Entre art moderne et archéologie

ans cette belle maison, agrémentée d’un parc magnifique, les pièces de réception ontconservé l’essentiel du décor conçu dans les années soixante par Gérard Gallet de Paris. Du brun tabac couvre les murs au lieu du sempiternel blanc immaculé. Le parquet type Versailles, non vernis apporte aussi sa note de chaleur, les tapis anciens n’en dissimulant qu’une partie. Les meubles d’époque, de grand prix, cohabitent avec les divans et tables basses contemporains, concession au confort. Et l’éclairage, soigneusement dosé, met en valeur les œuvres d’art, sans privilégier l’aspect muséal aux dépens de l’intimité.La collection de tableaux frappe d’emblée le visiteur, tout en restant discrète, sans envahir les parois. L’accrochage obéit à un souci de clarté et d’ordre, qui tient compte des subtiles correspondances avec les objets archéologiques et ethnographiques.«Ainsi que vous le constatez, déclare notre hôtesse, j’aime le dialogue: juxtaposer les oeuvres de provenance et d’époque différentes, mais qui ont un lien spirituel entre elles. Pourtant, je n’ai jamais acheté dans cette intention. C’est seulement à la maison, quand une nouvelle œuvre y entrait, que j’ai réalisé l’existence d’un lien avec un autre que je possédais déjà, lien dont je n’avais pas conscience jusque-là. Albert Skira, dans sa revue Minotaure, faisait ainsi dialoguer les œuvres».L’entretien se poursuit, alors que nous sommes confortablement installés dans la grande bibliothèque, près d’une imposante amphore grecque, présentée sur un socle sans vitrine.Votre mari était un collectionneur de livres. Avez-vous «collectionné» ensemble ou était-ce une activité personnelle de part et d’autre ?Nous avons acheté ensemble, les...

ans cette belle maison, agrémentée d’un parc magnifique, les pièces de réception ontconservé l’essentiel du décor conçu dans les années soixante par Gérard Gallet de Paris. Du brun tabac couvre les murs au lieu du sempiternel blanc immaculé. Le parquet type Versailles, non vernis apporte aussi sa note de chaleur, les tapis anciens n’en dissimulant qu’une partie. Les meubles d’époque, de grand prix, cohabitent avec les divans et tables basses contemporains, concession au confort. Et l’éclairage, soigneusement dosé, met en valeur les œuvres d’art, sans privilégier l’aspect muséal aux dépens de l’intimité.La collection de tableaux frappe d’emblée le visiteur, tout en restant discrète, sans envahir les parois. L’accrochage obéit à un souci de clarté et d’ordre, qui tient compte des subtiles correspondances avec les objets archéologiques et ethnographiques.«Ainsi que vous le constatez, déclare notre hôtesse, j’aime le dialogue: juxtaposer les oeuvres de provenance et d’époque différentes, mais qui ont un lien spirituel entre elles. Pourtant, je n’ai jamais acheté dans cette intention. C’est seulement à la maison, quand une nouvelle œuvre y entrait, que j’ai réalisé l’existence d’un lien avec un autre que je possédais déjà, lien dont je n’avais pas conscience jusque-là. Albert Skira, dans sa revue Minotaure, faisait ainsi dialoguer les œuvres».L’entretien se poursuit, alors que nous sommes confortablement installés dans la grande bibliothèque, près d’une imposante amphore grecque, présentée sur un socle sans vitrine.Votre mari était un collectionneur de livres. Avez-vous «collectionné» ensemble ou était-ce une activité personnelle de part et d’autre ?Nous avons acheté ensemble, les tableaux de Paul Klee, et Max Ernst. Ensuite, mon mari a développé ses propres centres d’intérêts, les livres, et moi l’archéologie.Cette collection de livres a été vendue assez récemment; pourquoi ? N’avez-vous pas d’affection particulière pour la bibliophilie ou était-ce en raison des thèmes abordés ?Vous savez, il s’agissait d’une immense collection d’érotiques. Cela ne m’intéressait pas vraiment, bien que j’aie beaucoup travaillé dessus, pour les inventorier, et les publier.En matière de peinture, votre mari participait-il à vos choix ou donnait-il son avis ?Non, pas du tout. Je lui en parlais et il me conseillait d’acheter ou pas. Je me souviens d’une fois, où l’on m’avait signalé qu’une vente importante de Paul Klee allait se tenir à Bâle. Des amis de Klee se séparaient d’environ dix tableaux. Je suis donc allée à Bâle,j’ai vu les tableaux et les ai trouvés extraordinaires, dont un tout particulièrement. J’en parle à mon mari, qui n’était pas très enthousiaste, car nous étions jeunes mariés et cela représentait pour nous un achat important. Le temps passe et un jour, il rentre de Bâle tard le soir, avec un paquet dans les mains, en me disant qu’il avait une surprise pour moi.Il s’agissait du Paul Klee sur lequel j’avais des vues… Il l’avait acheté pour me faire plaisir…Achetez-vous en suivant les conseils de marchands, avez-vous dans votre entourage des personnes que vous consultez avant d’acheter ?Pas vraiment. Une femme historienne de l’art m’a souvent donné son avis, mais je choisis seule.Comment achetez-vous ou plutôt quelles sont vos motivations ou vos critères de choix ? L’esthétique, la valeur ? Est-ce que vous imaginez le tableau chez vous, dans votre environnement, avant de vous décider ?Il faut que l’œuvre m’émeuve, ensuite c’est son histoire qui m’intéresse. Il y a des choses très belles qui me laissent indifférente et, à l’inverse, des objets peu esthétiques qui me touchent tout de suite. Par exemple aujourd’hui, on m’a apporté un Fernand Léger. Je le trouvais très beau sur le catalogue et lorsque le marchand m’a laissé le tableau en question à la maison pour quelques heures, ça n’allait pas ! Cette toile ne correspondait pas à mes critères et ne s’intégrait pas dans la philosophiede ma collection. Le détail de sa texture me gênait, et ce sentiment de rareté, que j’avais ressenti en le voyant dans le catalogue, avait aussi disparu. Autre exemple : la statuette de «Chupicuaro». Depuis que j’ai cet objet chez moi, je suis plus gaie, et l’admire chaque jour.Avez-vous l’habitude de procéder de cette manière, le marchand vous laissant l’objet pour que vous puissiez ainsi «vivre avec lui», l’espace d’un moment, le placer au milieu de votre collection ?Cela dépend des cas. La collection a atteint un degré de maturité qui nécessite que les nouveaux objets s’intègrent, entretiennent un «dialogue» avec mes pièces d’ethnographie et d’archéologie. Pour revenir à cette toile de Léger, elle était très violente, haute en couleur et ne pouvait absolument pas cohabiter avec un vase grec ou un objet précolombien.

