ne fait qu’accentuer l’aspect souvent fusionnel des deux arts.Cet historique nous montre que l’on a cherché depuis des siècles à établir une hiérarchie entre la peinture et l’écriture. Pascal Dethurens, qui a présidé à la réalisation de ce livre, nous présente 450 pages où il place en face l’un de l’autre, un tableau et un texte d’écrivain consacré soit à cette oeuvre précise, soit à l’artiste en général. C’est Diderot parlant de Chardin, Suarès de Fra Angelico, Artaud de Van Gogh, Michaux de Klee, etc.Bref, de quoi faire le bonheur des amoureux de l’art comme de la littérature, grâce à d’excellentes reproductions alliées à des textes d’auteurs brillants. Vous parcourez aussi bien l’histoire de l’art que de la littérature, sans avoir affaire à un traité d’histoire.Une réussite indéniable par son approche originale, sa présentation magnifique et sa construction claire.

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