Fischli et Weiss ou le spectacle du monde

L’art du XXe siècle a souvent posé sur le monde un regard ravageur, ironique ou franchement cynique. Tel n’est pas le credo des artistes zurichois Peter Fischli et David Weiss, dont le Kunsthaus, après Londres et Paris et avant Hambourg, présente une vaste rétrospective.Depuis le début de leur collaboration, il y a près de trente ans (1979), les deux artistes,qui comptent aujourd’hui parmi les Suisses les plus connus sur la scène de l’art contemporain, ont bâti une œuvre dense, protéiforme et toujours ludique, qui (pro)pose sur notre univers un regard décalé, à la fois léger et grave, à même de faire surgir de la banalité du quotidien ou de l’esthétique conventionnelle une «nouvelle nouveauté», pour ainsi dire une renouveauté. Tels ces mots mille fois rencontrés dans une journée, qui au gré d’une répétition fortuite et d’un instant de flottement intellectuel, prennent soudain une saveur délicieusement nouvelle, les thèmes abordés par Fischli et Weiss – le Beau, le Bien, l’Agréable et la Réussite – surgissent de notre imaginaire collectif pour prendre des couleurs inhabituelles, surprenantes et intrigantes.Les deux artistes avaient entamé leur collaboration par une décapante satire charcutière (Die Wurstserie / La série de saucisses, 1979), où des morceaux de saucisses, sculptés ou déguisés, étaientprésentés dans des saynètes diverses, telles qu’un défilé de mode (Modeschau), provoquant un effet loufoque qui posait déjà clairement la question de l’anti-héroïsme, dans l’art aussi bien que dans la représentation commune des valeurs. Une sorte de programme, dans lequel leur œuvre à venir allait s’inscrire avec...

L’art du XXe siècle a souvent posé sur le monde un regard ravageur, ironique ou franchement cynique. Tel n’est pas le credo des artistes zurichois Peter Fischli et David Weiss, dont le Kunsthaus, après Londres et Paris et avant Hambourg, présente une vaste rétrospective.
Depuis le début de leur collaboration, il y a près de trente ans (1979), les deux artistes,qui comptent aujourd’hui parmi les Suisses les plus connus sur la scène de l’art contemporain, ont bâti une œuvre dense, protéiforme et toujours ludique, qui (pro)pose sur notre univers un regard décalé, à la fois léger et grave, à même de faire surgir de la banalité du quotidien ou de l’esthétique conventionnelle une «nouvelle nouveauté», pour ainsi dire une renouveauté. Tels ces mots mille fois rencontrés dans une journée, qui au gré d’une répétition fortuite et d’un instant de flottement intellectuel, prennent soudain une saveur délicieusement nouvelle, les thèmes abordés par Fischli et Weiss – le Beau, le Bien, l’Agréable et la Réussite – surgissent de notre imaginaire collectif pour prendre des couleurs inhabituelles, surprenantes et intrigantes.Les deux artistes avaient entamé leur collaboration par une décapante satire charcutière (Die Wurstserie / La série de saucisses, 1979), où des morceaux de saucisses, sculptés ou déguisés, étaientprésentés dans des saynètes diverses, telles qu’un défilé de mode (Modeschau), provoquant un effet loufoque qui posait déjà clairement la question de l’anti-héroïsme, dans l’art aussi bien que dans la représentation commune des valeurs. Une sorte de programme, dans lequel leur œuvre à venir allait s’inscrire avec constance, malgré son apparente diversité.Plötzlich diese Übersicht (Soudain, cette vue d’ensemble, 1981) présente ainsi un panorama de quelques centaines de statuettes en terre non cuite, représentant un incroyable salmigondis d’échantillons de monde, que le regard hautement fantaisiste et totalement dépourvu de préjugés hiérarchiques de Fischli et Weiss saisit précisément là où l’on ne s’y attend pas. On y trouve un morceau d’autoroute, monsieur et madame Einstein, endormis juste après avoir conçu le petit Albert, un pain, l’opposition entre le possible et l’impossible ou cette représentation de Mick Jagger et Brian Jones rentrant chez eux heureux d’avoir composé I can’t get no satisfaction.

Les artistes zurichois ont parfois travaillé dans un registre de significations plus aisément déchiffrables, dans des films tels que Der geringste Widerstand (La moindre résistance, 1980-1981) puis Der rechte Weg (Le droit chemin,1982-83), ou dans la projection de diapositives Fragen (Questions, 1981-2003). Dans les deux films, tournés en 16 mm, le duo des artistes déguisés en ours et en rat, questionne le monde au gré d’une enquête hollywoodienne au parfum de road-movie postmoderne, ou d’un voyage initiatique à travers les Alpes suisses, totalement déshumanisées et désertes. Fragen, qui leur valut en 2003 un lion d’or à la Biennale de Venise, projette sur les murs un paysage coloré de questions existentielles sérieuses, futiles ou absurdes, dans toutes les langues.Le travail de Fischli et Weiss est «work in progress», et ce depuis toujours. Chaque nouveau medium utilisé par les artistes semble être précisément ce que doit être un medium, le support d’un propos, d’une préoccupation, et qui fait sens en tant que tel. La réalisation sculpturale d’objets usuels, ou de scènes communes, dans un matériau insolite tel que le caoutchouc noir provoque une fois encore chez le spectateur une perte de repères, voire une sorte d’angoisse qui est le prélude à un changement de regard, fût-il momentané.La photographie, largement utilisée par Fischli et Weiss, notamment dans leur série Sichtbare Welt (Le monde visible, 1987- 2000), n’est pas épargnée par cette constante volonté de mêler forme et contenu, qui constitue une caractéristique majeure, et sans doute un parti pris de leur travail. Ainsi tant la beauté outrancière de ces clichés à l’esthétique ultra-codifiée que leur surabondance complaisamment explicitée – les clichés sont disposés sur une table lumineuse de 30 m de long) – constituent une manière amusée de placer le visiteur face au propos qu’on veut lui tenir.À l’instar l’exposition de John M. Armleder, Amor vacui, horror vacui, qui vient de fermer ses portes au Mamco, cette rétrospective a été conçue en étroite collaboration avec les deux artistes. Cela augure d’un accrochage particulièrement en phase avec l’esprit de leur travail, ce qui en matière d’art contemporain ne va pas toujours de soi. Fait intéressant, l’exposition propose également de jeter un regard sur la manière dont travaillent Peter Fischli et David Weiss. L’un des travaux vidéos ayant le plus contribué à les faire connaître, Lauf der Dinge (Le cours des choses, 1985-1987), montre une réaction en chaîne improbable autant qu’implacable, faite d’éléments hautement hétéroclites tels qu’un vieux pneu en équilibre instable, une bougie montée sur unebascule ou une flaque d’essence destinée à s’enflammer au contact des étincelles générées par un dispositif placé quelques mètres plus loin. La préparation de ce travail et les expériences préliminaires ont été filmées en vidéo par l’ancien critique d’art Patrick Frey. Ces vidéos constituent une sorte de «making-off», intitulé Lauf der Dinge: in der Werkstatt (Le cours des choses: dans l’atelier), qui permet de pénétrer un peu dans l’intimité créatrice de ces deux artistes discrets, voire secrets. On y perçoit tout autant le soin et la précision de la préparation technique que la réelle jubilation avec laquelle les deux compères travaillent, et qui fournit probablement l’une des clés essentielles de leur œuvre.

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