On peut dire, à l’instar d’un Beyeler, que vous avez développé une science de l’accrochage…Bien sûr. D’ailleurs, on m’a déjà demandé de participer à des accrochages dans des musées. Pour moi, c’est très important.Votre point de départ est l’archéologie et tout ce qui vient ensuite doit s’y adapter…Bien qu’avant l’archéologie, il y ait eu la peinture, cette dernière lui a cédé le pas aujourd’hui. C’est en qualité de membre de l’association Hellas et Roma que mon jugement s’est affiné, affirmé peut-on dire. Cette association a pour vocation de mettre en avant l’archéologie classique, domaine relativement méconnu et peu couru.Pensez-vous que les artistes d’aujourd’hui s’inspirent de l’archéologie ?Oui, j’en suis persuadée: il y a un lien très particulier entre les deux. Beaucoup de peintres ont collectionné de l’archéologie, Nicolas de Staël, par exemple. Sa femme, qui est venue chez moi, y a vu le vase grec, près de son tableau. Je lui ai dit qu’elle devait trouver cela étrange. Elle m’a répondu que, bien au contraire, son mari avait eu lui-même une collection de vases grecs. Prenez aussi le cas d’André Breton. Proche des surréalistes, il avait une grande collection d’art africain.Avez-vous connu d’autres artistes ?Oui par exemple Max Ernst. Il m’avait raconté – l’histoire est jolie- qu’une colombe venait très régulièrement sur sa fenêtre et que cela l’avait inspiré. J’ai rencontré aussi Tinguely qui a offert une œuvre à ma fille.Soutenez-vous des artistes ?Oui, bien que soutenir soit un bien grand mot. Disons que j’en accompagne certains, ceux que j’estime talentueux, mais aussi d’autres, par simple altruisme. De tout temps,les artistes ont eu besoin de soutien et de reconnaissance.Prêtez-vous vos œuvres dans les musées et quels sont vos critères de décision ?Oui, très souvent. Il s’agit toujours de musées connus. Ainsi, je viens de prêter quatre pièces au Cabinet des estampes de Genève pour la prochaine exposition intitulée «Minotaure».Un petit mot sur le mécénat. Vous soutenez des artistes, mais vous avez aussi donné récemment au Musée d’art et d’histoire de Genève, un important objet antique, de très grande valeur. Pourquoi un tel geste ? Qu’est-ce qui vous motive ?La joie de permettre à tout le monde d’admirer un tel objet. Il s’agit réellement d’un partage.Pourquoi avoir décidé de quitter de cette manière un objet que vous adoriez ?J’estimais que cette pièce si belle avait un tel intérêt culturel et que je n’avais pas le droit moral de la garder chez moi, pour ma seule vue… J’ai désiré partager ce privilège. Dans ce contexte, un magnifique livre d’art «L’aurige et les chasseurs» a été édité.Avez-vous déjà été confrontée à des «faux» ?Dans le domaine de la bibliophilie, oui, mais pas dans le reste de ma collection. Un expert est venu ici la semaine dernière faire des prélèvements dans les terres cuites. Tout s’est avéré authentique, heureusement ! J’éprouve une certaine sensibilité dans la perception des objets d’art. D’ailleurs, je faisais partie de la commission d’achat du Musée d’art et d’histoire, le directeur de l’époque pensant que j’avais «l’œil», ce que je ne prends pas très au sérieux.Avez-vous déjà revendu des objets ?Pas d’objets d’archéologie, mais des tableaux.

