Jusqu’au bout trouer l’ombre, cueillir la lune et danser avec le soleil. L’univers du créateur italien n’est que vibrations, réflexions, reflets. «La vie est lumière, sans lumière, je n’existe pas».
Il capte les énergies, donne forme à la nuit. Rien que l’impalpable, la vie dans son essence, et le puits noir de l’ombreou le disque clair du soleil ou les ondes lunaires inscrites dans la pierre, le mouvement des étoiles, la pulsation des océans au creux de la main: ce qui palpite ici et là-haut, Enzo Catellani le transmue, par une alchimie singulière, en vibrations de lumière.D’autres sculptent, gravent, dessinent: le créateur natif de Parme projette ses visions dans l’espace nocturne telles des peintures ou des haïkus lumineux. La lumière selon lui n’est jamais statique ni limitée à une fonction ou à l’objet que l’on a créé pour elle. «Ce qui compte vraiment dans une lampe, c’est la lumière, sa façon d’inviter à une perception de la lumière, la façon dont elle éclaire. La lumière et c’est tout.» Chez Enzo Catellani, elle se fait caresses, lueurs, halos, frôlements, jeux de formes aléatoires, de volumes fugitifs taillés à coup d’ombres. Elle est symphonie, architecture.Il y eut les effusions des «Lumières d’Or», les réfractions sur les surfaces accidentées comme l’écorce lunaire de Stchu-Moon, la «Lune dans le Puits» qui nous rapprochait du rêve où la vague elle-même devient lumière. On a connu les déferlantes de transparences colorées, effrangées comme des étoffes déchirées, de «Post Krisi» apparues après un bref silence, de 2003 à 2005. Elles faisaient suite à la «Lumière qui peint», simple ampoule voilée animant une toile recouverte de feuilles d’or, et à la série de lampes noires, presque absentes, où seule la lumière compte. Il y eut aussi ces fils de fer aériens tricotés comme des buissons, ces boules broussailleuses injectées de lumières, poussées par le vent et qui roulent, légères: des boules énormes et d’autres plus petites, sans poids, qui rappellent la Terre.Aujourd’hui, Enzo Catellani revient des profondeurs de la nuit indienne avec un bagage quasi sidéral. L’Inde faite «de silence et de chaos, de spiritualité et de misère». Inspiré du lingam, cette pierre née d’elle-même, lissée par la force des eaux et du temps, il crée un galet de verre d’une pureté parfaite, traversé par le faisceau d’une minuscule diode électroluminescente. «J’avais été malade, une période sombre et grave de ma vie, j’en ai gardé la vision d’une lumière qui venait du néant. J’ai tenté de traduire ce que j’avais vécu.» Sa pierre de verre est devenue lumière.Pour beaucoup d’artistes, l’œuvre consiste à peaufiner les mêmes thèmes, à revisiter la même obsession. C’est le cas d’Enzo Catellani aujourd’hui installé à Milan, qui n’a jamais changé de direction.Sa destination, depuis plus de vingt ans, c’est la lumière. C’est elle qu’il quête, elle qu’il expérimente, elle qui modèle son voyage; la lumière transforme son travail en un miroir tendu entre le monde intellectuel et le mondematériel. «La traversée du cerveau au geste», il l’accomplit comme un mélomane, un aquarelliste des sentiments et des émotions. Il cherche la nuance, le ton juste jusqu’à ce qu’il parvienne à faire sonner cette note unique.Il ne dessine rien, dompte les formes disponibles, use des matériaux les plus simples mais ennoblis par un sens inné des proportions et une puissante créativité artisanale. Que ce soient le tissu de verre peint à la main, l’aspect précaire du papier japonais, les disques d’acier trempés dans les métaux précieux ou les sphères pliées à la force du genou jusqu’à devenir des demi-lunes: les lampes de Catellani, ou mieux, ses lumières, ne sont ni une réduction de la forme ni un exercice sculptural gratuit. Elles sont sources de scénographies oniriques et procurent des voluptés et des sensations de bien-être. «L’homme ne peut pas expérimenter la lumière seulement pour voir»
Parti «de la nécessité de survivre économiquement en aidant [son] frère vendeur de luminaires» dans les années 60, avant de créer ses premières lampes utilitaires pour les humbles sous-sols de quelques clients, Catellani n’a jamais eu le succès pour aiguillon. Découvertes par hasard par l’éditeur allemand Altalinea, une poignée de créations se voient propulsées au Salon de Francfort et les commandes affluent. On est en 1989 et l’aventure qui commence ne cessera d’amplifier le renom du créateur. Il gardera néanmoins le recul nécessaire pour ne pas s’égarer dans les feux du succès et oublier l’essentiel: «la ferveur et une équipe à dimension humaine». Il y mêle cette part d’autodérision attachante qui le laisse intègre, indemne, dans toutes les situations. À son nom, il a vite ajouté celui d’un pur-sang sorti de son imagination, Smith, auquel il confère le rôle d’architecte.«À mes débuts, je me sentais bien seul, isolé dansmon petit atelier, ce n’était pas facile» expliquet-il. Son premier catalogue «Simil Design», se veut un clin d’œil à la fureur du «tout design» de l’époque, puis viendront des titres volontairement équivoques, tel «Le Sens du Non Sens», tandis que ses œuvres lumineuses continuent de prendre le temps artisanal qui leur est dû pour naître et traverser le monde sans arrogance. Chez Catellani & Smith, les pièces uniques comportent volontairement toujours des variantes, et les pièces proposées en petites séries, sont fabriquées une à une et ne sont jamais numérotées. Quant aux foires et salons, le créateur leur préfère des odyssées détournées qui l’emmènent vers les clartés naturelles du Nord ou vers les métropoles submergées de lumière «en avançant, même parfois à reculons, pour [se] ressourcer et [se] réconcilier avec l’instinct initial de faire et le plaisir de créer»