Était-ce parce qu’ils ne vous plaisaient plus ?Non. J’ai vendu un Domingez au musée qui lui est consacré à Ténériffe et dont l’inauguration aura lieu en 2008, musée d’ailleurs conçu par les deux architectes suisses Herzog & de Meuron. J’ai aussi revendu un Poliakoff et un Estève. Ils ne correspondaient plus aux critères de la collection. En effet, à mon avis, il faut tenter d’améliorer sa collection et ne pas garder des objets qui se révèlent moins importants que la dernière acquisition.

Nous savons que des acheteurs vous «courtisent» pour votre grand Max Ernst. Allez-vous vous laisser tenter ?Non, bien sûr, même s’ils m’ont dit «Votre prix sera le nôtre…». Ce tableau de 1938, représente une très belle forêt. Il était dans un coffre de banque. Au départ, nous voulions acheter un Kandinsky et il y en avait un, très beau, qui se vendait à Berlin. Sur place, nous le regardons et le réservons. Mais entre-temps se passe un imbroglio et le tableau est vendu à quelqu’un d’autre… Nous étions tellement déçus que lorsqu’une marchande de Genève, Madame Jeanneret nous a dit qu’elle pouvait nous présenter un tableau de Max Ernst, il s’agissait de celui que vous voyez, nous l’avons acheté. Ce fut réellement un coup de foudre. Je regarde toujours ce tableau avec autant d’émerveillement, même après trente années passées en sa compagnie.Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait commencer une collection ?De freiner ses ambitions pour se concentrer sur la qualité.Pensez-vous qu’il soit possible de commencer une collection sans être riche, voire très riche ?Oui, bien sûr. Si l’on a du goût et que l’on se documente, alors oui, c’est possible. En outre, je pense qu’il faut sans cesse améliorer une collection, je le répète, et ne pas «s’agripper» aux choses.Comment vous définiriez-vous ? Collectionneuse…Amateur d’art plus que collectionneur. Pour moi, le collectionneur est celui qui «collectionne» toujours des objets ayant le même thème; que ce soit des livres, des timbres, des voitures…Aujourd’hui, y a-t-il une pièce, un tableau que vous aimeriez vous offrir ?Peut-être un Magritte, un Dali ou un collage de Kurt Schwitters. Mais il est sain et excitant de pouvoir réver à ce que l’on n’a pas.Vous êtes une personne généreuse, on l’a vu, pouvez-vous nous parler d’un autre projet que vous avez aidé à concrétiser ?Il s’agit d’une fondation qui s’appelle Partage du savoir. Nous travaillons sur la mise en place d’échanges scientifiques entre le Nord et le Sud. Le premier séminaire, qui a eu lieu récemment à Genève, portait sur le moyen d’amener l’eau de la mer Rouge à la mer Morte, laquelle tend à disparaître. Le prochain colloque concernera l’Afrique et les médias.Pourriez-vous vendre tous vos objets pour apporter votre soutien à une cause ?S’il s’agit d’une cause vitale d’utilité publique, probablement.

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